Gautier Calomne
Travailler moins pour gagner plus ?
Alors que la France continue de douter des bénéfices de deux décennies sous le régime des 35 heures, au point de l’avoir assoupli avec la loi El Khomri, c’est au tour de la gauche belge de s’emparer du thème de la réduction du temps de travail.
De prime abord, la proposition semble très séduisante, en ce qu’elle vise l’instauration de la semaine de quatre jours sans perte de salaire, avec des embauches compensatoires soutenues par des baisses de charges. En résumé : si l’on travaille moins, on travaillera toutes et tous. Vraiment ?
Dans son ouvrage ‘Economie du bien commun’, le Professeur Jean Tirole, Prix Nobel d’Economie en 2014, évoque, avec beaucoup de pédagogie l’inexactitude du « sophisme de l’emploi en quantité fixe, un concept selon lequel le nombre total d’emplois dans une économie est fixe et donc doit être partagé équitablement « . Il s’agit d’une analyse que ne contredit guère le dernier Rapport du Conseil supérieur de l’Emploi qui, se penchant sur la question, a conclu à l’échec des 35 heures en termes de partage du temps de travail, mais aussi de compétitivité et de croissance : « Au-delà du fait que la création d’emplois ne se décrète pas, les politiques de partage du travail reposent principalement sur l’hypothèse implicite que les travailleurs sont substituables, ce qui n’est que partiellement le cas « .
Au vu du quotidien des PME et des professions libérales, principaux moteurs de l’économie belge – 98% des entreprises privées, représentant un tiers de la production de la richesse nationale et 50% des emplois salariés -, la revendication actuelle de réduction du temps de travail émanant des formations de gauche s’inscrit en décalage complet avec les réalités. Pourquoi ? Primo, la capacité d’innovation organisationnelle qui existe au sein des grandes multinationales est très loin d’être un acquis au sein de structures comme une agence immobilière, un commerce de matelas ou la pharmacie de quartier. Secundo, au sein des PME, les postes de travail répondent souvent à des compétences différentes et complémentaires, qui sont rarement substituables, voire, qui sont en état de pénurie. Tertio, l’embauche compensatoire ne garantit rien en termes de gains de productivité, de hausse des bénéfices et d’effets rebonds en matière d’investissements.
Tout cela reflète la nécessité impérieuse de ne pas jouer aux apprentis sorciers, qui s’évertuent à brandir des « sophismes » économiques face aux mauvais sondages. Tout cela révèle un état d’impuissance, largement et faussement compensé par des slogans à l’emporte-pièce, devant les taux de chômage catastrophiques en Wallonie et à Bruxelles. Face au défi de la mondialisation et au coeur de l’économie de marché, la croissance et la compétitivité des entreprises ne se gagnent pas avec la semaine des quatre jours, mais plutôt par des réformes structurelles qui créent de la richesse au sein de notre modèle social, et aussi par une plus grande souplesse du cadre des emplois.
Ce plaidoyer va de pair avec le souci de promotion du bien-être au travail, car l’un ne va pas sans l’autre. La croissance et la compétitivité sont avant tout au service de l’humain. In fine, le grand défi du 21e siècle que s’obstine à ne pas comprendre la gauche belge, ce n’est pas le partage de la masse de travail, mais bien la stimulation de l’activité entrepreneuriale et la création de nouveaux emplois qui profitent vraiment à toutes et tous. Le tout, sans concession sur la préservation de notre modèle social.
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