Peter Mertens
« Toute ma pension part en médicaments: combien de temps cela va encore durer, madame De Block ? »
De plus en plus de Belges s’inquiètent de voir les médicaments toujours plus chers. Des médicaments qui coûtent chez nous de cinq à dix fois plus que chez nos voisins néerlandais. En guise de protestation, 400 Belges se sont rendus ce week-end dans la ville frontalière de Hulst, aux Pays-Bas, pour y acheter des médicaments.
Pourtant, selon le président du PTB Peter Mertens, il pourrait en être autrement si la Belgique appliquait un système d’appel public d’offre, autrement dit le modèle Kiwi. Un système avantageux pour le patient, mais aussi pour la Sécurité sociale. Peter Mertens réfute point par point les arguments de la ministre Maggie De Block.
Ce week-end, 400 Belges ont envahi la petite ville frontalière de Hulst, non pour y faire du tourisme, mais pour y acheter des médicaments. Ils sont arrivés en car des quatre coins de la Belgique (Deurne, Hoboken, Zelzate, Molenbeek, Schaarbeek, La Louvière, Liège, etc.) dans le cadre d’une action organisée par les maisons médicales de Médecine pour le Peuple et le PTB.
Georges et Gerda : » c’est un mois entier de pension qui part en médicaments et frais de médecin «
J’ai moi aussi participé et ai pris le car à Deurne (Anvers) avec le docteur Dirk Van Duppen, organisateur de l’action. Dans le car, j’ai eu l’occasion de bavarder avec Georges Delombaerde (73 ans), ancien ouvrier chez Renault, et son épouse Gerda Vanderauwera (72 ans). Leur histoire illustre parfaitement toute la problématique des médicaments. Georges et Gerda prennent chacun cinq médicaments différents chaque jour. La plupart de ces médicaments coûtent beaucoup moins cher aux Pays-Bas.
Prenons par exemple l’antiacide omeprazole 40 mg grand format : son prix est de 52 euros en Belgique. Depuis le 1er avril dernier, Georges et Gerda paient ce médicament au prix plein puisque notre ministre de la Santé Maggie De Block a décidé de ne plus rembourser ce format. Le gouvernement fait des économies pendant que Georges et Gerda, et tous les autres patients, crachent leurs poumons. Aux Pays-Bas, ce même médicament (même format, même dosage et même marque) coûte 9 euros. 9 euros au lieu de 52 euros, je vous laisse faire le calcul.
Je pourrais citer un tas d’autres exemples comme celui-là. Le spray nasal Flixonase contre les allergies et la sinusite coûte 15 euros chez nous. Depuis le 1er avril, il n’est plus remboursé non plus. Il faut faire des économies, dit madame De Block. Aux Pays-Bas, ce même spray nasal coûte 4,50 euros. 4,50 euros au lieu de 15 euros. C’est du joli.
» Toute ma pension part en médicaments et frais de médecin, combien de temps cela va encore durer, madame De Block ? »
Georges a fait le calcul lui aussi. 700 euros, c’est la somme que lui et son épouse auraient pu épargner s’ils avaient pu acheter leurs médicaments aux prix pratiqués aux Pays-Bas. 700 euros par an ! Et s’il ajoute à ce chiffre le coût des séances de kinésithérapie de sa femme, c’est un mois entier de pension qui part en médicaments et frais de médecin sur l’année. D’où le beau succès de cette action. Le prix toujours plus élevé des médicaments est en effet devenu une préoccupation pour beaucoup et l’objectif de cette action est justement de démontrer qu’une politique de médicaments à prix abordables peut fonctionner.
Comment expliquer ces différences de prix ?
» Aux Pays-Bas, lorsqu’on a par exemple vingt firmes pharmaceutiques différentes qui fabriquent et commercialisent un même médicament, les organismes d’assurance pour les soins de santé organisent un appel d’offres. La firme qui offre le meilleur prix verra son médicament remboursé. On assiste alors à une chute des prix spectaculaire « , explique le docteur Dirk Van Duppen durant le trajet en car.
Il y a dix ans, Médecine pour le Peuple avait déjà organisé un voyage en car à Hulst. À l’époque, l’accent était mis sur le paracétamol. Pour le prix d’une boîte de Dafalgan chez nous, on peut acheter aux Pays-Bas de six à huit boîtes de paracétamol. Chez nos voisins, des chaînes de magasins comme Kruidvat achètent leur paracétamol en gros en organisant des appels d’offres. Aujourd’hui, ces appels d’offres s’appliquent également aux médicaments sur ordonnance, avec comme résultat une diminution de prix spectaculaire.
Nous ne voulons pas du modèle néerlandais, nous voulons le modèle Kiwi
» Nous ne voulons pas du modèle néerlandais, nous voulons le modèle Kiwi « , poursuit le docteur Dirk Van Duppen. » L’inconvénient avec le système néerlandais c’est la privatisation des caisses d’assurance maladie. Ce sont donc les actionnaires de ces compagnies d’assurance privées qui empochent les bénéfices engendrés par ces diminutions de prix. Sans compter que les entreprises pharmaceutiques réussissent parfois à monter les organismes d’assurance privés les uns contre les autres pour boycotter le système causant par la même occasion des ruptures de stock. En Nouvelle-Zélande, il existe tout comme en Belgique une assurance maladie publique, c’est elle qui se charge d’acheter les médicaments via des appels d’offres publics. Le modèle Kiwi tire donc son nom de ce pays dont le kiwi est le symbole. Contrairement à ce qui se produit aux Pays-Bas avec les appels d’offres privés, les bénéfices générés par les appels d’offres publics profitent aux patients et leur assurance maladie collective. «
C’est donc le modèle Kiwi que nous réclamons. Cela fait plus de dix ans que le PTB et Médecine pour le Peuple, en collaboration avec les mutualités et les organisations de la société civile, oeuvrent pour que soit appliqué le modèle Kiwi en Belgique. Ce système est d’ailleurs déjà mis en pratique chez nous pour les vaccins. C’est ainsi qu’en 2010, le prix du vaccin contre le cancer du col de l’utérus est passé de 330 euros par séance de vaccination à 52 euros grâce à un appel d’offres public. Aujourd’hui, ce vaccin est administré gratuitement dans toutes les écoles et le taux de vaccination est passé de 10 à 90 %. Si cela est faisable pour les vaccins, pourquoi ne le serait-ce pas pour les médicaments ?
Débat animé à la Chambre entre Maggie De Block (Open Vld) et Marco Van Hees (PTB)
Cette question, le parlementaire PTB Marco Van Hees l’a posée jeudi dernier à la ministre Maggie De Block lors d’une séance au Parlement. » Ce n’est pas aux médecins du PTB d’organiser des excursions en car pour aller s’approvisionner en médicaments bon marché aux Pays-Bas « , a attaqué madame De Block. » En effet, c’est à vous de le faire « , a répondu Marco Van Hees. » En tant que ministre de la Santé publique, cela devrait être votre rôle de vous préoccuper du sort des patients. «
Selon la ministre, une diminution du prix des médicaments chez nous entraînerait des problèmes d’approvisionnement. » Pourtant, lorsque, récemment, nous avons connu en Belgique de sérieux problèmes d’approvisionnement pour le Ledertrexate, un médicament contre les rhumatismes fabriqué par le géant pharmaceutique Pfizer, et qu’avec un groupe de patients nous avons dû intenter une action en justice pour obliger la firme à de nouveau assurer l’approvisionnement, vous n’avez pas bougé le petit doigt. Vous êtes donc très mal placée pour vous prononcer sur le sujet « , a rétorqué Marco Van Hees. Il a également fait référence à la proposition des Mutualités chrétiennes d’agréer via un système d’appels d’offres publics non plus un seul, mais plusieurs fabricants d’un même médicament pour ainsi éviter d’éventuels problèmes d’approvisionnement.
Pousser les patients à la surconsommation ?
La ministre reproche également aux médecins du PTB de pousser les patients à la surconsommation en leur proposant d’acheter des médicaments moins chers aux Pays-Bas. Ce serait également pour contrer la surconsommation que madame De Block a décidé d’augmenter considérablement le prix des antibiotiques depuis le 1er mai dernier. Elle a déclaré à la presse que » les Belges consomment trois fois plus d’antibiotiques que leurs voisins hollandais. Augmenter le prix obligera les patients à réfléchir à deux fois avant d’en consommer « . Elle a donc doublé le ticket modérateur, c’est-à-dire la partie que le patient paie de sa poche. Pour les affiliés ordinaires, il passe de 25 à 50 %, autrement dit, il double et pour les patients avec intervention majorée, il triple puisqu’il passe de 15 à 50 %. La ministre espère ainsi économiser 13 millions d’euros.
Il est donc bien question d’une mesure d’austérité déguisée. Si on veut réellement combattre la surconsommation, il faut avant tout s’occuper du comportement des médecins. Aux Pays-Bas, le patient ne paie pas de ticket modérateur, et pourtant la consommation de médicaments y est bien inférieure à la consommation chez nous. Ce qui démontre clairement que le prix n’a aucun impact sur la consommation des médicaments. C’est le médecin qui prescrit les médicaments aux patients. À cela s’ajoute le fait que pour une grande majorité de gens, la santé n’a pas de prix. Les patients sont prêts à payer de grosses sommes d’argent si, comme ils le croient, c’est pour préserver leur santé.. Seuls les patients les plus précarisés ne prendront pas d’antibiotiques pour des raisons financières. Avec le risque qu’une bronchite se complique et se transforme en pneumonie, ce qui leur coutera plus, ainsi qu’à la société.
Désormais, les antibiotiques ne sont plus des » médicaments essentiels «
Pour faire passer ses mesures d’austérité sur les soins de santé, la ministre De Block a déplacé les antibiotiques dans une autre catégorie. Désormais, les antibiotiques n’appartiennent plus à la catégorie de remboursement B, celle des médicaments essentiels, mais à la catégorie C, celle des médicaments dits de confort.
C’est très grave, car tous les antibiotiques figurent sur la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette mesure est contraire aux engagements internationaux pris par notre pays. Selon Freek Louckx, professeur de droit social à la VUB, la Belgique s’est engagée, en signant des traités européens, à ce que le ticket modérateur sur les médicaments essentiels ne dépasse jamais les 25 % du prix de revient. Mais, selon la ministre De Block, ces traités ne s’appliquent pas aux médicaments qui relèvent de la catégorie de remboursement C, dont font désormais partie les antibiotiques. Ainsi, par un habile petit tour de magie, abracadabra, Maggie De Block a décuplé le ticket modérateur en déplaçant simplement les antibiotiques dans une autre catégorie.
Tout cela est très inquiétant, car les antibiotiques sont des médicaments essentiels pour certaines personnes qui en ont réellement besoin. En ne respectant plus la logique des catégories de remboursement, la ministre crée un précédent très dangereux, qui pourrait demain concerner d’autres médicaments essentiels comme les réducteurs de cholestérol, les médicaments contre l’hypertension ou les anti-inflammatoires et ainsi permettre d’autres économies substantielles sur le dos des patients.
Comment Maggie De Block et Big Pharma ont réduit le kiwi en purée
Madame De Block a également rappelé à la Chambre que » Rudy Demotte (PS) avait par le passé tenté de lancer le modèle Kiwi chez nous, mais que cela avait été un échec « . C’est très rusé de sa part. Mais ce que la ministre oublie de dire c’est que c’est elle, Maggie De Block, qui est à la base de cet échec.
Le 22 mars 2005, Rudy Demotte a en effet présenté à la Chambre un projet de loi pour l’introduction du modèle Kiwi. À l’époque, l’objectif était de réaliser une économie de près de 504 millions d’euros. Cette nuit-là, l’industrie pharmaceutique a mis en route, pour reprendre ses propres mots, la « plus vaste machine de lobbying de tous les temps » afin de torpiller cette proposition de loi. Yolande Avontroodt (Open Vld) a alors, avec le soutien de Maggie De Block, à l’époque parlementaire Open Vld, apporté divers amendements à un projet de loi présenté par sa propre majorité.. Des amendements qui, comme l’avait commenté à l’époque le journaliste Tom Cochez dans le quotidien De Morgen, ont transformé le « kiwi en une purée de kiwi ». Au final, la version adoptée n’était plus que version ultra allégée du modèle de départ. Malgré tout, l’industrie pharmaceutique n’était toujours pas satisfaite. Elle a donc engagé une véritable bataille juridique contre Demotte lorsqu’il a tenté d’appliquer cette version Kiwi allégée sur le réducteur de cholestérol Simvastatine et sur l’antihypertenseur Amlodipine. Demotte a fini par jeter l’éponge.
La ministre prétend également que juridiquement, il est impossible d’appliquer le modèle Kiwi en Belgique. Rien n’est moins vrai. La bataille entre Demotte et Big Pharma est relatée dans les moindres détails dans une étude sur la faisabilité juridique du modèle Kiwi en Belgique, réalisée et publiée par le prestigieux cabinet d’avocats CMS De Backer en 2009. Une étude qui avait été commandée par la ministre de la Santé publique de l’époque, Laurette Onkelinx. Cette étude n’a jamais été transmise aux membres de la Chambre. Selon l’hebdomadaire Knack, qui avait pu la consulter (voir l’article « Kiwimodel is juridisch perfect mogelijk », paru le 26 juillet 2009), cette étude conclut très clairement que le modèle Kiwi est parfaitement réalisable chez nous sur le plan juridique, et prend donc à contre-pied le dernier argument de la ministre De Block.
Proposition de loi
Georges et Gerda et les 398 autres Belges qui se sont rendus samedi à Hulst l’ont fait pour donner un signal clair. Les médicaments sont trop chers chez nous et pourtant il pourrait en être autrement. Cette excursion en car à Hulst avait pour but d’une nouvelle fois attirer l’attention sur les prix exorbitants des médicaments en Belgique et sur l’alternative proposée par le modèle Kiwi.
Les réactions dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les maisons médicales montrent que le projet est largement soutenu. Nos représentants à la Chambre travaillent actuellement à une proposition de loi pour l’instauration du modèle Kiwi en Belgique. Les patients n’auraient alors plus besoin de se rendre aux Pays-Bas, du moins pas pour y acheter des médicaments moins chers.
Ce projet est également important pour notre Sécurité sociale. Dans une nouvelle étude, les spécialistes de la santé du PTB, Dirk Van Duppen et Sofie Merckx, ont calculé que l’application du modèle Kiwi aux 25 médicaments qui coûtent le plus cher à l’INAMI permettrait à l’assurance maladie de réaliser chaque année une économie de 480 millions d’euros.
Madame la ministre, qu’attendez-vous ?
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