Sous le voile : « les vignes arpentent le rocher calcaire »
Et si je vous emmenais en vacances… dans un verre de vin. Par la grâce d’une bouteille, fermer les yeux, faire appel à ses sens et visiter un coin de France, d’ailleurs… En somme, voyager dans le temps et l’espace, juste le nez dans le verre, la langue pétrie de souvenirs.
Le temps est à l’orage. L’humidité est partout, plombe les épaules et nacre les reins : il faudrait au moins un savagnin pour se redonner du nerf. Ce n’est pas un cépage qui se livre facilement aux palais non aguerris. Il faut en avoir bu, des blancs de toutes sortes, riesling, sauvignon, chardonnay, viognier, chenin… Il faut avoir roulé sa bosse et sa langue pour en revenir et se laisser séduire par le savagnin. Pas qu’il soit éminemment compliqué : il fait juste partie de ceux qui ont besoin d’avoir un interlocuteur (ou une interlocutrice, ne soyons pas sexiste) qui a un peu de vécu, quelques cicatrices et une soif dévorante. Peut-être aussi que c’est tout le charme du Jura en 75 cl, ou en magnum si on est amoureux.
Château-Chalon, le prieuré, une vieille demeure où chaque pas est un murmure. C’est un décor de cinéma, ça l’a été. Evidemment, la maison s’y prête, et le paysage autour. La colline déchiquetée, les vignes qui arpentent le rocher calcaire, tantôt à l’horizontale, tantôt à la verticale, et les nuances de vert. S’emplir les poumons avant de tenter l’ascension. Le savagnin pousse sur les marnes, bleues ou grises de préférence. Il paraît que ce sont les nonnes hongroises qui l’ont envoyé ici : drôle de punition. Alors, avec sa peau épaisse, ses gros raisins charnus, ses grappes petites, il s’est acclimaté au temps rude. On l’a pressé, le jus à peine verdâtre a opéré sa lente transformation. Maintenant, au chai, les fûts de jaunes bedonnent.
Dans l’air humide et chaud, des odeurs montent d’une barrique ouverte : pomme, noix, coing… On resterait bien ici, le trouble fait. Mais retour à l’expéditeur : celui-ci, c’est un autre zig. Les épaules étroites, une présentation somme toute classique, pas grand-chose ne laisse présager de la suite. Un savagnin qui a connu le voile, trois ans, juste le temps de s’assagir. Droit comme un » i « , tendu jusqu’à en faire craquer les mandibules, il est pourtant bonne poire et se laisse déshabiller illico presto. On a vite fait de plonger son nez dedans : c’est l’aubépine, caressée involontairement en promenade et qui a laissé ses marques et un peu de ce citron rond à croquer qui n’existe qu’en Italie. La langue claque, la gorge frissonne. Le savagnin triomphe : la moiteur est vaincue, lavée par sa superbe.
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