Soutien aux soignants et aux hôpitaux: le ministre Vandenbroucke s’explique
Lors d’une visite au CHR Sambre et Meuse fin de la semaine dernière, le ministre Vandenbroucke a expliqué les nouvelles mesures de soutien pour les infirmières et le secteur hospitalier. Rien n’est prévu pour compenser la perte de revenus des médecins. Interview.
Frank Vandenbroucke a rencontré durant une heure plusieurs responsables de cet hôpital namurois qui doit encore faire face à une forte pression au niveau de ses unités Covid et de ses soins intensifs. La directrice du site, entrée en fonction en février 2020, souligne que depuis près de deux ans la pression n’est presque jamais retombée. « Je fais de la gestion de crise depuis le début de la pandémie. Chaque jour, je dois faire avec la direction médicale un « Tetris » pour voir comment allouer les lits pour pouvoir admettre les patients dans les unités », confie Nathalie Debacker. Le Dr Marc Vranckx, directeur médical du site, a dû établir des priorités pour pouvoir opérer un patient cardiaque ou un patient atteint d’une tumeur cérébrale. Cette réalité quotidienne met les médecins face à des choix éthiques difficiles.
Après la table ronde, le ministre de la Santé a visité une unité Covid et une unité de soins intensifs Covid et discuté avec des soignants, visiblement contents de pouvoir lui expliquer directement leurs conditions de travail. « Pouvoir échanger avec le ministre a été positif, cela nous a permis d’expliquer la réalité du terrain. C’est essentiel pour nos équipes de pouvoir se faire entendre », a déclaré Martin Fortemps, Infirmier en chef des USI.
Cette rencontre avec les gestionnaires, médecins et infirmières du site Meuse a-t-elle été constructive ?
Frank Vandenbroucke : Ce type de rencontre est toujours utile. Pour moi, c’était une des visites d’hôpital des plus « rentables » en termes de contenu parce que j’ai pu discuter durant la table ronde avec des représentants des infirmières travaillant dans les unités Covid, aux soins intensifs, aux urgences, dans la maternité – avec un témoignage très interpellant sur l’impact de la pandémie sur les parturientes – et avec les gestionnaires et les médecins. Nous avons parlé des problèmes de gestion et de responsabilité.
Durant la table ronde, quelqu’un a dit que la crise Covid a été un coup d’accélérateur pour une crise qui est plus profonde, et à long terme, pour le métier de soignant.
C’est correct. Il est nécessaire d’avoir une réflexion à plus long terme. Nous avons sans doute un peu oublié d’entendre les voix des infirmières dans les débats sur les soins de santé.
Vous venez de débloquer 43 millions pour soutenir les infirmières spécialisées. Pouvez-vous expliquer cette mesure dans le cadre du soutien au personnel soignant?
Le contexte de cette mesure est l’accord social qui est intervenu en 2020. Le gouvernement a mobilisé un demi-milliard d’euros pour la revalorisation des salaires et cent millions pour l’amélioration des conditions de travail. A niveau macro-économique, cela représente une augmentation de la masse salariale de 5 à 6%. C’est considérable. La revalorisation salariale se fait au travers du barème IFIC, permettant une nouvelle classification des fonctions. Cette nouvelle classification, qui est le fruit d’un travail d’une dizaine d’années, est ainsi consacrée par un accord social. Grâce à ce mécanisme, la situation financière de certaines catégories de soignants, plutôt les jeunes, s’est améliorée de façon significative. Un infirmier A2 avec une ancienneté de cinq ans a eu une augmentation de 15% de son salaire. Un aide-soignant ou un employé administratif en début de carrière obtient une progression salariale de 8%. C’était l’objectif de l’IFIC d’améliorer spécifiquement les revenus de ceux qui commencent à travailler dans le secteur pour augmenter l’attractivité de ces métiers. Par contre, pour les infirmières spécialisées qui ont déjà une certaine ancienneté, le nouveau système est désavantageux parce qu’il entraîne une diminution des revenus. Précisons tout de même que chaque travailleur peut garder son ancien barème. J’ai trouvé que ce système n’était pas acceptable parce que des infirmières, qui ont une formation qui leur permet de travailler en USI avec des patients Covid et doivent faire face à une pression énorme depuis des mois, n’ont obtenu aucune amélioration salariale. J’ai demandé au gouvernement de pouvoir débloquer un budget de 43 millions d’euros, qui s’ajoute aux 500 millions d’euros déjà prévus.
Concrètement, quel sera le montant de l’augmentation pour les infirmières spécialisées ?
Cela représente une augmentation forfaitaire de 2.500 euros bruts par an pour les infirmières qui sont titulaires d’un titre professionnel particulier et 833 euros bruts par an pour les infirmières qui ont une qualification professionnelle particulière. Il est important, dans le cadre du budget existant, de pouvoir considérer l’IFIC comme un système qui peut évoluer pour répondre à des problèmes ponctuels. Par ailleurs, 100 millions d’euros ont été débloqués pour améliorer les conditions de travail via la formation notamment. J’insiste auprès des partenaires sociaux pour qu’ils atterrissent avec des propositions concrètes. L’argent est là !
Cette mesure de 43 millions est-elle rétroactive ?
Oui, elle sera rétroactive au 1er janvier 2022. Il faut encore légiférer. La mise en application va encore prendre un peu temps.
Toutes ces mesures permettent-elles déjà d’attirer de la main d’oeuvre dans les hôpitaux ? Voit-on la différence sur le terrain ?
Il est très difficile de contrer la pénurie. Selon les rapports officiels, en 2019, on a pu grâce au fonds blouses blanches recruter 1.000 ETP et 4.500 ETP en 2020. Par exemple, au CHR Sambre et Meuse, 31 ETP ont été engagés selon les données qui ont été rapportées à nous. Les services des ressources humaines éprouvent toutefois des difficultés à trouver certaines spécialisations. C’est un problème structurel : le marché de l’emploi sous tension et il faut quatre ou cinq ans pour former une nouvelle infirmière.
Vous comptez aussi libérer les infirmières de certaines tâches pour pouvoir les faire revenir à l’hôpital?
Une loi d’urgence a été votée en Commission santé de la Chambre vendredi 10 décembre, et j’espère qu’elle sera votée en session plénière avant Noël, qui permet de mobiliser différentes catégories de professionnels de la santé et des étudiants (en médecine, en soins infirmiers, en pharmacie, en logopédie, des hygiénistes bucco-dentaires…) pour pouvoir réaliser des tests et vacciner. Ces professionnels travailleront dans des équipes structurées et supervisées par un médecin ou un infirmier. Ces nouveaux engagements permettront peut-être de libérer des infirmières occupées dans ces centres et qui ont envie de travailler à l’hôpital malgré la charge de travail et le stress liés à cette activité.
La Clinique André Renard, qui avait décidé de fermer ses urgences plusieurs jours pour alléger la pression sur ses équipes, a été contrainte par votre administration de rouvrir directement son service d’urgence, sous peine de sanctions. Était-ce la meilleure attitude face à cette action révélatrice de l’épuisement des soignants de cet hôpital?
Cette réponse n’est pas surprenante. Elle est tout à fait normale. Il fallait protéger les autres hôpitaux d’un afflux de patients, maintenir la solidarité avec les autres hôpitaux et respecter les droits du patient. Ceci étant, je comprends parfaitement l’épuisement des travailleurs de la Clinique André Renard. Grâce aux mesures du fonds blouses blanches, cet hôpital a pu recruter 11 ETP supplémentaires. Cela ne suffit évidemment pas. La clinique doit faire face à l’absentéisme, au burn-out, au stress…Mais une action unilatérale n’arrange pas ces problèmes. Au contraire.
En outre, un service d’urgence et un PIT ont l’obligation légale d’aider les personnes qui ont besoin d’une aide médicale urgente. L’inspecteur fédéral d’hygiène et le SPF Santé publique ont rappelé à la clinique ses obligations légales et les sanctions prévues lorsqu’on ne les respecte pas. Si la même situation se représentait, j’agirais de la même façon. Je rappelle que mes services sont là pour apporter des solutions et que les hôpitaux peuvent les contacter.
Au CHR Sambre et Meuse, les revenus des médecins ont, en moyenne, chuté de 25% en 2021 en raison de la baisse de l’activité médicale. Comptez-vous prendre des mesures pour compenser ces pertes, à l’instar de celles que vous avez prises pour couvrir les coûts exceptionnels des hôpitaux (frais de protection, d’exploitation, de nettoyage…) et l’impact de la réservation obligatoire des lits ?
Non, pas maintenant. Les solutions que nous pouvons apporter ne sont jamais parfaites. Il fallait prendre une initiative pour stabiliser le financement des hôpitaux et le contexte dans lequel les médecins travaillent. Rappelons que le gouvernement précédent a versé aux hôpitaux une avance de deux milliards pour 2020. Nous avons régularisé cette avance en publiant un arrêté royal qui précise les compensations pour les hôpitaux et les médecins. Au final, il s’élève à 1,45 milliard d’euros. Les hôpitaux ont dès lors eu peur de devoir rembourser la différence entre les avances et le montant réel des compensations. Notre gouvernement a ensuite décidé d’octroyer pour les trois premiers trimestres de 2021 des mesures de compensation à hauteur de 408 millions d’euros. Cette aide ne reprend pas tous les éléments prévus en 2020, mais elle compense les surcoûts liés au covid et la disponibilité des médecins, liée à l’obligation de devoir réserver des lits. Vendredi 10 décembre, lors du Kern, j’ai obtenu un engagement budgétaire pour mobiliser deux fois 143 millions d’euros, couvrant le dernier trimestre 2021 et le premier trimestre 2022, pour le même type de mesure. Si on additionne toutes ces aides, l’avance de deux milliards est totalement régularisée. Au niveau macro-économique, les hôpitaux ne devront pas rembourser de l’argent à l’État. Certains hôpitaux individuels devront peut-être effectuer une régularisation. Nous avons donc stabilisé la situation financière des hôpitaux pour 2021.
Je reconnais que ce mécanisme de soutien ne comporte pas une compensation pour la perte d’activité des médecins.
Or cette perte d’activité et de revenus génère des tensions entre les médecins au sein des hôpitaux.
J’en suis bien conscient. la solution ne couvre pas tous les problèmes de manière parfaite. Je dois tenir compte des contraintes budgétaires. Je sais que cela ne répond pas au problème du médecin impacté par une perte de revenus. Notons quand même que le report des soins est moindre cette année qu’avant et qu’il y aura un effet de rattrapage de l’activité médicale, et donc une augmentation de revenus des médecins, après cette vague. Ma réponse peut sembler un peu technocratique mais gérer les finances de l’Etat impose des choix. Ceci étant, en stabilisant le financement des hôpitaux, on stabilise et protège également de façon indirecte les revenus des médecins, entre autres, par rapport aux mécanismes de rétrocession.
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