Repousser le départ à la pension, vraie solution ou poudre aux yeux ? «S’arrêter à l’âge de la retraite, c’est créer l’illusion de résoudre le problème»
La pension à 64, 67 ans? Là n’est pas l’enjeu, tempête l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain). L’ex-membre de la commission de réforme des pensions déplore une focalisation sur l’âge de la retraite qui ne sert qu’à se détourner de manière irresponsable du problème fondamental: «C’est le système de solidarité intergénérationnelle qui vire au hold-up», au profit des retraités.
S’obstiner à refuser tout report de l’âge de la retraite à l’heure du vieillissement et de pensions que l’on dit impayables: les Français seraient-ils irresponsables?
Ils sont surtout victimes du péché originel commis dans les années 1980 par le président François Mitterrand lorsqu’il a baissé l’âge légal de la retraite à 60 ans, contre l’intérêt même des travailleurs ainsi poussés hors du marché de l’emploi. Cette décision a créé une culture pernicieuse de l’obsolescence accélérée du travailleur. Dans l’imaginaire collectif, y compris dans la mentalité des employeurs, le travail n’était plus valorisé. A quoi bon investir encore dans la formation d’un travailleur à partir de ses 50 ou 55 ans? Effacer ce péché originel s’avère bien difficile.
Le salut de tout système de pension est-il en premier lieu une question d’âge de la retraite, qu’il faut repousser à n’importe quel prix?
Se focaliser sur l’âge de la retraite ne fait que cristalliser les tensions autour d’un chiffre somme toute symbolique. Fixer à 64, 66, 67 ans, un âge nominal de départ à la retraite, c’est désolant parce que cela donne l’illusion de régler un problème qui, en réalité, n’est absolument pas résolu. En Belgique, trois quarts des personnes qui arrivent à la date de leur prise de pension ont déjà définitivement quitté le marché du travail.
«Reporter unilatéralement l’âge légal de la retraite à 67 ans risque de décourager les gens», écriviez-vous en 2015, l’année de cette réforme. Pourquoi?
Parce qu’un métier n’est pas l’autre, parce qu’une durée de carrière n’est pas l’autre. S’arrêter à une borne uniforme est la solution de facilité et c’est une manière d’envoyer des signaux contraires aux aspirations des gens. Le kilométrage est aussi important que l’âge. C’est la durée de carrière effective, donc la durée de cotisations, qu’il faut augmenter. Or, en Belgique, un bon tiers d’une durée de carrière totale porte sur des périodes non prestées mais assimilées – études, maladie, chômage – qui n’ont pas donné lieu à des cotisations mais qui permettent de dételer plus tôt sans avoir de pension réduite.
Le phénomène du vieillissement condamne-t-il à travailler plus longtemps?
La pension légale est financée par le travail, c’est un mécanisme auquel tout le monde tient, qu’il faut pérenniser mais que l’on met en péril par des calculs à court terme et une culture du temps libre. Car paradoxalement, alors qu’on vit dix ans de plus, on travaille moins longtemps. La durée de carrière se raccourcit à l’entrée comme à la sortie du marché du travail, alors que le véritable enjeu est de savoir comment réactiver des gens qui quittent prématurément le marché du travail.
Le système des pensions va droit dans le mur, assure-t-on depuis des années. Il est financièrement soutenable, prétendent au contraire des économistes et des démographes. On s’y perd…
Six cent mille pensionnés de plus à l’horizon 2040, la tendance démographique est incontournable, inéluctable, elle est lourde et générale. Le nombre de pensionnés augmente deux fois plus vite que les recettes de cotisations. Donc, il faut soit ralentir la hausse des dépenses, soit augmenter les recettes des cotisations. Même avec le plein emploi, même en mettant tout le monde au travail, on ne maîtrisera pas la hausse des dépenses de pension.
Que faire, alors?
Au lieu de se focaliser sur un âge de toute façon virtuel de départ à la retraite, c’est la solidarité intergénérationnelle qui devrait être le défi à relever. Trois quarts des dépenses supplémentaires en pensions enregistrées ces dix dernières années sont liées à des revalorisations de pensions. Depuis dix ans, la Belgique augmente donc la pension moyenne alors que le nombre de pensionnés augmente. De la sobriété dans la revalorisation ne devrait-elle pas s’imposer? Au nom de quoi faudrait-il dispenser 2,5 millions de pensionnés de tout effort?
Le solution est-elle de mettre les pensionnés à contribution?
Leur niveau de vie est plus élevé que celui des moins de 30 ans. Il se passe à ce propos des choses surréalistes: le bonus de pension, censé inciter les travailleurs à prolonger leur carrière et qui devrait logiquement être réservé à ceux qui sont encore actifs, est aussi offert à des gens déjà partis à la retraite depuis 2006! Comble du comble, 10% des pensionnés vivent aujourd’hui «en exil», dans un pays ensoleillé, tout en pouvant continuer à se faire soigner aux frais de la sécurité sociale belge. Le système de solidarité intergénérationnelle est en train de virer au hold-up. Les pauvres, aujourd’hui, ce sont les jeunes. Comment voulez-vous susciter de leur part une adhésion à un tel système? C’est le règne de l’abus de langage, de l’hypocrisie. Où est la pension à temps partiel, qui figure dans l’accord de gouvernement fédéral et que tout le monde applaudit?
Le niveau de vie des pensionnés est plus élevé que celui des moins de 30 ans. Les pauvres, aujourd’hui, ce sont les jeunes.
Un enjeu aussi crucial que l’avenir des pensions se joue-t-il de manière foncièrement antidémocratique? Dans une tribune parue récemment dans De Standaard, deux chercheurs pointaient les lacunes dans l’exploitation correcte de données pour fonder une politique de pensions sérieuse en Belgique…
La Belgique est à l’avant-garde en matière de données, mais la Banque carrefour de la sécurité sociale (BCSS) est un bunker. Ces données sont confidentielles, inaccessibles, même à l’expert de la commission de réforme des pensions que j’ai été. Ce manque de transparence est dramatique car il mine et rompt la confiance dans le système des pensions et dans ses réformes. Les gens n’y croient plus.
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