Boycotter Delhaize ? Comment cette action originale pourrait débloquer le conflit social
131 personnalités signent une carte blanche, en appelant au boycott de l’enseigne au lion. Une mesure efficace pour solutionner le conflit social opposant direction et syndicats ? Analyse avec Benoit Rihoux (UCLouvain), spécialiste des mouvements sociaux.
Boycotter les magasins Delhaize pour dénoncer l’attitude bloquante de la direction dans le conflit social qui l’oppose aux syndicats. Voilà l’idée des 131 personnalités ayant signé une carte blanche dans les colonnes du Soir. Parmi eux : Yvon Englert, pro-recteur de l’ULB, à l’origine de cette initiative, Olivier De Schutter, professeur de droit international à l’UCLouvain, Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’ULB, Christine Mahy, directrice du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ou encore les réalisateurs Jaco Van Dormael et Luc Dardenne. Dans le viseur de ces personnalités issues des milieux artistique, académique et de la société civile, le projet de franchise de 128 magasins de l’enseigne au lion. Un projet motivé par le profit et néfaste pour les employés de Delhaize, selon les cosignataires de la carte blanche.
Comment expliquer que de nombreuses personnalités publiques, issues de milieux différents, prennent position contre le projet de franchise de Delhaize ? « Ce sont des personnes engagées socialement, qui se sont déjà exprimées sur d’autres thèmes par le passé », lance Benoit Rihoux (UCLouvain), spécialiste des mouvements sociaux. Néanmoins, note l’expert, qu’un groupe de personnalités s’oppose publiquement au projet d’une enseigne de grande distribution est moins fréquent. « Les syndicats tentent d’élargir leurs relais, afin de faire passer à l’action les personnes moins politisées. Ces dernières sont moins susceptibles d’écouter un leader de la FGTB, auquel elles ne s’identifient pas. C’est une des limites de l’action syndicale : elle n’engage que le personnel syndiqué ».
Boycotter Delhaize, une action contre-productive ?
D’après les auteurs de la carte blanche, le boycott permettrait de faire avancer le conflit social qui oppose la direction et les syndicats depuis de longues semaines. Pour le porte-parole de Delhaize, cité par nos collègues du Soir, une telle action serait contre-productive. « Les actions de boycott sont contre-productives car elles réduisent notre chiffre d’affaires et mettent en péril l’avenir de Delhaize et de ses 32.000 collaborateurs, ceux des affiliés inclus », réagit Roel Dekelver. En tant qu’expert des mouvements sociaux, Benoit Rihoux valide ce constat en partie. « Le boycott est un moyen de pression économique et peut logiquement avoir un impact négatif sur le chiffre d’affaires. On assiste à un bras de fer entre deux camps, où toute action a un coût économique ».
Le boycott de Delhaize pour remplacer les piquets de grève
Ces personnalités publiques se sont regroupées dans un appel au boycott car elles estiment que la justice met en péril le droit de grève. « La direction a eu recours à des décisions de justice qui ont tout fait, en l’absence d’une représentation équilibrée des parties devant les tribunaux, pour empêcher les grévistes d’exercer un droit de grève concret », écrivent les 131 cosignataires. Selon Benoit Rihoux, l’issue d’un tel boycott est incertaine, contrairement à l’impact d’une grève. « Un piquet de grève empêche physiquement d’accéder à un magasin. Dans le cas d’un boycott, on laisse aux consommateurs le choix d’adhérer ou non au message ». Le chercheur à l’UCLouvain pointe un avantage du boycott : sa légalité. « Mais le suivi de l’opération n’est pas garanti. Des militants ou représentants syndicaux y souscriront mais quid des consommateurs lambdas ? Se rendront-ils dans des magasins d’autres chaînes, plus distants géographiquement » ?
Pour Benoit Rihoux, boycotter Delhaize fonctionnera si les 131 cosignataires de la carte blanche parviennent à mobiliser la population. « Quand un mode d’action classique ne porte pas ses fruits, il faut parfois faire preuve d’originalité pour se tourner vers un autre mode d’action ».
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