Statut et salaire des ministres: ces avantages qui énervent (analyse)
Gros traitements et petits avantages accordés aux parlementaires et aux ministres énervent. Même si les règles se durcissent, le manque de transparence et certaines dispositions financières dont bénéficient les ministres n’ont pas fini de pimenter les débats.
Ce ne sont pas vraiment des lingots d’or, même si les montants sont importants. C’est plutôt une petite pierre pointue dans leurs souliers, que l’on imagine vernis, tous ces traitements et autres avantages que reçoivent les mandataires politiques. Les polémiques et les débats, depuis plusieurs années, sont nombreux.
La pension des parlementaires.
Leurs indemnités de sortie.
Le traitement des ministres.
La taille de leurs cabinets.
Leurs avantages et ceux de leurs cabinettards.
Les cumuls et les incompatibilités.
Mais, surtout, ces débats et ces polémiques sont infinis, dès lors qu’aucune mesure ne pourra jamais suffire.
Le problème est, pour les politiques, insoluble.
Puisqu’ils s’imposent eux-mêmes les contours de leur statut, celui-ci sera nécessairement toujours perçu comme exagérément avantageux. Alors que le peuple besogne, ses représentants ne peuvent que se goberger. Et tant pis si, depuis plusieurs années, des dispositions sont prises, de plus en plus restrictives.
La semaine dernière encore, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) revenait ainsi sur un avantage moyennement apprécié de l’opinion éclairée, qui coûtait, en 2021, 800 000 euros à la FWB (et 435 000 à la Région wallonne). Le ministre-président Pierre-Yves Jeholet a fait adopter, le 2 juin, par son gouvernement un arrêté qui en finit avec la mise à disposition de deux employés à plein-temps, pendant cinq ans, pour les ministres sortis de charge. L’ éminence retirée, à l’avenir, ne pourra plus disposer que d’un collaborateur, et pour une durée limitée à deux ans. En Flandre, à Bruxelles, et à l’échelon fédéral, les mêmes limitations ont été – ou devraient être – imposées, le gouvernement wallon, lui, s’y montrant moins enthousiaste. «Et, bien sûr, les mandataires concernés pourront toujours choisir de refuser», précise Pierre-Yves Jeholet.
Une remarque valable, du reste, pour à peu près chacune des dispositions de chacun des statuts régissant chaque fonction politique. Mais il semble que quand on doit décider pour soi-même, on est plutôt plus enclin à recevoir qu’à se priver. C’est pourquoi les règles sont nécessaires. Et c’est pourquoi elles sont nécessairement insuffisantes. Parce qu’on est toujours plus clément avec soi-même qu’avec les autres. Et qu’on est souvent plutôt discret, quand il s’agit de se faire des cadeaux à soi-même.
Quand on doit décider pour soi-même, on est plutôt plus enclin à recevoir qu’à se priver.
Circulaires non publiées
C’est bien sûr le cas pour les parlementaires, qui doivent s’entendre pour légiférer sur leur propre statut, mais encore ces débats sont-ils par nature contradictoires: dans le bureau des assemblées où ils se tiennent, tous les groupes politiques sont représentés.
Mais ça l’est surtout pour les ministres, qui, spécifiquement, organisent eux-mêmes le régime auquel ils sont soumis sans se faire embêter par des opposants, et en limitant la publicité de cette organisation à son plus rigoureux minimum.
«Le gouvernement détermine le statut de ses membres», spécifie la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980.
Lorsqu’un gouvernement entre en fonction, il établit, par voie d’arrêté, les moyens dont il disposera: le nombre de collaborateurs de chaque cabinet, leurs émoluments et autres avantages, etc. Mais c’est par circulaire que l’exécutif régit le statut de ses propres membres.
Or, ces circulaires ne doivent pas être publiées au Moniteur belge. Il ne reste donc, pour ceux qui veulent connaître le statut social d’un ministre, que de très peu loquaces lignes dans un océan de tableaux budgétaires, que ce que les communiqués de presse veulent bien en raconter, ou ce que des fuites ou des questions indiscrètes veulent bien révéler.
Prenons l’exemple des ministres du gouvernement fédéral. La circulaire sur laquelle s’appuie leur situation est datée du 1er juillet 1996. Elle pourrait sembler dater du temps des ministres en calèche et haut-de-forme. Ses versions ultérieures n’ont pas été publiées au Moniteur belge.
Alors que, grâce à de très opportuns communiqués de presse, l’on sait notamment que sous le gouvernement Di Rupo les émoluments ministériels avaient été rabotés de 5%.
La consultation des tableaux budgétaires permet de se faire une idée globale des grandes masses mobilisées pour entretenir un membre du gouvernement et l’équipe qui l’entoure.
Selon le budget fédéral 2022, un vice-Premier ministre percevra, aux titres de «traitement et frais de représentation» environ 250 000 euros brut.
Les différents postes alloués à son cabinet (rémunérations et indemnités des organes stratégiques, rémunérations et indemnités des experts, frais de fonctionnement et d’ameublement, frais informatiques, rémunération des détachés, etc.) se situent, en fonction du vice-Premier et de ses compétences, entre quatre et cinq millions d’euros annuels.
Le ministre du rang, lui, devra se contenter de «traitement et frais de représentation» un tout petit peu moindres, autour des 240 000 euros, et d’un cabinet qui ne coûtera «que» trois millions d’euros. Enfin, les «traitement, indemnités et frais de représentation» d’un secrétaire d’Etat s’élèvent à quelque 235 000 euros, tandis qu’un budget d’un million et demi d’euros est alloué à son équipe.
Certaines indemnités versées offrent à leur récipiendaire des avantages que le commun, peu enclin à l’optimisation fiscale, n’imagine pas trop.
Frais défiscalisés
Il y a quinze ministres, dont sept vice-Premiers, et cinq secrétaires d’Etat, dans le gouvernement De Croo.
Les sommes consacrées à entretenir ces excellences et leurs équipes peuvent sembler folles, et, dans une certaine mesure, elles le sont. Mais l’ensemble de ces frais ne compte même pas pour un demi-pour cent des dépenses de l’Etat fédéral, sécurité sociale non comprise.
Mais il existe, bien sûr, dans les termes de leur contrat de travail et dans la manière dont il s’applique, des dispositifs qui ont de quoi déranger.
D’abord, il y a le fait que quand on est ministre, on est transporté, puisqu’on peut disposer d’un chauffeur, et souvent nourri, et même blanchi, sans devoir y consacrer un sou de son propre revenu.
Mais aussi, et surtout, il y a le fait que certaines indemnités versées offrent à leur récipiendaire des avantages que le commun, peu enclin à l’optimisation fiscale, n’imagine pas trop.
Les montants affichés dans les tableaux budgétaires ne sont pas tous soumis à la même imposition. Ainsi, la circulaire du 1er juillet 1996 prévoit-elle certains types de dédommagement for-faitaires, qui ne doivent pas être justifiés: pour sa représentation, pour un logement ou pour des dépenses domestiques.
«A l’instar de l’indemnité forfaitaire pour frais exposés versée aux parlementaires, les indemnités pour frais de représentation, pour frais de logement ou pour frais domestiques versées aux membres des différents gouvernements sont versées quelles que soient les dépenses effectives et ne doivent pas être couvertes par des pièces justificatives», observait ainsi, en 2009, un Courrier hebdomadaire du Crisp.
Ces avantages sont fiscalement gratifiants: le traitement proprement dit est soumis à l’impôt sur le revenu ordinaire, pas eux. Et ils peuvent compter pour une notable partie des émoluments mensuels. Ce même Courrier hebdomadaire du Crisp estimait alors, pour les ministres fédéraux, à 1 571 euros mensuels l’indemnité pour frais de logement et domestiques et à 314,38 euros l’indemnité pour frais de représentation, chiffres que l’absence de publication des circulaires réglant le statut financier des ministres nous empêche de mettre à jour.
Indemnité de logement… et logement
Ces indemnités de logement et de domesticité, héritage d’une époque révolue où le ministre venait de sa lointaine province en calèche, valent encore à l’heure des rapides berlines électriques avec chauffeur. Et elles sont reçues quelle que soit la situation du ministre, qu’il habite la Gaume reculée ou les Marolles voisines.
Plusieurs ministres disposent de coin à coucher dans leur cabinet.
L’ indemnité défiscalisée pour frais de logement leur est tout de même offerte.
Et le ministre MR des Classes moyennes, David Clarinval, s’est vu attribuer un logement, propriété d’un privé mais dont le loyer (17 812,56 euros, indexation non comprise, par an) est payé par la Régie des bâtiments. Sophie Wilmès, Hervé Jamar et Johan Vande Lanotte l’avaient occupé avant lui.
Mais le Bièvrois ne reçoit pas pour autant un moindre budget que ses collègues: son traitement et ses frais s’élèvent, quoi qu’il en soit, comme tout ministre ordinaire du gouvernement fédéral, à 246 000 euros brut annuels.
Les ministres des autres gouvernements du pays sont soumis à peu près au même régime.
En 2003, un protocole adopté par l’ensemble des assemblées et des exécutifs visait à harmoniser les différents statuts.
Mais puisque chaque gouvernement a les mains libres sur ses propres rémunérations, les arrangements se sont plutôt différenciés avec le temps.
Puisque chaque gouvernement a les mains libres sur ses propres rémunérations, les arrangements se sont différenciés avec le temps entre les différents gouvernements.
De manière générale, les ministres régionaux perçoivent moins de frais forfaitaires, et donc leur rémunération nette est moins élevée que celle des membres de l’exécutif fédéral.
Un ministre bruxellois reçoit ainsi, en plus de ses chèques-repas, environ 200 euros de frais de représentation mensuels: l’indemnité de logement a été supprimée voici quelques années – il faut dire qu’elle est difficile à justifier sur un territoire aussi vaste que dix-neuf communes…
Dans les gouvernements wallon et de la Fédération, ces montants sont plus élevés (on peut les estimer à 30 000 euros par an) et une indemnité de logement est toujours intégrée à ces «avantages de toute nature» dont les «frais domestiques» ont été sortis.
Les cailloux n’en sont pas moins prêts à entrer dans leurs chaussures vernies, à eux aussi.
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