© Charles Monnier

Successions : pourquoi il faut planifier. Voici notre guide pratique

Philippe Berkenbaum Journaliste

Plus de 3 000 pactes successoraux ont été conclus en un an, ressort-il des chiffres de la Fédération du notariat. Rendus possibles grâce à la réforme du droit des successions entrée en vigueur le 1er octobre 2018, ces pactes sont des accords que les parents concluent avec leurs enfants, de leur vivant, pour écarter toute discussion ultérieure. Intéressé ? Voici notre guide pratique.

Eviter l’incertitude… et les conflits entre les héritiers en général et les enfants en particulier, qu’ils soient ou non issus d’un même lit. Tel est l’objectif du pacte successoral tel que prévu par la réforme du droit des successions entrée en vigueur voici tout juste un an. En gros, ce document (notarié) permet, du vivant de tous les acteurs concernés, de formaliser un accord consolidant les donations déjà effectuées ou à venir, dans le but d’éviter les complications après le décès.

Avant le 1er octobre 2018, il était juridiquement interdit de s’asseoir autour d’une table avec ses proches pour conclure des accords afin de régler sa succession à l’avance de façon ouverte, franche et honnête. Si de tels accords étaient couchés sur le papier de ce qu’on appelait déjà un  » pacte sur succession future « , ils n’avaient aucune valeur contraignante et risquaient d’être considérés comme nuls et non avenus après le décès du testateur, pourvu qu’un héritier en conteste la validité après coup – même s’il l’avait initialement signé.

Face à l’évolution de la société, à la croissance du nombre de familles recomposées et à la nécessité pour de nombreux parents de pouvoir donner un coup de pouce financier à l’un de leurs enfants sans léser les autres membres de la fratrie et futurs héritiers, le législateur a décidé d’assouplir cette interdiction, dans le cadre d’une réforme plus large visant à remettre notre droit des successions à la page. Mais attention, tout n’est pas permis : deux types de pactes successoraux sont désormais autorisés et pour être valables, ils doivent respecter une procédure strictement encadrée par la loi.

« Après moi, pas de conflit ! »

Preuve que cette évolution était attendue, les chiffres récemment dévoilés par la Fédération des notaires. Plus de 3 000 de ces pactes successoraux ont été rédigés depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle législation. Cela paraît peu par rapport au nombre de testaments enregistrés sur la même période (60 000), mais c’est une possibilité que le contribuable commence à peine à découvrir. Et qui ne s’applique pas à toutes les situations. Comme le précise un notaire cité par L’Echo, si  » certains préfèrent ne rien régler à l’avance par crainte de la réaction de leurs enfants et préfèrent qu’ils se débrouillent à leur décès, l’objectif du législateur est précisément d’inciter les familles à déminer des situations potentiellement conflictuelles.  »

Selon ces confrères que nous avons interrogés, beaucoup de citoyens s’informent et réfléchissent à la meilleure façon de régler leur succession future. Tous les professionnels se disent convaincus de l’intérêt de la formule et du fait qu’elle va progressivement entrer dans les moeurs. En témoigne cette famille qui préfère demeurer anonyme : un couple, trois enfants, une société familiale, plusieurs immeubles en patrimoine privé, quelques économies. L’un des fils a repris les rênes de l’entreprise, sa soeur y a travaillé un temps avant de changer d’orientation, le benjamin oeuvre dans un tout autre secteur. Et l’entente n’est malheureusement pas très cordiale entre eux…

 » Après mon décès, tout sera partagé entre mes enfants selon les règles classiques d’une succession, déclare le patriarche. Mais ce n’est pas juste : depuis quelques années, c’est mon fils qui dirige la société et la fait fructifier. Mes autres enfants n’y sont pas intéressés. Je cherche donc le moyen de faire en sorte que la société – ou, du moins, la majorité des parts – revienne à mon aîné, sans pour autant léser les deux autres… et sans que cela ne crée de jalousie. Ni aujourd’hui ni, surtout, après ma mort.  » Pour l’heure, le couple consulte.  » Mais depuis que j’ai entendu parler du pacte de succession, je ne doute pas que qu’il puisse apporter la meilleure solution. Reste à savoir comment répartir mon patrimoine et à mettre tout le monde d’accord. Nous attendons les suggestions du notaire avant d’en parler à nos enfants.  »

L’heure des comptes

Concrètement, l’idée est avant tout de réunir l’ensemble des héritiers directs – enfants, petits-enfants, voire beaux-enfants – pour une discussion franche et ouverte. A chacun de la mener comme il l’entend, bien sûr. Mais le principe doit être de mettre sur table tout ce qui fera l’objet de la future succession – bien meubles et immobiliers, parts de l’entreprise familiale, oeuvres d’art éventuelles, etc. – , de s’accorder sur leur valorisation et de lister tout ce qui a fait ou fera l’objet d’une donation ou d’avantages divers au profit d’un ou plusieurs héritiers.

Il ne s’agit pas de tendre vers l’égalité parfaite mais de trouver une forme d’équilibre, grâce auquel personne ne se sentira lésé et sur lequel chacun pourra marquer son accord. Un équilibre forcément subjectif, tant on compare parfois des pommes et des poires… à un moment déterminé dans le temps. Entre le montant de leur valorisation dans le pacte et leur valeur réelle au moment où surviendra le décès, plusieurs années plus tard, les immeubles, les titres, les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art peuvent avoir fructifié ou, au contraire, perdu des plumes. De plus, on pourra éventuellement mettre dans le même sac le financement de cinq années d’études à l’étranger pour l’un des enfants et la possibilité offerte à un autre d’occuper un appartement familial sans payer de loyer. Tout cela devra donc être discuté sans tabou jusqu’à trouver un consensus.

Familles recomposées

Cela peut prendre du temps, un pacte de succession ne se scelle pas en une seule discussion. Car une fois signé, peu importe si la valeur respective des différents biens évolue entre sa signature et le moment du décès, il engage tous les signataires… pour autant que chaque héritier ait marqué librement son accord et apposé son paraphe devant notaire.  » Il est essentiel que les parents et les enfants comprennent et évaluent correctement les conséquences de leur décision « , avertit la Fédération notariale.

La nouvelle loi autorise même le pacte à aller plus loin que la part réservataire dévolue aux enfants, si tout le monde est d’accord. Rappelons au passage que cette dernière a également été visée par la réforme. Avant, la réserve des enfants – c’est-à-dire la part minimale d’un héritage à laquelle les enfants ont droit en tout état de cause – était fonction de leur nombre : la moitié du patrimoine s’il y en a un, un tiers chacun s’il y en a deux, un quart chacun s’il y en a trois, etc. Désormais, la réserve des descendants directs est réduite à la moitié du patrimoine quel que soit leur nombre. Le reste peut librement être destiné à d’autres bénéficiaires, quels qu’ils soient : personnes tierces, oeuvres, fondations, etc. De quoi permettre aussi d’établir un équilibre, le cas échéant, entre les enfants d’une famille recomposée, dont tous n’ont pas le même père ou la même mère. Ou de se montrer plus généreux envers son ou sa dernier.ère partenaire.

Au moment de la succession, les compteurs seront remis à zéro : tout ce qui est prévu dans le pacte et couvre des avantages déjà acquis par les uns ou les autres ne pourra plus être remis en question. Attention : il ne peut s’agir d’un document signé sur un coin de table mais d’une procédure soigneusement encadrée par un notaire. Laissant à chaque signataire le temps de bien peser sa décision en connaissance de cause. Car une fois accepté et signé par toutes les parties, le pacte est irrévocable. Autant le savoir.

Les testaments s’envolent aussi

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du droit des successions, le nombre de testaments enregistrés a, lui aussi, explosé : plus de 60 000 au 1er septembre dernier, selon la Fédération belge des notaires. Sur un an, la hausse est supérieure à 15 %.  » La modernisation des règles a poussé plus de Belges à réfléchir et à préparer leur succession « , estime Fednot dont plus de 80 % des membres affirment que leurs clients utilisent la nouvelle liberté qui leur est offerte.

Liberté ? Celle de réserver une plus grande part de l’héritage à d’autres bénéficiaires que les héritiers directs (enfants), grâce à la réduction de la  » réserve  » à 50 % du total de la succession. Désormais, les parents peuvent choisir de laisser davantage à leur partenaire, à leurs petits- ou beaux-enfants, à un tiers, à une association… ou d’aider un de leurs enfants dans le besoin, par exemple. Voire d’en avantager un par rapport aux autres. Premiers bénéficiaires de cette évolution : les associations caritatives et humanitaires. Un choix facilité par le fait que dans le cas des legs qu’elles reçoivent, les droits de succession peuvent être réduits entre 7 et 12 % – contre 80 % dans le pire scénario pour un héritier sans lien de parenté avec le défunt.

Quoi qu’il en soit, les notaires interprètent volontiers ce nouvel engouement pour les testaments et autres pactes successoraux comme la preuve d’une prise de conscience de la nécessité de planifier sa succession. Dans un contexte non seulement plus souple, mais également plus favorable, sur le plan fiscal, pour les donations entre vifs. De quoi donner du tonus à ces dernières et justifier d’autant plus, pour éviter toute contestation future, la rédaction d’un pacte de succession.

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