Transparence: toujours pas de bâton wallon
Pour une question d’efficacité, décision doit rimer avec sanction, sauf pour les entités publiques wallonnes. Pourtant, la transparence est à ce prix. Mais les mentalités évoluent lentement.
Déjà deux ans de palabres à propos d’un simple « bâton ». Cela semblait pourtant une formalité après l’adoption, en mai 2019, du décret dotant la Cada wallonne d’un pouvoir de décision contraignant, en remplacement de celui de simple avis. Une réforme cruciale car cette Commission d’accès aux documents administratifs est, comme ses soeurs au fédéral et dans les autres régions mais aussi ailleurs en Europe, un outil démocratique essentiel: elle préserve un droit constitutionnel, celui de la transparence de l’action publique. Bref, les élus wallons ne se sont pas encore accordés sur un mécanisme de sanctions qui permettrait de garantir le respect des décisions désormais rendues par la Cada.
Malgré le décret de 2019 et l’accord du gouvernement Di Rupo sur la question, la ministre concernée, Valérie De Bue (MR), s’y oppose (lire Le Vif du 10 décembre 2020). Le CDH a néanmoins déposé une proposition au parlement de Namur, le 16 septembre 2020. Le texte a reçu le blanc-seing du Conseil d’Etat et de l’Autorité de protection des données. Juste avant les vacances d’été, la présidente de la Cada wallonne a été auditionnée par le parlement. Comme elle l’avait fait dans les derniers rapports annuels de ladite commission, Valérie Michiels y a redit son attachement à un système de sanctions alliant des astreintes et un « pilori virtuel » épinglant sur son site Web les entités récalcitrantes, même si celles-ci sont relativement peu nombreuses.
Entre Namur et Ryad
Tout cela semble logique. Et pourtant, la majorité, visiblement divisée sur le sujet, cherche encore à gagner du temps. Son dernier argument: la position attendue de la Cour constitutionnelle sur la question préjudicielle que la Cada a dû lui poser dans un dossier éloquent. Celui des licences d’exportation d’armes wallonnes à l’Arabie saoudite. Plusieurs asbl, dont la Ligue des droits humains (LDH), suspectent qu’une partie de ces armes, officiellement destinées à la garde royale saoudienne, se sont retrouvées dans les mains de milices yéménites pour tuer des civils. D’où la demande des asbl d’avoir accès aux licences détaillant le type d’armes vendues et leurs bénéficiaires en 2019.
Face au blocage du gouvernement qui ne veut pas fournir ces informations, la Cada a été saisie mais s’est vu refuser l’accès aux documents qui lui auraient permis d’évaluer s’ils contenaient des éléments confidentiels tels que cela constituerait une exception légale au droit d’accès. Seule la Commission peut en juger. Mais le ministre-président Elio Di Rupo (PS) a remis en cause la capacité de la Cada à protéger la confidentialité des informations qu’elle reçoit, la suspectant, en gros, d’être à l’origine de fuites. D’où la question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur l’obligation de secret professionnel de la Commission. Ce faisant, une question implicite mais cruciale est également posée à la haute cour, intéressant directement le parlement dans l’examen du volet sanctions: la Cada est-elle une juridiction ou une autorité administrative?
En effet, seuls les juridictions et tribunaux peuvent saisir la Cour constitutionnelle. Or, si cette dernière déclare la question recevable, la Cada sera automatiquement reconnue comme juridiction. Idem, par ricochet, pour toutes les Cada existant en Belgique, ce point n’ayant jamais été tranché jusqu’ici. Cela permettra de déterminer quel type de recours les requérants déboutés peuvent introduire mais aussi le pouvoir de la Cada en matière de sanctions envers les entités récalcitrantes. Contrairement à une autorité administrative, une juridiction peut elle-même imposer une astreinte. La réponse de la Cour pourrait tomber cet automne. « On aura alors vidé le débat juridique et on pourra enfin passer à l’instant de vérité politique », commente François Desquesnes, auteur du décret CDH sur les sanctions. Du côté d’Ecolo, on a, en tout cas, toujours défendu le principe. « Un système de sanctions doit assurer l’effectivité de la règle, cela semble basique », déclarait Stéphane Hazée au Vif, fin 2020.
Il confirme aujourd’hui: « Nous restons demandeurs, surtout de la publication en ligne des récalcitrants, même si les décisions de la Cada semblent de mieux en mieux respectées. Il faudra juste veiller à ne pas mettre en place un système d’astreintes qui risque d’encourager des demandes multiples au vu de l’intérêt financier que cela peut entraîner dans le chef des requérants. » Mais, on le sait, la créativité politique est un art belge. On pourrait imaginer que les astreintes versées par les entités sanctionnées par la Cada alimentent un fonds pour la numérisation des communes. On imagine aussi qu’au gouvernement, on veillera à ce que le bâton ne soit pas trop lourd, car, un jour, il risque lui-même d’en faire les frais…
La Cada fédérale ne répond plus
Si la Cada wallonne fonctionne encore sans système de sanction deux ans après sa réforme, la Cada fédérale, elle, ne fonctionne carrément plus du tout. En cause: l’arrêté royal de nomination de ses membres, qui doit intervenir tous les quatre ans, n’a toujours pas été renouvelé. Le dernier date du 22 juin 2017. Or, il n’est pas prévu que les membres prolongent leur mandat tant qu’ils ne sont pas renouvelés. Le président de cette Cada a tout de même réussi à ne pas interrompre ses travaux durant une partie de l’été, en vertu de la continuité des services publics. Mais depuis le 1er septembre, la Commission est inopérante. Pire: il faut avoir introduit un recours pour s’en apercevoir car ce n’est pas annoncé sur le site. On peut juste le déduire en consultant la législation dans l’onglet spécifique. Toutefois, un recours ne peut être introduit qu’une seule fois. Tant pis pour ceux qui se sont ainsi fait « piéger ». Ils pourront néanmoins saisir le Conseil d’Etat (à grand frais et avec d’interminables délais). Soulignons aussi qu’une proposition de loi conférant un pouvoir décisionnel à la Cada fédérale a été déposée fin juin, notamment grâce au concours de trois étudiants de l’ULB ( Le Vif du 12 mars 2020), mais les négociations au sein de la majorité autour du texte coincent furieusement sur l’extension de l’obligation de publicité administrative aux… cabinets ministériels. Ce sont les libéraux qui rechignent, surtout l’Open VLD. Allô, Alexander De Croo?
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