Crucke rail
Le ministre fédéral de la Mobilité Jean-Luc Crucke (Les Engagés). © BELGA

Jean-Luc Crucke sur la grève du rail: «On se demande si certains syndicats ne veulent pas casser l’outil SNCB» (interview)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le ministre de la Mobilité Jean-Luc Crucke (Les Engagés) regrette une «grève politique détestable» sur le rail, mais entend poursuivre son dialogue constructif avec les principaux syndicats des cheminots.

A peine trois semaines en poste et, déjà, trois préavis de grève. Le baptême du feu de Jean-Luc Crucke (Les Engagés) en tant que ministre fédéral de la Mobilité est loin d’être une sinécure. S’il a conscience de l’impopularité de certaines mesures, l’ex-député fédéral assure qu’elles visent un seul et unique objectif: rendre le rail plus performant à l’horizon 2032.

Alors qu’une grève de neuf jours doit débuter sur le rail vendredi soir, un nouveau préavis vient d’être déposé par le syndicat METISP-Protect pour une durée d’un mois. Comment réagissez-vous face à cette multiplication des mouvements de grogne?

Je partage le sentiment qui a été exprimé par la direction de la SNCB, d’Infrabel et de HR Rail, à savoir de l’incompréhension. Les syndicats en grève représentent 5% de l’ensemble du personnel et ont comme logique: «D’abord on fait grève, et puis on verra bien.» Je ne crois pas que cette manière de faire soit conforme ni à la concertation sociale, ni aux intérêts de l’entreprise publique, sans parler de ceux de tous les utilisateurs du rail qu’on va desservir. L’objectif, c’est que demain, on ait une SNCB plus performante, à la fois en termes de ponctualité et en termes de service, pour pouvoir affronter la libéralisation du rail en 2032. Or, ces syndicats ne se rendent pas compte de cet objectif à atteindre. Sincèrement, en jouant à ces jeux-là, on se demande si certains ne veulent pas casser l’outil SNCB. Je ne veux pas faire de généralités, car le dialogue avec les deux grands syndicats (NDLR : CGSP-Cheminots et CSC Transcom) est bon. Ca ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur tout, mais au moins, il y a du respect, de l’écoute, de l’échange. Au contraire, ces petits syndicats ont décidé de mener une grève politique, et je trouve ça détestable.

Avez-vous l’intention de les consulter pour entendre leurs revendications ?

Non, je les invite surtout à changer d’attitude et à d’abord retourner à la table des négociations avec les organes des sociétés. Je peux comprendre que certains aient des inquiétudes par rapport à un certain nombre de décisions, mais tout ça, ça doit se débattre. Certes, on risque de passer des moments difficiles, et je m’en excuse auprès de la population car c’est elle la première victime de ces grèves. C’est elle qui est prise en otage par des petits syndicats. Mais j’espère que ces temps difficiles seront les plus limités possibles, pour ensuite en sortir plus fort et déterminés à moderniser les outils publics que sont la SNCB et Infrabel. Ça, c’est mon engagement.

La première des inquiétudes des syndicats, c’est la réforme des pensions avec un départ à la retraite à 67 ans, contre 55 ans pour certains travailleurs aujourd’hui. Existe-t-il encore une marge de manœuvre, ou l’accord de gouvernement sera-t-il appliqué à la lettre?

Il y a une marge de manœuvre sur la manière dont le chemin sera balisé, mais pas sur l’objectif final de la réforme. Je ne suis pas ministre des Pensions, mais l’objectif du gouvernement est de rendre le système des retraites supportable pour l’avenir. Et ça nécessite de faire un travail qui n’a pas été fait dans le passé, pour lequel on paie aujourd’hui. Est-ce que toutes ces mesures sont populaires? Non. Est-ce que toutes ces mesures sont faciles? Non. Est-ce que le chemin pour y arriver demande de la nuance? Oui. C’est à ça qu’on va s’atteler, dans les négociations avec les syndicats et le ministre des Pensions.

Un autre point d’inquiétude est la potentielle suppression de HR Rail. Que répondez-vous aux syndicats et aux travailleurs qui s’inquiètent de cette disparition ?

J’y réponds encore avec le dialogue, qui a d’ailleurs été entamé avec la CEO de HR Rail. Mais le constat est là: aujourd’hui, pour un service global identique (la circulation des trains), il existe trois sociétés (Infrabel, la SNCB et HR Rail). La vocation de HR Rail, c’est essentiellement la gestion des ressources humaines, même s’il ne faut pas limiter leur action à ça. Or, le temps a fait que la SNCB et Infrabel ont elles-mêmes développé une politique de gestion des ressources humaines, ce qui peut être compréhensible car elles ont des vocations différentes. Mais pourquoi alors en faut-il une troisième? On a l’occasion de rationaliser l’ensemble des activités, alors faisons-le. Avec la CEO de HR Rail, nous nous donnons jusqu’à fin 2025 pour réfléchir à cette rationalisation, sur la base d’analyses et d’éléments juridiques, pour ensuite passer à la phase de pérennisation. Mais on ne peut pas dire qu’on confond vitesse et précipitation, et ça, je le garantis au personnel.

Vous souhaitez rendre la SNCB plus performante, notamment en termes de ponctualité et de fréquentation. Or, en parallèle, l’Arizona prévoit 675 millions d’économies pour le rail sous cette législature. Vouloir améliorer le service tout en réduisant les moyens, n’est-ce pas un peu paradoxal?

Ce sont deux choses différentes, même si je comprends qu’on tente de faire le lien entre les deux. Mais pour l’année 2025, l’Arizona demande seulement une économie de 50 millions d’euros, sur un budget total de 3 milliards. Est-ce une incongruité de demander à chacun de faire un effort au vu du déficit budgétaire dans lequel se trouve la Belgique? Regardons aussi ce qui se passe autour de nous, car la SNCB n’est pas une île en plein milieu de l’océan. Dans d’autres pays européens (en Suisse, en Autriche, en Allemagne), le budget par habitant pour la mobilité est moins élevé qu’en Belgique, et pourtant le service y est plus large et plus ponctuel. Inspirons-nous de ces modèles, pour faire mieux mais avec une moindre marge budgétaire. Notamment, comme en Allemagne, en améliorant la collaboration entre les entités fédérées et le fédéral pour rendre l’ensemble des transports publics plus performants. La SNCB ne doit pas rester dans son coin, et les vicinaux non plus. Nous avons une occasion unique, sous cette législature, de prouver que les régions et le fédéral peuvent mieux travailler ensemble autour d’un objectif commun.

L’optimisation du service pourrait aussi passer par la suppression de certains points d’arrêts moins fréquentés?  

Il faut tenir compte de l’ensemble des acteurs. Faut-il qu’un train s’arrête systématiquement dans une gare où il y a très peu de personnes qui y montent? Ces gares sont-elles des lieux qui améliorent globalement le service? Non. Ça diminue la fréquence commerciale et parfois, ça perturbe la ponctualité, donc ça dessert une majorité de navetteurs. Cela ne veut pas dire que ces gares doivent être totalement oubliées, car les utilisateurs issus de la ruralité risquent alors de trinquer. Mais il faut alors proposer des alternatives, et c’est un maillage à développer entre la SNCB et les vicinaux, au nord comme au sud. J’insiste: aucune ligne ne sera fermée. Mais je n’ai pas de tabou à fermer certains points d’arrêts, dans un objectif d’amélioration globale du système de transports. Mais chaque point d’arrêt, quel qu’il soit, fera l’objet d’une analyse scientifique, d’un débat et d’une concertation avant une éventuelle fermeture.

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