Laurence Van Ruymbeke
Stéphane Hessel : le héraut paradoxal d’une jeunesse indignée
Il disait attendre la mort avec gourmandise. Non qu’il ne soit pas heureux de vivre mais qu’il lui semble important, à un moment, de pouvoir inscrire le mot « fin » au bas d’une vie peu commune.
« Vient un temps où il est juste de s’endormir », disait-il. Et ainsi fit-il. Stephane Hessel, en quittant la Terre au beau milieu de la nuit, sans bruit, n’a fait que réaliser ce souhait.
La force de ce petit monsieur en costume trois pièces, fripé par le temps qui passe, résidait dans une foi qui, elle, n’avait pas pris une ride. Un réflexe permanent consistant à croire que le changement était possible, pourvu que l’on eut confiance en l’espèce humaine, et à détecter, dans tout paysage, le rose plutôt que le noir. « Il y a dans le monde, partout, des efforts extraordinaires qui sont faits pour que les choses changent, même au niveau local, disait-il. C’est cela qui maintient l’indignation vivante. »
Révélé au grand public à partir de l’automne 2010, quand il signa son petit manifeste « Indignez-vous », Stephane Hessel a incarné, paradoxalement, l’élan d’une jeunesse à bout de souffle. Celle qui descendit dans les rues de New York, Barcelone ou Athènes, sans leader et sans véritable programme, si ce n’est son indignation, portée à bout de bras, son rejet d’un système économique, financier et politique aux contours flous mais en tous cas injuste. A l’indignation devait succéder l’engagement. L’avenir dira si les exaspérés d’hier deviendront, demain, des porteurs de projet aux pieds ancrés dans la terre, quand bien même leur regard reste tourné vers les étoiles.
Le nonagénaire Hessel, ancien déporté, ancien résistant, ancien diplomate, n’était pas naïf. Il ne prétendait pas avoir lancé le mouvement des indignés, dont il s’attendait à ce qu’il s’essouffle, inévitablement. Mais le message de ces indignés, dont les masques à fines moustaches ont fait le tour du monde et la fortune de leurs fabricants, doit être entendu, insistait-il. « Montrez leur que vous êtes conscients de leurs demandes, qui portent sur la satisfaction des besoins élémentaires des classes non privilégiées, et que vous prenez cette revendication au sérieux, exhortait-il les responsables politiques. Cette seule écoute ferait déjà du bien. Certes, cette revendication est encore en mouvement et se cherche. Mais le monde doit changer, ça ne peut durer comme cela. Il faut, pour cela, un accord entre les mouvements d’indignés et les dirigeants politiques. »
On est loin du compte. « Pour répondre à la mainmise de l’oligarchie financière, il faut qu’intervienne une rénovation de la pensée de gauche« , disait encore cet ancien proche de Pierre Mendès-France. En Europe, il se peut que les partis de gauche remettent effectivement la barre à bâbord – c’est d’ailleurs l’orientation prise, en Belgique, par le PS – mais Stephane Hessel n’y est pas pour grand-chose. Les partis de gauche sentent le vent tourner et la population se lasser d’une austérité que « même ces partis-là » leur imposent. Est-ce trop tard ?
Stephane Hessel ne sera plus là pour voir sur quoi débouchera dans 3, 5, 10 ans, ce mouvement de contestation un peu désespéré, un peu vain, mais tellement avide d’éclaircies. « J’ai la chance d’être très vieux et de pouvoir me souvenir de ce qui allait mal avant et qui va mieux maintenant. Cela me suffit », expliquait-il. Les indignés avaient précisément le sentiment inverse…
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