Joyce Azar
Spreekt u Nederlands, Monsieur le ministre?
« Ik begrijp niet uw vraag… ». Ce balbutiement inaudible a écorché les oreilles des téléspectateurs de la VRT. Il provenait de la bouche de François Bellot, remplaçant au pied levé Jacqueline Galant à la Mobilité. « Encore un ministre francophone qui ne parle pas néerlandais », soupire-t-on, depuis, en Flandre.
Le MR n’a probablement pas eu le choix. Trouver une personne aussi bilingue que compétente pour monter au gouvernement fédéral est devenu mission quasi impossible, pour tous les partis. Il est loin le temps où les vieux briscards tels que Herman De Croo et consorts exhibaient un français parfait. Aujourd’hui, Flamands et francophones assument sans pudeur ni honte leurs lacunes dans la langue de « l’autre ».
Après tout, pourquoi pas? On pourrait institutionnaliser une forme de tolérance qui aurait le mérite d’épargner l’énergie investie dans les reproches, et de laisser nos représentants faire leur travail. Mais dans la pratique, la situation pose question. En Belgique, la grande majorité des ministres interviewés par les chaînes néerlandophones sont Flamands, un favoritisme identitaire pareillement de mise côté francophone. Conséquence, irrémédiable : le débat public se retrouve de plus en plus scindé par la barrière linguistique. Récemment, Kris Peeters, ministre CD&V de notre Economie, a soulevé un tollé en Flandre après avoir déclaré à la télévision publique flamande que nous vivions « tous au-dessus de nos moyens ». Les réseaux sociaux se sont enflammés au nord alors qu’au sud, ses propos sont passés quasiment inaperçus. A l’inverse, les bourdes cumulées par la MR Marie-Christine Marghem ont alimenté la presse francophone, sans susciter grand émoi dans son équivalente néerlandophone.
Trouver une personne aussi bilingue que compétente pour monter au gouvernement fédéral est devenu mission quasi impossible.
Or, le changement climatique et la prolongation des centrales nucléaires sont des problèmes qui concernent tous les habitants du Royaume. Et il apparaît évident que, tant que la sécurité reste nationale, la communication entre les multiples services s’érige comme un élément-clé pour l’assurer, le responsable politique chargé des aéroports flamands et francophones du pays devrait pouvoir parler avec tous les acteurs impliqués. Le simple citoyen lui-même se voit parfois refuser un poste bien moins stratégique parce que le bilinguisme ne s’affiche pas dans son curriculum vitae.
Tant que les ministres fédéraux répondent correctement aux besoins de la population, inutile sans doute d’agiter le chiffon rouge. Mais ils doivent espérer qu’aucune situation d’urgence ne viendra les mettre dans l’embarras, voire porter atteinte au pays. L’énarque François Bellot l’a affirmé à la RTBF, à peine nommé : il va « s’atteler à améliorer » sa connaissance du néerlandais, « sans promettre de devenir vraiment bilingue, parce que c’est très difficile ». C’est peut-être aussi trop tard, car c’est à l’école que chacun a la meilleure occasion d’apprendre l’autre principale langue du pays, un apprentissage qui, hélas, n’est toujours pas obligatoire en Wallonie. Comme pour de nombreux domaines sociétaux, l’enseignement a un rôle non négligeable à jouer. A condition d’avoir les bon(ne)s ministres en place.
Joyce Azar, Journaliste VRT-Flandreinfo et co-fondatrice de DaarDaar
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici