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Survol de Bruxelles : pressions sur Gilkinet et le gouvernement flamand

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

En fonction depuis deux ans, le ministre Ecolo de la Mobilité, Georges Gilkinet, est accusé d’inertie dans le dossier du survol de Bruxelles. Il assure toutefois préparer plusieurs mesures contre les nuisances aériennes. Pressions aussi sur le gouvernement flamand. Solutions en vue?  

Le 6 mai 2017, Georges-Louis Bouchez, pas encore président du MR mais déjà influent au sein du parti, envoie un tweet au bourgmestre libéral d’Etterbeek, Vincent De Wolf, et à d’autres personnes inquiètes de constater que le gouvernement fédéral tarde à tenir son engagement de réduire les nuisances sonores liées à Bruxelles-National. «Je comprends votre situation, écrit Bouchez. Le ministre Bellot va proposer un plan global très prochainement. Je reste à votre écoute. »

Très prochainement? Le dossier du survol de la capitale, théâtre d’un interminable bras de fer communautaire doublé d’un imbroglio technico-juridique, n’ est pas sorti du frigo cette année-là, ni les suivantes. Le «plan global» est resté dans les limbes sous les gouvernements Michel et Wilmès. François Bellot (MR), en charge de la Mobilité, a alors justifié son échec en ciblant les autres acteurs concernés, «incapables de porter une solution commune».

Deux ans de plus

Le ciel ne s’est pas éclairci depuis le décollage de la Vivaldi, en octobre 2020. Voilà deux ans que Georges Gilkinet (Ecolo), successeur de François Bellot à la Mobilité, est en charge du dossier des nuisances générées par le trafic de Brussels Airport. En mai dernier, des députés ont reproché au ministre Ecolo son inaction. «Il essaie d’ endormir les gens», affirme Benoît Cerexhe (Les Engagés), bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, l’une des communes survolées. «Il n’a pas avancé d’un centimètre, accuse l’Union belge contre les nuisances aériennes (UBCNA), alors qu’il dispose de toutes les études et analyses pour décider

« Les discussions en intercabinet patinent depuis des mois »

Depuis l’été, les plaintes de riverains affluent, le trafic aérien retrouvant son intensité d’avant la pandémie. En août, la piste 01 – diagonale Sud-Nord empruntée par vent de nord ou nord-est (voir l’infographie) – a été beaucoup plus utilisée que durant l’été 2021. Les appareils qui s’y posent survolent à basse altitude Waterloo, les quartiers de Joli-Bois et Stockel, Wezembeek-Oppem. La plupart des décollages, eux, se font depuis la piste principale 25R, orientée est-ouest, vers Bruxelles. En journée, la moitié des avions partis de cette piste virent à droite en direction de Haren, le ring nord, Grimbergen, Wemmel, tandis que l’autre moitié vire à gauche, survolant Evere, les deux Woluwe… Le virage gauche est très sollicité dès 6 heures du matin et tard le soir.

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Trafic en hausse

Ces derniers mois, une partie des avions qui viraient à droite (vers le nord) après leur décollage partent vers la gauche, survolant le sud-est de Bruxelles. «C’est le cas des vols en partance vers les villes du sud de la France, en raison d’une réorganisation du trafic aérien français, et des vols vers des pays comme la Finlande ou le Japon, depuis qu’ils évitent les espaces aériens russe et ukrainien», détaille Philippe Touwaide, médiateur fédéral pour le transport aérien. «Depuis le printemps, au moins un avion sur trois qui survole Woluwe-Saint-Lambert viole les normes de bruit», signale la commune bruxelloise, qui demande au ministre régional de l’Environnement, l’Ecolo Alain Maron, d’« ordonner à son administration de réclamer les amendes à chaque compagnie aérienne pour laquelle une infraction de bruit a été constatée

L’ aéroport national ne peut plus être «la poubelle sonore de l’Europe», reconnaît Georges Gilkinet, qui s’est engagé à «améliorer la situation d’ici à 2024, grâce à un plan d’action très volontariste». Un membre de son cabinet prévient: «La marge de manœuvre du ministre est étroite. S’il sort du bois, il s’expose à un tir de barrage d’un camp ou l’autre. Il a donc choisi la discrétion, au risque d’être accusé d’inertie.» Sa prudence ne surprend pas. Le dossier du survol de Bruxelles a éreinté plusieurs de ses prédécesseurs, dont l’Ecolo Isabelle Durant, contrainte de démissionner en 2003, et Melchior Wathelet (CDH), dont le plan a été descendu en flammes en 2014.

Volte-face flamande

«Les discussions en intercabinet patinent depuis des mois», confie l’une de nos sources. Le 28 septembre, Alain Maron imputait la paralysie à la Flandre. Selon lui, Georges Gilkinet a négocié avec les Régions une déclaration commune, « solide base de travail pour avancer », mais le gouvernement flamand « a décidé de claquer la porte ». Le cabinet de son homologue flamande Zuhal Demir (N-VA) a répondu que la déclaration commune ne constituait pas un accord préliminaire négocié par toutes les parties, mais une simple « proposition » du ministre Gilkinet à laquelle tous les gouvernements ont pu soumettre leurs objections.

Georges Gilkinet a livré à la Chambre sa version des faits : « Le fédéral et les Régions ont tenté de construire un cadre commun. Dix réunions, qui ont rassemblé des collaborateurs représentant les quatre gouvernements, ont permis d’aboutir à un texte prometteur. Dans la toute dernière ligne droite, j’ai dû constater qu’une des parties prenantes faisait marche arrière. » Le cabinet du ministre nous précise : « La déclaration commune devait être validée en Codeco début juin. Le 18 mai, le gouvernement flamand a envoyé des amendements remettant en cause la nature et les objectifs du texte. Suite à cette volte-face, nous avons tourné la page et concentré nos efforts sur l’élaboration d’arrêtés royaux visant à réduire les nuisances sonores. »

Textes en préparation

L’un de ces arrêtés vise à clarifier les normes de vents, un autre à instaurer une instance de contrôle du respect de ces normes, des procédures et du choix des pistes (organisme attendu depuis une éternité !). Seraient aussi en chantier de nouvelles normes de bruit pour écarter les avions les plus anciens. Gilkinet compte proposer une tarification spécifique selon les heures de vol et le bruit émis par l’appareil. Plus l’avion fait du bruit tôt le matin et tard le soir, plus il paierait de taxes. « Cela ne résoudra rien, craint un expert du dossier : les compagnies vont payer un peu plus pour pouvoir continuer à faire voler leurs zincs bruyants à ces heures là et elles répercuteront le surcoût sur leurs clients. Le seul bénéficiaire de l’opération sera l’aéroport. »

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Une nouvelle étude d’incidences commandée par Georges Gilkinet au bureau spécialisé Envisa retient plusieurs scénarios destinés à améliorer le confort d’un maximum de riverains. Le plus efficace, selon l’étude, serait de prolonger la piste 25 gauche de 900 mètres et d’y concentrer les départs, un investissement évalué à 50 millions d’euros. «Cette solution limiterait le survol de zones densément peuplées, mais toute la classe politique flamande y est hostile», tempère un spécialiste. Autre solution proposée par le bureau Envisa pour les départs depuis la piste principale 25 droite: remplacer le virage gauche, la route du canal et celle du ring par de nouvelles trajectoires en direction du nord, ce qui réduirait le nombre de personnes survolées de 16% en journée et de plus de 28% la nuit. Mais ce changement-là serait également rejeté par la Flandre, opposée à tout survol supplémentaire de communes flamandes.

Le permis d’environnement de Brussels Airport expirera en juillet 2024.

Vieux avions pas remplacés

L’étude Envisa plaide pour la modernisation des avions qui opèrent sur le tarmac de Brussels Airport, ce qui aurait un impact positif sur le bruit et la pollution. «Cela soulagerait tous les riverains, à Bruxelles et dans les deux autres Régions, reconnaît le médiateur fédéral Philippe Touwaide. Mais le règne de l’impunité prévaut à Zaventem. Une mesure de ce type a été adoptée il y a douze ans, accompagnée d’exemptions accordées aux compagnies aériennes pour qu’elles aient le temps de renouveler leur flotte. Depuis, presque rien n’a été fait. De vieux avions et des gros porteurs très bruyants continuent à être autorisés à Zaventem.»

Les bourgmestres et comités de riverains bruxellois réclament l’extension de la période de restriction des vols jusqu’à 7 heures du matin, ce qui soulagerait des dizaines de milliers d’habitants, réveillés chaque jour dès 6 heures par des avions bruyants. L’étude Envisa avance aussi cette idée. Mais Brussels Airport fait valoir qu’une telle mesure aurait des conséquences économiques significatives pour l’aéroport national et les compagnies et qu’un report de nombreux décollages et arrivées après 7 heures du matin chamboulerait toute l’activité aéroportuaire. Des compagnies aériennes exigent que leurs avions puissent faire trois rotations par jour, ce qui implique des mouvements aériens de 6 heures du matin à très tard le soir.

Cela fait des années que les comités de riverains, relayés par leurs bourgmestres, réclament une restriction des vols jusque 7 heures du matin. En vain.
Cela fait des années que les comités de riverains, relayés par leurs bourgmestres, réclament une restriction des vols jusque 7 heures du matin. En vain. © belga image

«Nous n’en dormons plus»

Le trafic aérien a un impact sanitaire et environnemental non négligeable sur les communes survolées. Le bruit des avions cause chez les riverains qui vivent et travaillent sous des trajectoires de vol très fréquentées une augmentation du stress, des insomnies, des dépressions, de l’hypertension artérielle, des crises cardiaques, des maladies pulmonaires… La combustion de kérosène dans les réacteurs émet du dioxyde de carbone et des polluants gazeux comme de l’oxyde d’azote. La Vlaamse Milieumaatschappij (société flamande de l’environnement) a relevé des concentrations de particules ultrafines jusqu’à une distance de 7 kilomètres de l’aéroport.

Ces constats ont incité l’organisation environnementale Bond Beter Leefmilieu et plusieurs groupes d’action de la périphérie de Bruxelles (Awacss, Sterrebeek 2000, Wake-Up Kraainem, UBCNA, Actie Noordrand…) à accorder leurs violons et à passer à l’action. Le 11 octobre, ils ont lancé une pétition et publié leurs revendications (campagne «Nous n’en dormons plus»). Ils demandent la suppression progressive des vols de nuit, un plafonnement du nombre de mouvements de vol, l’introduction d’une zone de basses émissions en l’air et l’instauration de limites de bruit et de fréquences de survol, afin de réduire les nuisances sonores pour tous les riverains. L’an prochain, le gouvernement flamand fixera de nouvelles conditions d’autorisation pour Brussels Airport, dont le permis d’environnement expirera le 8 juillet 2024. Les associations espèrent que leurs revendications seront prises en compte dans le nouveau permis.

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