Transparence: état des lieux des communes qui résistent
Publier en ligne les projets de délibération du conseil communal: a priori, simple et évident. Pourtant, le sujet divise les bourgmestres, y compris au sein d’un même parti. Etat des lieux.
« Ouhla, mais j’avais complètement oublié ce truc! C’est devenu tellement automatique et banal… » Olivier Deleuze semble sincèrement pris au dépourvu lorsqu’on l’appelle pour lui parler de ce « truc » à propos duquel les élus wallons, eux, palabrent tellement aujourd’hui. La commission des Pouvoirs locaux du parlement de Wallonie aurait été bien inspirée d’inviter le jovial bourgmestre de Watermael-Boitsfort lors de ses interminables auditions, en mars et en avril derniers, dans le cadre des débats sur la proposition de décret du CDH visant à rendre publics, dans toutes les communes du sud du pays, les projets du conseil et les délibérations du collège.
En effet, en novembre 2017, Olivier Deleuze était le premier en Belgique à avoir posté ces projets sur le site Web de sa commune. « Pour moi, ce n’est même plus un sujet de discussion, sourit le mayeur Ecolo derrière sa moustache à la Magnum. Les documents préparatoires du conseil sont de toute façon publics dès lors qu’ils sont transmis aux mandataires, dont ceux de l’opposition, qui peuvent les partager sur les réseaux sociaux. Autant les publier sur le site officiel. Où est le problème? » Ce n’est toutefois pas si évident pour tout le monde.
Combat de longue haleine
Voilà quatre ans que l’association militante Transparencia tente de convaincre les bourgmestres du sud du pays de franchir ce petit pas supplémentaire dans la transparence. « On a d’abord réussi avec Mons dont Elio Di Rupo était encore bourgmestre », se souvient Claude Archer, son fougueux leader. En effet, la mise en ligne des projets du conseil montois a démarré en octobre 2018, mais dix mois plus tard, la ministre Valérie De Bue (MR) s’y est opposée par arrêté, en vertu d’une lecture très orthodoxe du Code wallon de la démocratie locale. Mons a alors mis fin à la publicité de ces documents.
Toutefois, poussées par Transparencia, d’autres villes (essentiellement des bourgmestres PS) ont bravé l’interdiction de Valérie De Bue en publiant, à leur tour, les projets du conseil: Liège d’abord, suivie de Huy, Verviers, Tubize et aussi Ottignies – Louvain-la-Neuve. Et puis, au printemps 2020, Pierre-Yves Dermagne (PS), qui était ministre des Pouvoirs locaux, a cassé l’arrêté de sa prédécesseure libérale. Traînant quelque peu des pieds, Mons a alors réintégré le club de la transparence locale qui ne cesse, depuis lors, de s’agrandir: Tournai, Arlon, Namur, La Louvière, Charleroi, Gembloux, Nassogne, Marchin, Jurbise, Amay, Ecaussinnes, Manage… Dans la foulée, plusieurs députés CDH ont déposé, en juillet 2020, la proposition de décret qui est aujourd’hui en discussion au parlement régional.
Cela ne demande a priori pas tellement de boulot en plus.
Peur du changement
Leur initiative n’a pas empêché Transparencia de poursuivre sa campagne auprès des bourgmestres pour les persuader de ne pas attendre l’adoption du texte, qui s’annonce fastidieuse. Les réactions sont très diverses. Jurbise, la commune de la MR Jacqueline Galant, qui siège dans la commission des Pouvoirs locaux, s’est laissé convaincre assez facilement, fin mai. A Braine-l’Alleud, en revanche, la résistance reste farouche, malgré un avis de la commission d’accès aux documents administratifs (Cada) et surtout l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 avril dernier. Selon ces deux décisions, la commune de Vincent Scourneau (MR) ne peut refuser de remettre les projets de délibération à un citoyen qui en a fait la demande.
Suite à cela, l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) est vivement montée au créneau, le 14 juin, avertissant sur son site que l’arrêt de la haute juridiction « n’avait consacré aucune obligation de publicité systématique des projets du conseil dans le chef des communes », car il porte sur la publicité passive, soit une demande de communication. Le président de l’UVCW, Maxime Daye (MR), – qui n’a pas donné suite à notre appel – est le mayeur de Braine-le-Comte. Il refuse également de rendre publics les projets de son conseil.
Auditionné au parlement de Wallonie, il a argué que « les premiers remparts du contrôle démocratique sont avant tout les citoyens élus conseillers communaux ». Le CDH Benoît Dispa a répliqué: « S’arc-bouter sur la démocratie représentative pour faire barrage à une transparence accrue paraît être un combat d’arrière-garde… Je sens une peur du changement. » « Les mentalités et les outils ont évolué, cela justifie notre texte de modernisation, nous affirme François Desquesnes, un des auteurs de la proposition de décret CDH. Si on veut éviter une abstention comme en France, il faut mettre les citoyens dans le coup. »
Les résistances, surtout MR
Peur du changement? On sent les communes très divisées, y compris au sein de mêmes partis. C’est côté MR que l’opposition paraît la plus forte, Jacqueline Galant et son collègue de Fosses-la-Ville étant les seuls à avoir franchi le pas de la mise en ligne. Au point que Transparencia a interpellé le président du parti Georges-Louis Bouchez, également conseiller à Mons, qui, le 24 juin, a répondu être « déterminé à faire en sorte que les principes de transparence soient respectés à tous les niveaux de pouvoirs où le MR est présent ». Cela dit, au CDH, auteur de la proposition législative, il y a aussi des résistants (Houffalize, Viroinval…). C’est moins le cas au PS: même le collège de Saint-Nicolas, brocardé pour son manque de transparence dans un documentaire de David Leloup diffusé début juin sur la Une, a plié en sa séance du 18 juin…
Les principaux arguments des opposants sont la surcharge de travail occasionnée par la mise en ligne des documents et le risque de confusion auprès des citoyens qui ne comprendraient pas qu’il s’agit seulement de projets et non de décisions. L' »aspect chronophage » a été souligné au parlement par Fernand Flabat, président de la fédération des directeurs généraux communaux, lui-même DG à Waterloo qui fait partie des résistantes. Cependant, pour Jacqueline Galant, « cela ne demande a priori pas tellement de boulot en plus, car les projets sont d’office rédigés pour la séance du conseil et triés en fonction du huis clos ou du débat public ».
L’outil pratique d’Imio
En outre, l’intercommunale de mutualisation informatique (Imio), dont 150 communes wallonnes (sur 262) utilisent le logiciel iA.Délib facilitant le travail journalier de l’administration communale, a mis au point l’outil complémentaire deliberations.be pour la mise en ligne des projets du conseil. « Pour les communes qui tournent avec iA.Délib, c’est très facile, souligne Frédéric Rasic, directeur d’Imio. Il faut juste deux jours pour l’installation et la formation, soit entre 800 et 2 000 euros, selon les communes. Pour les autres, nous envisageons de rendre ce portail accessible même à ceux qui n’adhèrent pas à iA.Délib. Et nous travaillons sur une nouvelle fonctionnalité permettant de repérer les données personnelles dans les documents. »
Quant au risque de confusion, le vice-président de la commission Pouvoirs locaux, Yves Evrard (MR) préfère, lui, évoquer la manipulation de certains conseillers. « La transparence, bien sûr, mais alors responsable et balisée, pas pour faire bonne figure sous la pression d’une association militante, nous dit celui qui est aussi conseiller à Neufchâteau. Depuis que les séances du conseil sont retransmises sur le Web, on a vu des élus PTB en tirer des capsules hors contexte pour en tirer des fake news. Il faut être prudent. Cela dit, on se réjouit que, depuis son lancement en novembre, le conseil 2.0 a attiré jusqu’à trois cents citoyens-internautes durant le confinement. Habituellement, ils n’étaient qu’une vingtaine sur les bancs du public. » Neufchâteau a tout de même accepté de recevoir Transparencia et Imio, en octobre prochain.
Pour Yves Evrard, il faut laisser aux communes, surtout les plus petites, le temps de s’organiser. Un amendement au texte parlementaire (qui ne sera certainement pas voté avant les vacances) prévoit un délai d’application à rallonge: dix-huit mois, prorogeable d’un an. Bref, ce sera pour la prochaine mandature communale… Siégeant dans la même commission, mayeur empêché de Marchin qui vient d’accepter de mettre les projets de délibération en ligne, Eric Lomba (PS) n’y voit pas de l’atermoiement: « Les bourgmestres et les directeurs généraux sont de plus en plus débordés. Il vaut mieux convaincre qu’imposer, donc ne pas se précipiter. » En outre, la proposition CDH inclut la publicité des délibérations du collège dont les séances, elles, ne sont pas publiques. Un sujet bien plus controversé que celui des projets du conseil. Plusieurs parlementaires voudraient scinder les deux volets pour avancer plus vite sur le premier.
L’intérêt de publier avant le conseil
Les séances du conseil communal sont publiques, à l’exception des dossiers qui contiennent des données personnelles de certains administrés et qui doivent dès lors, comme le prévoit la loi, faire l’objet d’un débat à huis clos. Parmi les sujets publics: l’attribution des subsides aux asbl, les projets de travaux publics, l’acquisition de matériel, le lancement des marchés publics, le budget des fabriques d’église… Souvent, les citoyens qui assistent aux délibérations du conseil ont du mal à suivre, d’autant que les élus, eux, ont reçu les projets de délibération une semaine auparavant. La publication en ligne préalable de ces projets s’avère dès lors utile. « On ne peut pas dire aux gens « vous pouvez assister aux débats, mais débrouillez-vous pour comprendre de quoi on parle » », insiste François Desquesne (CDH). En disposant au préalable de ces projets, il est aussi plus facile d’interpeller l’un ou l’autre conseiller pour attirer son attention sur un point problématique, avant les débats.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici