Pascal De Sutter
Tous tricheurs, voleurs et menteurs ?
Pourquoi les électeurs veulent des dirigeants moins arrogants et plus humains.
L’affaire Jérôme Cahuzac, ce ministre du Budget français qui avait dissimulé au fisc un compte en Suisse, scandalise les citoyens, qui en éprouvent une défiance de plus en plus grande pour l’ensemble du monde politique. Se répand alors le « tous pourris » qui conduit à des votes aux extrêmes. Or si dans les dictatures, on entend moins parler de ce genre d’affaires, c’est parce que les journalistes indépendants sont menacés ou exécutés. Et les juges tenus sous contrôle du pouvoir. Nous devrions donc nous réjouir que, de temps à autre, surgissent des scandales politiques. Ils sont la preuve que la démocratie fonctionne bien. Les Français devraient porter aux nues François Hollande qui a permis que toute la lumière se fasse sur cette histoire. Or, c’est l’opposé qui se produit. Pourquoi ?
Tout d’abord, combien de Français ou Belges n’essayent-ils pas eux-mêmes de frauder le fisc d’une manière ou d’une autre ? Ensuite, est-ce si choquant que Cahuzac ait nié quelque temps son délit ? Jacques Chirac a souvent confondu ses poches avec celles de l’Etat français et il a menti durant toute sa carrière (au point que Les Guignols de l’info le surnommaient « super menteur »). Et pourtant, il est resté admiré et aimé de la majorité de la population. Paul Vanden Boeynants, bien connu pour son amour immodéré pour l’argent (et les façons controversées de le gagner) fut pourtant un des hommes politiques belges les plus populaires de son temps. Que se passe-t-il donc actuellement ? Observons que, paradoxalement, la majorité des leaders politiques sont certainement plus honnêtes que leurs prédécesseurs : Internet a créé une forme de tribunal permanent dont il est difficile d’échapper. Les politiciens des démocraties du XXIe siècle se savent observés à la loupe et sont donc généralement plus prudents qu’autrefois.
En tant que psychologue, je crois que ce qui choque dans ce genre d’affaire ce sont trois facteurs. Le premier, c’est la contradiction révoltante entre ce que l’homme politique exige des citoyens et ce qu’il fait lui-même. Le deuxième porte sur l’arrogance du comportement. Mépriser, agresser et diffamer ses accusateurs rend le personnage particulièrement odieux le jour où l’on découvre que ce n’était qu’hypocrisie. Enfin, avouer ses mensonges quand il n’y a vraiment plus moyen de nier l’évidence, ne donne pas aux aveux une impression de grande sincérité.
Il y a quelque temps, j’avais mené une recherche scientifique tendant à prouver que les électeurs préfèrent les personnalités politiques « authentiques » à celles qui veulent donner une image « idéale » d’eux-mêmes. Avec mon équipe, nous avions coaché de véritables hommes politiques (débutants et très peu connus) pour qu’ils reconnaissent dans leurs discours certaines de leurs erreurs, avouent s’être parfois trompés et concèdent même quelques défauts personnels. Le résultat fut probant : une augmentation des intentions de vote dans les sondages effectués. Je crois que les électeurs veulent des dirigeants moins arrogants et plus humains. Il ne s’agit pas d’étaler sa vie privée. Mais bien d’assumer humblement ses faiblesses occasionnelles, ses erreurs politiques et son incapacité à honorer certaines promesses électorales. Contrairement à ce que les personnalités politiques croient – ou à ce que leurs disent leurs conseillers – cela augmenterait leur crédibilité et leur popularité. Mais je ne les oblige pas à penser comme moi…
Pascale De Sutter, psychologue politique
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