« Les libertés syndicales en péril »: pourquoi le front commun manifeste ce lundi
FGTB, CSC et CGSLB manifestent, ce lundi 22 mai, pour défendre les libertés syndicales et lutter contre le dumping social. Pour le président de la FGTB Thierry Bodson, le droit de grève est sérieusement menacé. Il dénonce la « provocation » du gouvernement et appelle les responsables politiques à plancher sur des solutions structurelles aux grands défis climatiques et sociaux.
Aujourd’hui Delhaize, demain à qui le tour ? » Le conflit social qui s’éternise au sein de l’enseigne au lion inquiète le front commun syndical. FGTB, CSC et CGSLB défilent ce lundi 22 mai dans les rues de Bruxelles pour dénoncer le changement de modèle économique prôné par la direction, qui risque de « faire tache d’huile » dans le paysage commercial belge. Par cette mobilisation, les syndicats entendent surtout alerter sur les atteintes répétées au droit de grève, qui mettent à mal la défense des droits sociaux.
« Cela fait déjà un petit temps que les libertés syndicales sont mises en péril, mais depuis le début du conflit social chez Delhaize, ces attaques atteignent des sommets », regrette le président de la FGTB, Thierry Bodson. La figure de proue du syndicat socialiste pointe plusieurs dérives dans la gestion du « cas Delhaize », parmi lesquelles le déploiement d’huissiers et de policiers sur les piquets de grève. Il s’inquiète également des menaces d’astreintes – pouvant aller jusqu’à 1000€ – adressées aux grévistes qui empêchent les clients de pénétrer dans les magasins.
Thierry Bodson: « De la provocation »
En outre, Thierry Bodson regrette la décision, rendue le 2 mai, d’interdire les piquets de grève devant les 128 magasins du pays et la distribution de tracts dans un périmètre de 200 mètres autour des supermarchés. « Les tribunaux estiment que la liberté de commerce et le droit économique sont supérieurs aux droits sociaux. On n’avait jamais vu ça ! », tonne le président de la FGTB. « C’est un immense problème, qui est contradiction totale avec les recommandations européennes en la matière. » Et d’insister : « Le droit de grève est plus qu’en danger, il a été sérieusement égratigné. Après tout ça, qu’on ne vienne pas me dire qu’il y a encore une liberté d’expression et une liberté d’opposition dans ce pays ! »
« La nouvelle classe politique n’a pas compris un élément essentiel : dans une démocratie, il y a le pouvoir et le contre-pouvoir. S’il n’y a pas ces deux éléments, cela s’appelle une dictature. »
Enfin, le projet de loi présenté mi-mai par le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase syndical. Une des dispositions du texte crispe particulièrement Thierry Bodson, à savoir l’article qui permet à un juge d’assortir d’une interdiction de manifester une peine prononcée pour des actes de violence ou de dégradations commises lors d’un « rassemblement revendicatif ». Si le ministre de la Justice a assuré que les actes commis durant une action de grève n’étaient pas visés par le texte, le leader syndical n’en croit pas un mot . « J’ai fait relire ce texte par des juristes, et cela concerne bien les piquets de grève », s’indigne-t-il. Outre le contenu du projet de loi, Thierry Bodson déplore le timing délicat choisi par le gouvernement pour en débattre. « Il y a un vrai problème d’agenda. Vouloir faire passer ce texte en plein conflit social chez Delhaize et à l’avant-veille d’une manifestation qui entend dénoncer le non-respect libertés syndicales, c’est clairement de la provocation, cela ne porte pas d’autre mot. »
Protéger le contre-pouvoir
Pour Thierry Bodson, la conjonction des récents événements pose un vrai problème de société. « Ce sont des épiphénomènes, des choses qui peuvent paraître bénignes à première vue, mais qui conduisent à un sentiment général de restriction des libertés dans le chef des manifestants, insiste le leader syndical, qui peine à comprendre l’urgence d’imposer de telles mesures au vu du contexte social « globalement pacifique » à l’heure actuelle. « Vit-on, en 2023, dans une société à ce point plus violente qu’à la fin du 20e siècle, qui justifierait ces restrictions ? Les manifestations sont-elles vraiment d’une agressivité inouïe, avec des camions et des autobus retournés et des incendies volontaires ? Je ne pense pas. J’ai connu des manifestations, dans les années 1980-90, d’une violence incommensurable par rapport à ce qu’on vit aujourd’hui. »
Le président de la FGTB appelle le gouvernement à ne pas s’essuyer les pieds sur les droits sociaux. « La nouvelle classe politique n’a pas compris un élément essentiel : dans une démocratie, il y a le pouvoir et le contre-pouvoir, rappelle Thierry Bodson. S’il n’y a pas ces deux éléments, cela s’appelle une dictature. Si on s’attaque sans cesse au contre-pouvoir, que ça soit aux syndicats ou aux mouvements sociaux comme les jeunes pour le climat ou les pacifistes, c’est la démocratie qui est en danger. Le contre-pouvoir est inhérent au bon fonctionnement de la démocratie. »
« Ne pas mettre le couvercle sur la marmite »
Surtout, Thierry Bodson presse la classe politique à s’entendre sur des solutions structurelles aux grands défis à venir. « On sait qu’on se dirige vers une société qui risque d’être duale, avec énormément d’inégalités sociales et où la menace du réchauffement climatique sera de plus en plus prégnante. Pourtant, depuis 10 ou 15 ans, on n’observe aucune réponse politique efficace et concrète à ces défis. Si la seule réaction des responsables politiques, c’est de mettre le couvercle sur la marmite, d’empêcher les gens de manifester et de briser le contre-pouvoir, ça ne marchera pas. A un moment donné, la marmite éclatera encore plus fort. »
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