Jan Nolf

Stéphane Hessel et la justice

Jan Nolf Juge de paix honoraire

Stéphane Hessel n’est plus, mais ses encouragements à la réflexion, la critique et l’action animeront encore des générations d’indignados. Et ils sont de plus en plus nombreux, au point d’en faire parfois un réflexe gratuit qui ne dure que le temps d’un journal télévisé. Stéphane Hessel par contre, mena un combat de fond et de vie.

Chaque jour ou presque, la justice parvient à se glisser dans l’actualité. Des faits divers à première vue qui cachent des questions de principe et des drames qui se résument parfois à la condition humaine. Mais trop souvent la situation dramatique de notre justice se révèle.

Le reportage de l’émission Panorama (VRT) au sujet de la tentative mortelle de la « mise en observation » de Jonathan Jacob près d’Anvers a mis le grand public en émoi. À cette tempête médiatique s’ajoutait hier la révélation par le procureur-général que la procureure du Roi avait gardé pendant 3 ans un silence bien étrange au sujet de son rôle dans cette navette de la mort.

En effet, après la décision du substitut, le patient psychiatrique fut présenté à deux reprises à l’hôpital psychiatrique de Boechout par la police, mais refusé par la direction et le médecin-chef. Le patient devenant plus agité avec les heures qui passent fut placé dans une cellule de police à Mortsel où un médecin arriva afin de lui injecter un produit calmant. Force est de constater que l’intervention violente de l’équipe d’assistance spéciale anversoise était bien liée à cette intervention médicale, à tel point que le médecin avait d’ailleurs déjà une première fois rebroussé chemin parce que l’équipe n’était pas encore sur place. Lors de son retour, aucune initiative ne fut prise par ce même médecin d’entrer en contact avec le patient avant l’intervention policière fatale. L’injection fut d’ailleurs finalement administrée dans un corps inanimé.

Le médecin en question n’était nullement le médecin traitant du patient psychiatrique, mais fut le même matin l’auteur de l’avis médical dans la procédure d’urgence à la demande du parquet. Dès lors la question évidente se pose : à la demande ou sur ordre de quelle autorité, la décision de cette intervention médicale fut prise ? Et de quel droit ce médecin aurait-il obéi ?

La loi prévoit qu’à défaut de tout autre traitement approprié (!), le juge de paix (ou dans une procédure d’urgence, provisoirement le parquet) est compétent pour la décision juridique de la mise en observation d’un patient psychiatrique « à condition qu’il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui ». Il s’agit d’une mesure d’exception: l’État belge a déjà été condamné en 2004 par la cour d’appel de Gand pour une faute professionnelle d’un substitut du procureur du Roi dans l’interprétation de ces conditions restrictives.

Une fois cette décision juridique prise, c’est le monde médical qui se charge du suivi: aucune autorité juridique n’a le droit de dicter aux médecins la nature des soins et le cas échéant, l’intervenant médical devrait s’opposer à telle ingérence intolérable.

À Anvers, à deux reprises, les rôles s’avèrent inversés. D’abord le psychiatre s’habille en toge noire en défiant la décision du parquet. Et ensuite, le parquet endosse le tablier blanc du médecin en ordonnant l’administration du calmant.

Stéphane Hessel qui milita infatigablement pour les droits fondamentaux et l’état de droit s’en serait indigné dans les deux cas. Mais son héritage s’avère encore plus important pour la relation des magistrats entre eux.

Récemment, le Conseil supérieur de la Justice publiait son ‘Guide pour les magistrats. Principes, valeurs et qualités’. À la page 12, ce guide mentionne : « Lorsque la démocratie et les libertés fondamentales sont en péril, la réserve cède devant le droit d’indignation » .

Dans des Opinions dans Knack et la VRTDeRedactie, je me suis étonné, avec mon collègue Freddy Evers et le chercheur Bart Nélissen, que cette publication ne prévoie pas plutôt l’obligation d’indignation.

L’indignation n’est pas un droit, c’est un devoir. Un devoir d’agir. Et parfois il est simple: dire ‘non’, refuser, désobéir.

Si les magistrats et les intervenants policiers dans la chaîne de commandement à Anvers se s’étaient imprégnés de ce devoir qui n’est autre qu’une vertu, Jonathan Jacob serait encore parmi les vivants.

Avec son décès et la guerre des clans dans un parquet et parquet-général qui s’est déjà fait une sombre réputation avec #diamantgate, c’est aussi la justice qui meurt un peu.

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#justitiewatcher

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