Alain Destexhe

ULB, l’Université (trop) Libre de Bruxelles

Alain Destexhe Ex-Sénateur

« L’Université trop libre de Bruxelles » titrait en octobre 2013 le journal Le Monde. Ce sentiment de « trop » illustre bien la polémique autour de la lettre ouverte du nouveau Recteur de l’ULB, Yvon Englert.

En qualifiant l’actuel projet de loi abolissant le secret professionnel des assistants sociaux dans les affaires de terrorisme de potentielle « dérive totalitaire », celui-ci s’est plié au conformisme idéologique qui s’est même introduit sur les bancs et les pupitres de l’ULB. Retour sur une « dérive gauchisante ».

Soumission

« La pensée ne doit jamais se soumettre ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être », énonçait Henri Poincaré à propos du « libre examen », un des piliers de l’ULB.

Pourtant, si l’on s’en tient aux seuls faits, ce projet de loi sur le secret professionnel des institutions de sécurité sociale tient parfaitement la route. La réforme en cours ne vise pas à supprimer le secret professionnel, mais à créer des exceptions à ce régime dans le cadre d’enquêtes liées à des infractions terroristes.

A plusieurs reprises, nous apprenions que certains CPAS refusaient de collaborer avec la justice à propos de certains allocataires sociaux suspectés d’activités terroristes. Cette réforme vise à pallier au flou juridique qui muselait des membres du personnel qui craignaient jusqu’ici d’enfreindre le secret professionnel.

Par ailleurs, en février 2016, on découvrait avec indignation et stupeur que pas moins de 120 combattants islamistes présumés continuaient de percevoir leurs allocations. Des allocations qui participaient donc directement au financement du terrorisme et permettaient à des personnes militant pour la destruction de nos sociétés de bénéficier d’aides. Les fervents partisans de la justice sociale ne devraient-ils pas être les premiers à s’en indigner ?

En prenant ainsi partie, le Recteur est, comme le souligne le père d’une victime de l’attentat de Maelbeek dans sa touchante lettre ouverte, sorti de l’autorité morale liée à sa fonction. En se soumettant à ses présupposés idéologiques à l’instar de François – le professeur de littérature et héros du roman Soumission de Houellebecq – et en niant que le contexte terroriste implique l’instauration de certaines limites, le Recteur s’est soumis à une idéologie partisane. Quant à l’emploi du mot « totalitaire », un terme qui évoque inévitablement le fascisme hitlérien ou le communisme stalinien, ce médecin de formation semble en ignorer le sens.

Le suicide du libre examen ?

La dérive « gauchisante » de l’ULB n’est pas nouvelle. Alors que le débat sur le voile à l’université bat son plein dans plusieurs pays voisins dont la France, y compris par des figures de gauche comme Manuel Valls, l’ULB – ce temple de l’athéisme créé par des francs-maçons – a pourtant pris le parti de de ne pas l’interdire. Les voiles foisonnent désormais sur le campus.

A de multiples reprises, Tariq Ramadan, qui manie habilement théories du complot et contre-discours, est venu s’exprimer sur les bancs de l’université sans aucun contradicteur. Encore récemment, en mars 2015, il a été invité à s’exprimer et certains, interrogés en sortant de la conférence, ont affirmé « du débat, il y en aura finalement peu eu » ou encore « C’est vrai, ils étaient en accord sur tout ».

A l’inverse, on peine à imaginer Eric Zemmour, auteur du livre Le Suicide français, ou Patrick Buisson, celui de La cause du peuple, invités à s’exprimer « librement » sur le campus du Solbosch. Ou s’ils l’étaient, encore auraient-ils de nombreux contradicteurs ou recevraient-ils très certainement le même accueil que Caroline Fourest, militante laïque et féministe française, acculée lors de sa venue en 2012. « Des débats sur ces sujets (Marine Le Pen et la laïcité), j’en ai au Yémen, j’en ai dans tous les pays du monde, et il n’y a qu’en Belgique, qu’à l’ULB, que j’ai des problèmes », affirmait Caroline Fourest après le sabotage de son débat par un assistant de cette même université ! D’autres meneurs de cette fronde à la liberté d’expression comme Abdellah Boudami ont ensuite rejoint la Syrie…

Quant aux organisations étudiantes, le CA de l’ULB a la main légère en matière de reconnaissance. Le cercle BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) prônant le boycott à la fois économique, académique et culturel de l’Etat d’Israël, a ainsi été reconnu. Pourtant, libre examen et liberté académique étaient bafoués en ayant pour objectif que cesse toute collaboration scientifique et universitaire avec Israël. Par ailleurs, plusieurs membres de ce cercle ont insulté en mars 2015 des étudiants juifs en les qualifiant de terroristes et de fascistes en plein campus du Solbosch. Ose-t-on imaginer le tollé si la situation inverse s’était produite ? Si des musulmans s’étaient fait traiter de terroristes en pleine zone universitaire ? Tout l’attirail du vivre-ensemble se serait indigné d’une seule voix !

Finalement, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle le Recteur a choisi un tel sujet pour sa première prise de position dans le débat public depuis son entrée en fonction. Le Recteur Yvon Englert a beau tenter tant bien que mal de clarifier ses propos, les symptômes sont clairs. La dérive « gauchisante » s’est déjà emparée des murs de cette université dont on peine à retrouver les inspirations et les valeurs à l’origine de sa création. « La frondeuse et réputée ULB en Belgique s’embrase dès qu’il est question de liberté d’expression, de laïcité, de multiculturalisme », mentionnait le journal Le Monde. Pourtant, « La liberté ne peut être que toute la liberté : un morceau de liberté n’est pas la liberté » (Max Stirner).

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