Sophie Rohonyi (DéFi): « Nous ne voterons pas des élections anticipées »
La députée fédérale déplore que les enjeux partisans priment sur l’avenir du pays, fustige le CD&V et surtout la N-VA. Le jeu, qui étaist ouvert au parlement ces derniers mois, se referme, déplore-t-elle.
Le pays est paralysé. Koen Geens a été lancé à l’aventure. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que la solution qui a été proposée par notre président, la Coalition 77 (socialistes, libéraux, écologistes avec le soutien de DéFi) est tout à fait envisageable. Mais il va de soi que l’on ne pourra proposer cette issue qu’à partir du moment où le CD&V continuerait à s’exclure. Le choix du roi de nommer Koen Geens se justifiait dans le sens où c’est à ce parti de débloquer la situation ou à se déscotcher de la N-VA. Ce qui me fatigue, c’est que les enjeux partisans priment sur l’avenir du pays. Le CD&V explique que la N-VA est indispensable parce que, sans elle, il n’y aurait pas de majorité dans le groupe linguistique néerlandophone. C’est vrai. Sauf que la N-VA a démontré que ce n’était pas un partenaire fiable au niveau gouvernemental, c’est un parti nationaliste qui veut la fin du pays. On craint une situation explosive en 2024 si la N-VA n’est pas au gouvernement. Or, l’enjeu, c’est d’avoir un gouvernement maintenant. On ne peut pas anticiper le comportement des électeurs dans quatre ans, mais on peut évaluer leur attitude dans un mois. Les sondages nous disent que le Vlaams Belang serait alors le premier parti. Il faut être lucide.
Il faut donc tout faire pour empêcher des élections anticipées ?
Des élections, pour faire quoi ? Cela ne ferait que rajouter du chaos au chaos. Les cartes ont déjà été distribuées le 26 mai 2019 par l’électeur, en prenant le temps d’analyser le programme. Leur demander de revoter, cela donne un signal très négatif, c’est leur dire qu’ils ont mal voté et que l’on n’est pas capable d’assumer nos responsabilités. Cela va susciter de la lassitude et de la colère. Cela risque de renforcer les extrêmes et de rendre la situation encore plus inextricable. On se doit de réussir, comme en 2011.
Cela passerait par une coalition sans les trois premiers partis flamands ?
Ce n’est pas la situation idéale, j’en conviens. Mais pendant cinq ans, nous avons bien eu un gouvernement dans lequel les francophones étaient largement minoritaires. Pour revenir à la N-VA, elle a décidé de faire chuter le gouvernement sur une question identitaire liée à la migration, en tenant des discours simplistes, stigmatisants, alors qu’il y avait des priorités socio-économique et climatiques. Ce sont des enjeux pour lesquels on ne peut plus se permettre de traîner.
Faut-il repenser les structures de l’Etat en marge du gouvernement ?
Notre président a été le premier à plaider en ce sens. Nous avons déposé un texte à la Chambre pour profiter de cette législature afin d’analyser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous avons voté différentes réformes de l’Etat sans prendre le temps de les évaluer. Or, on peut se demander si cela a du sens d’avoir plusieurs codes de la route en Belgique. On veut mener cette réflexion dans une assemblée démocratiquement élue, avec les citoyens, avec des experts, pas sur un coin de table.
Cette idée prend-elle ?
J’ai lu que certains partis y étaient favorables. C’est plus serein que de le faire avec l’épée de Damoclès des élections au-dessus de nous. D’ailleurs, pour des élections anticipées, il faudrait voter la dissolution des chambres et en ce qui nous concerne, nous ne le ferions pas.
Koen Geens a rendez-vous au palais lundi. Vous voulez une clarification pour passer à autre chose?
Cela fait huit mois que l’on essaye cette unique formule PS / N-VA qui ne marchera pas, on a assez perdu de temps. Cela m’a choqué en outre de voir le CD&V restreindre le contenu de la mission royale dévolue à Koen Geens alors que c’est au roi à le faire.
Vous représentez la périphérie bruxelloise. Cela vous marque-t-il dans votre action politique?
Totalement. J’habite dans une commune à facilités et j’y ai vu le vrai visage dans la N-VA. Trop souvent, lorsqu’il a décidé de gouverner avec elle, le MR nous a expliqué que la N-VA fédérale n’était pas la N-VA régionale ou locale. Non : elle a mené un travail de dépeçage de l’Etat fédéral – j’ai plusieurs exemples en tête, dont la réforme de la protection civile qui a mis en danger Bruxelles. J’ai par ailleurs été heurtée de voir que la N-VA est un parti ne respectant ni les décisions de justice, ni l’Etat de droit. Nous avons obtenu plusieurs décisions de justice qui bétonnaient les facilités linguistiques et à plusieurs reprises, la ministre flamande Liesbeth Homans ne les a pas respectées, tout comme le secrétaire d’Etat Theo Francken n’a pas respecté plusieurs décisions de justice à l’égard des migrants. Nous défendons les francophones parce qu’il s’agit d’une minorité dont les droits ne sont pas respectés, comme nous voulons protéger tous les non-néerlandophones en Flandre. La démocratie, c’est la préservation de la diversité, qui est une richesse. Le modèle de la N-VA, c’est le repli sur soi. Voilà pourquoi ce n’est pas un parti apte à réduire les inégalités.
La N-VA est infréquentable ?
Je n’irais pas jusque-là. Au niveau parlementaire, on débat avec elle sur certains sujets. Nous avons voté des textes ensemble comme l’incompressibilité des crimes sexuels sur mineurs. Nos sensibilités peuvent parfois se rejoindre. Mais nous ne gouvernerons jamais avec ce parti qui veut détruire les institutions que nous devons faire fonctionner. C’est un non-sens. Je ne dis pas que c’est un parti d’extrême droite, mais son discours et ses méthodes s’apparentent souvent à ceux de l’extrême droite. Et cela se distille dans l’opinion publique. On ne dit pas assez fort que le racisme est un délit. J’ai interpellé la Première ministre, Sophie Wilmès, qui l’a dit haut et fort, mais un peu tard.
Il n’y a plus de gouvernement de plein exercice depuis fin 2018. Dans ce contexte, que peut faire le parlement ?
Contrairement à ce que l’on pense, l’activité du parlement est intense et les jeux sont extrêmement ouverts. Jusqu’il y a quelques semaines, on a pu voter des textes sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs ou instaurant le fonds blouses blanches avec le soutien du PTB et du Belang – ce qui est du jamais vu. Maintenant qu’il y a un risque d’élections anticipées, on sent que les partis sont de plus en plus prudents et que les positions se figent. En ce qui concerne le contrôle du gouvernement, c’est forcément plus frustrant, de même qu’un niveau des engagements budgétaires.
Vous êtes jeune et vous êtes une femme, portez-vous dès lors des combats singuliers ?
Oui ! Je suis particulièrement attentive à la question de la dépénalisation de l’avortement. Pas de par mon vécu personnel mais par mon action précédente au Centre d’action laïque : j’y ai rencontré énormément de femmes qui ont dû avoir recours à l’avortement ainsi que des médecins, tous nous ont expliqué combien la loi actuelle est hypocrite et comporte des insécurités juridiques. En portant ce combat, j’ai aussi reçu beaucoup de messages assez agressifs. De ce fait-là, tout ce qui touche au harcèlement, que ce soit sur internet ou dans l’espace public, est quelque chose qui me touche beaucoup. C’est le rôle d’une députée de porter ce débat. Je ne veux pas me victimiser, je veux profiter de mon statut pour dire que c’est inacceptable, qu’il faut oser porter plainte et que nous devons travailler pour permettre ces plaintes, pour former les policiers…
Vous considérez-vous comme une féministe ?
Totalement. Tant que l’égalité hommes / femmes ne sera pas pleinement une réalité, on se devra d’être féministe. Que l’on soit femme ou homme, d’ailleurs : j’insiste toujours pour que les hommes portent ce combat-là aussi – cela me paraît normal qu’un démocrate veille à ce que la moitié de l’humanité soit respectée. Normal que les hommes et les femmes soient payés de la même manière, normal que l’on empêche une jeune fille de voir ses organes génitaux mutilés, normal que l’on empêche les mariages forcés, normal que l’on permette à une fille de s’habiller comme elle veut sans se faire insulter. Le féminisme ne doit pas être considéré comme péjoratif. J’ai été choqué, lors de la vague Metoo, d’entendre des hommes se plaindre qu’ils ne pourraient plus draguer : un homme est quand même capable de faire la distinction entre de la drague et du harcèlement, non ?
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