Comme Le Vif, le député fédéral PTB Marco Van Hees voulait savoir quels ministres disposaient d’un logement de fonction loué sur le marché privé, «à combien s’élèvent les frais pris en charge par l’Etat» et si le cumul est légal. Comme Le Vif, il n’ a pas obtenu de réponse. © belga image

Un appartement de fonction et une allocation de logement: le fructueux cumul de certains ministres

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La Régie des bâtiments paie chaque année 100 000 euros pour louer des appartements de fonction sur le marché privé à des ministres fédéraux qui perçoivent déjà une allocation de logement défiscalisée de quelque 2 000 euros par mois. Embarras au gouvernement.

On appelle ça noyer le poisson. «Entretenir volontairement la confusion pour tromper ou pour lasser», selon Le Larousse.

Début juillet, le Premier ministre, Alexander De Croo, a offert une courte master class en noyade de vertébrés aquatiques à branchies aux députés de la commission de l’Intérieur, de la Sécurité, des Migrations et des Matières administratives.

Il répondait enfin à une question soulevée par Le Vif le 9 juin dernier, au sujet du cumul, offert à certains ministres fédéraux, d’une indemnité de logement défiscalisée et d’un logement de fonction.

C’est évidemment absurde, comme un employeur qui donnerait à la fois une voiture-salaire et une prime à l’ achat d’une voiture à ses employés, ou des chèques-repas et de la nourriture gratuite, ou des vêtements de travail et de l’argent pour en acheter, ou un pécule de vacances et des congés sur le dos de la fosse.

Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral.
Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral. © National

Mais c’est légal, puisque les circulaires régissant le statut des ministres, qui n’ont pas l’obligation d’être publiées au Moniteur belge, doivent simplement être adoptées par les gouvernements eux-mêmes pour prendre cours.

Celle sur laquelle s’appuient les rémunérations et les avantages ministériels, datée du 1er juillet 1996, sert de base à toutes les suivantes, dont les modifications, donc, n’ont jamais été publiées.

Elle prévoit, en plus du «salaire» du ministre, qui est normalement éligible à l’impôt sur le revenu, d’offrir à l’éminence des dédommagements forfaitaires pour sa représentation, ses dépenses domestiques et un logement.

En 2009, le Crisp estimait ces dédommagements à 1 571 euros mensuels pour les dépenses domestiques ou le logement, et 314 euros pour les frais de représentation. Ces montants, indexés, ont nécessairement augmenté. Sans qu’on ne sache au juste de combien puisque les tableaux qui se trouvent dans le budget de l’Etat ne font référence qu’à un montant global, sous le vague intitulé de «Traitement et frais de représentation du ministre».

Et vu que les circulaires réglant ce sujet ne sont pas publiées au Moniteur

Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral.
Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral. © National

18 000 euros par an

Il existe donc des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral.

C’est le cas de David Clarinval, remarquions-nous en juin, pour qui la Régie des bâtiments paie, chaque année, quelque 18 000 euros de loyer à un propriétaire privé bruxellois afin que le ministre dispose d’un logement dans la capitale, et pour qui l’Etat paie en même temps, chaque mois, une indemnité non soumise à l’impôt afin qu’il puisse disposer d’un logement à Bruxelles.

Le système étant légal mais absurde, avantageux mais gênant, il est donc joyeusement caché. Alexander De Croo, dont le gouvernement à la cohésion déjà fort douteuse avait d’autres dossiers autrement moins anecdotiques à traiter, avait autre chose à faire que de se livrer à un exercice de franche transparence, le 5 juillet dernier, à la commission de l’Intérieur, de la Sécurité, des Migrations et des Matières administratives.

C’est ainsi que pour ne pas devoir exposer certains de ses ministres à l’embarras, le Premier ministre a noyé le poisson.

Le député fédéral PTB Marco Van Hees, qui avait déjà posé des questions écrites laissées sans réponse à ce sujet, évoquait Le Vif du 9 juin pour lui poser une question orale, à laquelle le Premier ne pouvait pas ne pas, formellement, répondre.

Mais à laquelle il s’attela pourtant à ne céder que le minimum d’informations factuelles.

Comme quand on noie un poisson, quoi.

Marco Van Hees, comme Le Vif, voulait savoir quels ministres disposaient d’un logement de fonction loué sur le marché privé, «à combien s’élèvent les frais pris en charge par l’Etat», et si l’on pouvait décemment cumuler cet avantage avec une indemnité de logement.

«Tout d’abord, aucun membre du gouvernement ne dispose automatiquement d’un logement de fonction, comme c’est le cas, par exemple, pour les gouverneurs.

Un ministre reçoit une allocation de logement forfaitaire pour son logement privé. Plusieurs ministres ont également la possibilité, en fonction des besoins réels de l’exercice de leur fonction, de disposer d’un logis à Bruxelles, soit dans les bâtiments de l’Etat ou du cabinet, soit dans un appartement spécifiquement désigné.

Cela concerne les membres suivants du gouvernement: Wilmès, Van Peteghem, Vandenbroucke, Clarinval, Lalieux, Verlinden, Kitir, Mahdi, Michel et moi-même», commença Alexander De Croo.

Ministres en tas et poissons en bancs

Notons qu’à ce moment, Sophie Wilmès n’avait pas encore été remplacée par Hadja Lahbib et que le remplacement de Sammy Mahdi par Nicole de Moor était tout récent.

Le poisson suffoquait déjà un peu après la comparaison avec les gouverneurs de province.

Il étouffa complètement dès les phrases suivantes, dès lors que le Premier ministre ne fit qu’un tas de ses ministres, sans distinguer ceux qui, dans leur cabinet, peuvent profiter d’une petite chambrette ou même d’un lit de camp – il paraît que ça existe – et ceux pour qui l’Etat loue un bien sur le marché privé.

On observera tout de même que parmi les membres de l’Exécutif qui «disposent d’un logis à Bruxelles», soit dans leur cabinet, soit sur le marché, il se trouve une proportion non négligeable de Bruxellois ou d’habitants de la périphérie (Karine Lalieux, Sophie Wilmès puis Hadja Lahbib, Sammy Mahdi puis Nicole de Moor) et que deux d’entre eux (Mathieu Michel pour le Brabant wallon et Frank Vandenbroucke pour le Brabant flamand) résident dans une province limitrophe.

Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral.
Il existe donc bien des ministres au gouvernement fédéral qui reçoivent, en plus de leur traitement, autour de 2 000 euros nets afin de se loger tout en étant logés gratuitement par l’Etat fédéral. © National

Le Premier ministre lui-même est concerné par ce cumul puisque, tout en percevant cette «allocation de logement forfaitaire», une résidence lui est attribuée, rue Lambermont.

Cet hôtel de maître qui borde le parc royal est devenu la résidence officielle des Premiers ministres depuis la Libération et elle est aujourd’hui bien plus officielle que résidentielle: les activités et les réunions qui s’y tiennent ne sont que rarement d’ordre privé et aucun Premier ministre n’y loge plus depuis des lustres.

«Pour moi, il s’agit en effet du bâtiment sis rue Lambermont qui a plusieurs fonctions, mais qui est, dans mon cas, uniquement utilisé pour les besoins réels de l’ exercice de ma fonction. Je n’y ai jamais logé jusqu’à présent et je n’ai pas du tout l’intention de l’utiliser pour du logement. Je dors chez moi et c’est très bien», confirmait d’ailleurs Alexander De Croo.

C’était une diversion pour ne pas laisser le poisson respirer tout en admettant qu’il recevait de l’argent pour se loger, argent qu’il ne dépensait pas pour ça, ainsi qu’un logement où il ne se logeait pas, et ce n’était pas fini.

Au cabinet Mathieu Michel, on renvoie la balle à la Régie des bâtiments où «trouver les informations va prendre du temps».
Au cabinet Mathieu Michel, on renvoie la balle à la Régie des bâtiments où «trouver les informations va prendre du temps». © belga image

Logement de ministres: 96 372 euros

La noyade du poisson par la masse se poursuivait ensuite, puisque l’habitant de Brakel ne citait ni David Clarinval ni aucun autre collègue lorsqu’il s’agissait de recenser ceux à qui un «logis à Bruxelles» était offert à l’extérieur de leur cabinet.

«En ce qui concerne les frais d’hébergement direct de la Régie des Bâtiments, cela représente un total annuel d’environ 96 372 euros. En ce qui concerne les frais annexes, cela dépend de la situation. Certains coûts sont absorbés par la Régie des bâtiments qui fournit le bien ; dans d’autres cas, les frais sont payés par les crédits du cabinet. Pour cette raison, il n’est pas possible de donner un calcul global de ces coûts. Je n’ai pas connaissance de l’ emploi du personnel spécifique. Il s’agit d’une pratique administrative telle qu’appliquée par la Régie des bâtiments ou telle que prévue dans les conventions pour les bâtiments ou pour des cabinets en particulier», insistait-il encore en commission.

Alexander De Croo s'est attelé à ne fournir qu'un minimum d'informations factuelles.
Alexander De Croo s’est attelé à ne fournir qu’un minimum d’informations factuelles. © belga image

L’ agrégation des loyers payés nous apprend au moins que David Clarinval qui, depuis Bièvre jusqu’à Bruxelles, doit rouler près de 150 kilomètres, n’est pas le seul à recevoir de la Régie un appartement de fonction et de l’Etat une allocation de logement.

Si, chaque année, la Régie des bâtiments débourse au total 96 000 euros pour payer des loyers aux ministres, et que celui de David Clarinval s’élève, selon les notes que nous avons pu consulter, à 18 000 euros, on peut raisonnablement estimer que quatre autres membres du gouvernement De Croo sont logés à la même généreuse enseigne.

La réponse d’ Alexander De Croo, plus solidaire avec les copains que jamais, ne nous permettra pas d’en savoir plus. «Pour des détails spécifiques, vous pouvez vous adresser au secrétaire d’Etat responsable de la Régie des bâtiments ou aux membres respectifs du gouvernement», concluait-il, le 5 juillet.

Bien sûr, Marco Van Hees a trouvé la réponse «insatisfaisante», puisque «De Croo ne se justifie nulle part sur le double emploi entre les indemnités de logement et les logements de fonction, et qu’il ne les différencie pas selon le type de logement». Bien sûr, il enverra des questions au secrétaire d’Etat responsable de la Régie des bâtiments, Mathieu Michel, ainsi qu’aux membres respectifs du gouvernement.

Il n’est pas le seul.

Après la séance de la commission, on a sollicité le cabinet du Premier ministre.

On nous a répondu qu’il valait mieux demander au cabinet de Mathieu Michel ou à la Régie des bâtiments, qui avaient transmis les informations.

On a demandé au cabinet de Mathieu Michel. On nous a dit que le personnel de la Régie des bâtiments était en vacances et que ça prendrait du temps de retrouver les informations transmises.

On a demandé à la Régie des bâtiments. On nous a répondu que c’était une question relevant de la tutelle politique et qu’elle seule pouvait transmettre ces informations.

On essaie encore et toujours de noyer le poisson.

Mais il respire encore. Parce que la confusion est entretenue, mais qu’on ne se lasse pas.

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