Laurence Van Ruymbeke
Travail obligatoire des chômeurs : à quoi joue la suédoise ?
L’IRES (Institut de recherches économiques et sociales de l’UCL) n’a pas la réputation d’être un centre d’études gauchisant. On se souvient d’avoir entendu, jadis, les organisations syndicales pester contre certaines analyses de cette équipe…
Or voilà que l’un de ses chercheurs, maître de recherche du Fonds National de la Recherche Scientifique et professeur d’économie à l’UCL, Bruno Van der Linden, sort une étude qui tire à boulets rouges sur le projet du probable futur gouvernement d’imposer un travail à temps partiel et non souhaité aux demandeurs d’emploi. On voit bien le but : diminuer les dépenses en matière d’allocations de chômage, remettre les chômeurs dans le rythme professionnel et rendre, accessoirement, un service à la collectivité.
Rien que des aspirations légitimes pour un gouvernement de droite qui dit depuis toujours qu’il s’attellera aux problématiques socio-économiques. Mais ce n’est pas si simple. Car une telle mesure entraîne une série d’effets pervers, que dénonce de manière posée et systématique l’IRES :
- Plus ce travail obligatoire sera efficace et pertinent, plus il risque de se substituer à des emplois classiques, ce qui provoquera d’autres problèmes.
- Ce système de remise au travail obligatoire aura un coût.
- Il nécessitera la mise en place de tout un encadrement de suivi et de contrôle. Or les services publics disposent déjà d’autres instruments pour assurer cet encadrement.
- Le travail obligatoire chassera probablement les demandeurs d’emploi non désireux de travailler vers les CPAS. Le coût de leur prise en charge glissera donc simplement d’un organisme public (l’Onem) à un autre (le CPAS). Or on sait combien les finances des CPAS sont déjà dans le rouge.
Certes, la mesure pourrait, dans le meilleur des cas, avoir des retombées positives, au moins pour quelques-uns. Par exemple si les économies dégagées en excluant certains chômeurs récalcitrants permettent de revoir à la hausse le niveau des indemnités de chômage des autres. Mais est-ce vraiment le but ?
« S’il est vrai, écrit Bruno Van der Linden, que la société belge a maintenu dans l’assurance-chômage des personnes qui n’ont plus toutes les caractéristiques du chômeur telles que définies par le Bureau International du Travail, la responsabilité collective de cette réalité est généralement énorme comparée à la responsabilité individuelle. La réponse à ce problème extrêmement délicat ne se trouve pas dans l’imposition d’un service à la communauté. »
A la lecture de ce projet, on ne peut en tous cas s’empêcher de penser qu’en optant pour cette mesure, si d’aventure il le fait, le prochain gouvernement fédéral veut surtout symboliquement et politiquement marquer le coup. Signifier la rupture avec les formations précédentes dans lesquels les socialistes étaient présents. Mais sans guère de nuances. On dirait presque : sans totalement maîtriser le sujet, tant il est vrai que les partis étiquetés de gauche ou de centre gauche ont le plus souvent monopolisé les postes ministériels liés à l’emploi, ces quinze dernières années.
Travail obligatoire des chômeurs : à quoi joue la suédoise ?
Pour autant, l’emploi ne doit évidemment pas être l’apanage des partis qualifiés de progressistes. Mais les partis désormais au pouvoir seraient bien inspirés de s’attaquer au volet « emploi et non-emploi » avec davantage de prudence ; en s’entourant d’experts pointus et indépendants ; en consultant ceux qui, chaque jour, se frottent aux réalités de ce terrain si complexe et si rude. Sans cela, leurs projets se révéleront vite peu réalistes et, surtout, peu efficaces. Une politique socio-économique repensée et digne de ce nom se bâtit pragmatiquement et constructivement. Loin des balises idéologiques. A moins qu’il ne s’agisse précisément, comme on le disait plus haut, de marquer la rupture, et seulement de marquer la rupture. De donner des gages, en quelque sorte, à ceux qui les attendent. Ce serait dommage.
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