Jacques De Decker
Théâtre: « il faut réduire le prix des places »
C’est une évidence, mais elle est trop ignorée : le théâtre est exceptionnellement florissant en Communauté française. Comparé aux territoires avoisinants, y compris la Flandre, il s’y distingue par son abondance, sa diversité, sa créativité, sa maturité et sa jeunesse.
Les chiffres le confirment, en termes de productions, de professionnels concernés, et de public, même si le théâtre ne retrouvera jamais sa position prioritaire datant d’avant les supports mécaniques, du cinématographe au numérique.
Mais sa pérennité a une raison simple : il est un art vivant, direct, profondément humain. Il suppose la confrontation d’acteur de chair, d’os et d’esprit face à des spectateurs tout aussi présents. Elle est dérisoire en comparaison avec les audiences des médias modernes, mais elle est irremplaçable.
Le théâtre est un artisanat qui ne pourra jamais se robotiser. Pour que ceux qui le pratiquent puissent en vivre sans ruiner ceux qui le fréquentent (sauf si ces derniers roulent sur l’or), il faut donc réduire le prix des places. Cette règle-là, devenue évidente depuis le milieu du siècle dernier, fait forcément dépendre cette activité, à l’instar de l’enseignement, dans une proportion infiniment moindre bien sûr, de l’intervention des pouvoirs publics.
Pour aborder l’immense enjeu de l’éducation, on a créé une administration géante. Le théâtre professionnel pour adultes, dont la masse active et salariale est dérisoirement moindre en comparaison, ne relève que d’un sous-département de ministère. Quelques fonctionnaires, une commission consultative, un ministre responsable dont ce n’est qu’un des innombrables soucis. En un mot comme en mille, voilà un secteur d’une rare complexité, géré de manière sous-équipée.
Pendant longtemps, ce qui pouvait s’aborder par le bricolage se résolvait cahin-caha. Jusqu’au moment où l’on a eu l’idée rationnelle en soi, mais inapplicable en pratique, de traiter l’ensemble globalement. C’est ce qu’a imaginé la ministre précédente, qui n’a pas été confrontée aux conséquences fâcheuses de cette hypothèse, et dont a hérité celle qui dut, dans la précipitation, poursuivre la manoeuvre, au point de devoir essuyer la colère d’une part importante du secteur.
Tout cela aurait pu être évité si la commission de consultation avait été judicieusement constituée. Ce ne fut point le cas : l’actuel aréopage est en majorité composé de membres bénéficiant de revenus personnels (en termes de salaire régulier) dépendant des subventions à répartir. Le conflit d’intérêts est loin de n’être que menaçant.
Résultat : renforcement des ressources des structures représentées au sein du Conseil supérieur du théâtre, assorti de mesures annexes atténuant l’impact des premières. Rien d’étonnant à ce que les protestations affluent, que le malaise soit palpable, que la ministre, de bonne foi, soit surprise par la fronde qui gronde. Le rideau est loin d’être tombé sur cette désolante tragi-comédie.
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