Ukraine : quatre scénarios sur l’issue de la guerre
Près de trois semaines après le début de l’invasion de l’Ukraine, encerclée par les forces russes, Kiev résiste. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se risquent à des pronostics quant à l’issue du conflit. Quels scénarios sont envisageables ? Le Vif examine quatre hypothèses.
Ce mercredi, alors que les bombardements s’intensifient, la ville de Kiev, encerclée par les forces russes, résiste. À l’aube, à une petite centaine de kilomètres de la capitale ukrainienne, les Biélorusses ont annoncé avoir rétabli l’alimentation électrique à Tchernobyl, là où une des pires catastrophes nucléaires de l’Histoire s’est produite. Sur les réseaux sociaux, bon nombre d’internautes tirent périlleusement des pronostics quant à l’issue de l’invasion russe en Ukraine. À quel scénario faut-il se préparer ? S’il est impossible à prédire, plusieurs hypothèses voient le jour.
La défaite de Vladimir Poutine
C’est le scénario préféré des Occidentaux. Le régime de Vladimir Poutine serait ébranlé par une crise économique majeure, provoquée par les sanctions occidentales envers la Russie, et la population russe se révolterait à l’encontre de son gouvernement. Le président Poutine, lâché par son armée, serait remplacé par un nouveau dirigeant.
Une révolution populaire russe est-elle envisageable ? Pour Nina Bachkatov, chercheuse à l’ULiège et politologue spécialiste de la Russie et de l’Eurasie, « s’il doit y avoir une révolte, elle doit venir des cercles de pouvoir ». La pression de la rue n’a pas d’influence sur les décisions prises au sommet, explique-t-elle. Bien que certains proches de Poutine ne soient pas d’accord avec « l’opération spéciale » en Ukraine, « pour le moment, les figures politiques russes sont essentiellement mues par la peur vis-à-vis de Vladimir Poutine », constate Aude Merlin, chargée de cours en sciences politiques et spécialiste de la Russie et du Caucase.
Cela ne signifie pas pour autant qu’une révolte populaire est inimaginable. La spécialiste rappelle que « si l’histoire russe a montré à de nombreuses reprises que la population de l’ex-Union soviétique est capable d’immenses sacrifices – durant la Seconde Guerre mondiale, le communisme de guerre ou encore les purges staliniennes -, elle nous enseigne également qu’il peut y avoir des basculements soudains. »
L’armée russe, sentant que la guerre a été mal engagée, pourrait-elle renverser le gouvernement de Poutine ? Pour Nina Bachkatov, cette hypothèse est peu probable puisque le corps militaire russe n’a pas de « tradition bonapartiste ».
Un changement de leader russe, auquel rêvent les Occidentaux, serait-il synonyme d’accalmie ? « Il ne faut pas se faire d’illusion quant à de grands changements en période de guerre », met en garde la chercheuse. « Le prochain président ne va pas accorder aux Occidentaux tout ce qu’ils imaginent avoir le droit d’avoir. » Si nouveau président il y a, il s’agirait davantage d’un « personnage aussi raidi, mais sous des formes moins brutales et plus diplomatiques, qui partagera l’idée que les Occidentaux veulent une Russie faible ».
La Russie remporte le conflit
Il s’agit du scénario du pire pour les Occidentaux. L’armée russe l’emporte face aux forces ukrainiennes et prend le pouvoir au sein du pays. Pire encore : après avoir annexé l’Ukraine, Poutine s’en prend aux pays de l’ex-Union soviétique, voire même à ceux partageant des frontières avec l’Ukraine.
Pour le moment, le peuple ukrainien faisant preuve d’une résistance farouche, qui n’a pas été anticipée par les forces adverses – qui imaginaient plutôt un « conflit éclair » -, un tel scénario n’est pas à l’ordre du jour, estime Quentin Michel, professeur de sciences politiques à l’ULiège. « Les Ukrainiens n’accepteront pas une force d’occupation et les Russes n’auront jamais l’estomac ni la capacité technique pour occuper l’Ukraine », ajoute Nina Bachkatov. Les experts n’imaginent, à l’heure actuelle, ni la capitulation ni l’annexion de l’Ukraine.
Mais si la Russie devait l’emporter, une occupation directe du territoire ukrainien par la force soviétique est peu probable, selon Quentin Michel. Une victoire de la Russie suppose, dans l’esprit des autorités russes, une occupation du territoire ukrainien à travers la mise en place d’un régime qui leur est favorable. « Un état qui est finalement sous le contrôle, assez largement, de son grand-frère », ajoute-t-il.
Les pays limitrophes de l’Ukraine, tels que la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne ou encore la Roumanie, doivent-ils eux aussi craindre pour leur souveraineté ? Le spécialiste ne croit pas à cette hypothèse. Bien que des missiles aient été tirés à proximité des frontières polonaises ou que des drônes soient tombés en Croatie, « dans l’esprit des autorités russes et de Poutine, il n’y a probablement pas une volonté d’aller au-delà de l’espace ex-soviétique ». D’autant plus que ces quatre pays limitrophes à l’Ukraine sont membres de l’OTAN. « Le Kremlin sait que, dans le cas d’une invasion d’un État-membre de l’OTAN, l’activation de l’article cinq est immédiate », explique Aude Merlin. Cet article stipule que si un pays membre de l’OTAN est attaqué, les autres États-membres peuvent lui venir en aide.
Pour ce qui est de la Moldavie et la Géorgie, toutes deux limitrophes à l’Ukraine, mais ni membre de l’OTAN ni de l’Union européenne, hélas, les intentions de la Russie sont floues. « Aujourd’hui, l’intérêt de Poutine est de préserver ce qu’il considère comme « l’espace naturel russe ». Tout ce qui faisait partie de l’ancienne Union soviétique pourrait potentiellement y retourner sous des formes diverses de contrôle ou de perte d’autonomie« , ajoute Quentin Michel.
L’autre danger, peut-être même plus imminent, est que l’attention internationale sur l’Ukraine profite, dans un sens, à d’autres conflits de par le monde, craint Nina Bachkatov. « Il y a quand même eu des incidents au Cachemire, des assassinats en Inde ou au Pakistan, des mouvements au Moyen-Orient, une attaque sur Erbil… Or, toutes les assemblées internationales ont les yeux rivés sur le conflit en Ukraine. » Une multiplicité de conflits pourrait voir le jour, ne craignant plus à présent la réprobation de l’Occident.
La guerre nucléaire
C’est l’hypothèse qui agite le plus les réseaux sociaux. Ce mardi 15 mars, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a déclaré que « la perspective d’un conflit nucléaire, autrefois impensable, figure bien aujourd’hui parmi les possibilités ». « Une nouvelle escalade de la guerre, que ce soit par accident ou à dessein, représente une menace pour toute l’humanité », a-t-il ajouté.
Depuis plusieurs semaines, Poutine agite la menace de l’arme nucléaire. Faut-il craindre qu’une escalade du conflit débouche sur une guerre nucléaire ? Pour les spécialistes, la réponse est non. Les propos de Poutine, très va-t’en-guerre, visent à rappeler que même si elle a perdu beaucoup de sa superbe, « la Russie est une puissance militaire de premier ordre et il faut négocier avec elle », décrypte Quentin Michel. Si un tabou quant à l’attaque nucléaire a bien été levé – les Américains et les Russie disent envisager des attaques « ciblées » ou « limitées » -, Nina Bachkatov estime elle aussi que l’arme nucléaire est pour la Russie « une force de dissuasion ».
Long conflit en Ukraine
C’est l’hypothèse privilégiée par les experts : la guerre en Ukraine pourrait encore durer de longues semaines, voire des mois. « À moins d’une maestria en termes de négociation et de diplomatie, pour l’instant, tout laisse à penser que le conflit pourrait durer« , déplore la spécialiste de la Russie et du Caucase, Aude Merlin.
Au sixième jour des négociations russo-ukrainiennes, ce mercredi, toujours aucun accord de paix n’a été trouvé. Parmi les exigences de Vladimir Poutine, la neutralité de l’Ukraine sur le modèle suédois ou autrichien, formellement rejetée par le président ukrainien. « L’Ukraine est maintenant en état de guerre directe avec la Russie. Par conséquent, le modèle ne peut être qu’ukrainien« , a déclaré le négociateur ukrainien Mykhaïlo Podoliak. Si la délégation russe a affirmé vouloir « arriver à la paix le plus tôt possible », le chemin semble encore long.
Emma Grégoire
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