Tracing: « Le texte manque de clarté et de lisibilité » (interview)
Véritable saga juridique, le tracing sera finalement échafaudé à partir d’un accord de coopération. Son contenu pose question, selon Alexandra Jaspar, directrice du Centre de connaissances de l’Autorité de protection des données.
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Des arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux reconduits dans l’urgence, des propositions de loi critiquées par le Conseil d’Etat, pour aboutir finalement sur un accord de coopération : rocambolesque, la trajectoire légale du tracing. Dans les prochaines semaines, l’Autorité de protection des données remettra un avis sur ce texte encadrant le traitement de données liées au tracing, dont le contenu a été révélé dans un énième arrêté royal de pouvoirs spéciaux.
Votre sentiment après la parution de cet arrêté royal ?
Par manque de temps, le texte de l’accord de coopération a été copié-collé dans ce nouvel arrêté royal sans demander notre avis préalable, ni celui du Conseil d’Etat. L’arrêté précédent, valable jusqu’au 30 juin dernier, posait déjà question à plusieurs niveaux. On nous soumet désormais un texte beaucoup plus édulcoré, reprenant les mêmes principes, mais, cette fois, avec une date de validité qui court jusqu’au 15 octobre. Peut-être fallait-il s’y prendre plus tôt. Ou, au moins, lire dans le détail nos précédents avis.
Il n’y a donc aucune amélioration ?
De manière générale, le texte, que nous sommes encore en train de découvrir, est bien plus détaillé que les précédentes versions. Il est plus fouillé et explique mieux les flux de données entre les cinq bases de données, même si sur certains points, il est paradoxalement plus nébuleux qu’avant. En ce qui concerne le traçage numérique, c’est plus conforme aux guidelines que le Contrôleur européen de la protection des données, dont nous faisons partie, avait émises il y a trois mois. En revanche, de nombreuses questions restent d’actualité : notamment, pourquoi une centralisation absolue des données collectées dans la base de données gérée par Sciensano ? Pourquoi le texte se refuse-t-il à lister toutes les données qui peuvent être ajoutées à cette base de données, en remettant cela à plus tard, échappant ainsi à la transparence nécessaire ? Pourquoi permet-il un couplage avec d’autres bases de données existantes, y compris celle des dossiers médicaux de tous les Belges ? A cela s’ajoutent des incertitudes liées à la recherche scientifique, le risque d’une potentielle réidentification des numéros de téléphone à partir de l’application de traçage numérique…
Quand remettrez-vous votre avis ?
On nous a demandé d’y travailler en extrême urgence. Nous allons vraiment faire de notre mieux, mais nous avons travaillé comme des acharnés au mois de mai, en croyant encore en une volonté de mettre en place un traçage respectueux de la vie privée. Après avoir rendu sept avis dont il n’a été tenu compte qu’à la marge, la motivation est moins vive. Surtout quand on voit que le texte qui nous a été remis, qui fait 77 pages, manque de clarté, de cohérence et même de lisibilité, ce qui nous contraint à poser toute une série de questions pour comprendre certains articles. Evidemment, nous rendrons notre avis au plus vite. Mais il ne sera techniquement pas possible d’être prêt avant le début des vacances parlementaires.
Beaucoup d’observateurs critiquent la mécanique de l’accord de coopération, qui ne permet pas un vrai débat dans les parlements. Qu’en pensez-vous ?
Comme le contenu d’un accord de coopération se négocie entre les ministres compétents, le vote dans les parlements se résume à un » oui » ou à un » non « . Il n’y a pas d’avancée possible sur le contenu. Au bout du compte, les parlements votent sans pouvoir proposer des amendements car, quand le texte leur parvient, c’est déjà trop tard. C’est une drôle de manière d’envisager le rôle de contrôle démocratique qu’exerce le parlement (lire également page 34). C’est un souci que n’ont pas manqué de soulever de nombreux spécialistes face à un enjeu d’une telle importance.
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