Aides ONG
L’amputation des fonds dispensés aux ONG par l’Arizona privera le secteur d’un peu plus de 10% de ses moyens actuels. © GETTY

Les ONG pourraient ne plus pouvoir compter sur les aides et devoir envisager l’«autonomisation économique»

Face aux nouvelles contraintes financières imposées par l’Arizona mais pas seulement, les organisations de développement et de coopération doivent-elles transformer leur modèle de financement?

Une pluie de mauvaises nouvelles s’est abattue sur les organisations non gouvernementales de développement en ce début d’année 2025. Au gel des financements de l’agence USAID décrété par Donald Trump a succédé l’annonce par le nouveau gouvernement belge d’une diminution de 25% du budget fédéral à la Coopération au développement. De surcroît, la déduction fiscale des dons aux associations, canal essentiel de leur financement, passera de 45% à 30%. «Une association vient de m’informer que le retrait d’USAID privait d’un coup son budget de 500.000 dollars», confie un expert dans la coopération internationale. Mais pour lui, c’est surtout la diminution des subsides belges qui affectera une très grande partie des ONG.

Basé sur les chiffres publiés par l’association sectorielle Acodev, un rapide calcul en atteste. Si l’on excepte Médecins sans frontières, financée quasi exclusivement par des dons privés, l’amputation des fonds dispensés aux ONG par la Direction générale coopération au développement (DGD) privera le secteur d’un peu plus de 10% de ses moyens actuels. Mais ce chiffre est bien plus élevé pour une majorité de petites structures dont l’existence repose en grande partie sur des fonds publics. «Souvent, elles fonctionnent avec deux temps pleins, le minimum requis par la DGD pour accéder à ses financements. Pour conserver ce palier, certaines n’auront d’autre choix que de fusionner», prédit l’expert.

Révolution culturelle

«La diversification des sources est devenue une question de sécurité», confirme Gregory Vandendaelen. Ayant précédemment œuvré au sein de la Croix-Rouge, Médecins sans frontières et Handicap International, ce consultant y a vécu la montée en puissance des départements communication et fundraising. Aujourd’hui, les plus grandes consacrent pas moins de 20% de leurs dépenses à l’appel aux dons. Activation, segmentation, fidélisation… ces termes marketing ne leur sont plus étrangers. «Une révolution culturelle pas toujours facile à assumer, car ceux qui y travaillent ont justement fait ce choix par opposition à la culture du secteur marchand. Et pour les plus petites, c’est un vrai défi», assure Gregory Vandendaelen.

Espaces média, porte-à porte… l’«acquisition donateurs» est, de fait, coûteuse. Par ailleurs, les approches les plus efficaces se conçoivent sur le temps long, quand leur fragilité financière pousse les ONG à chercher un retour sur investissement marketing immédiat. «Diversifier les apports nécessite des ressources supplémentaires. Or, elles ont déjà affronté beaucoup d’angoisse et de surcharge de travail», rappelle encore Gregory Vandendaele. Une récente mesure fiscale impose en effet à toute association de récolter désormais le numéro national de chaque donateur avant d’émettre une attestation. 

La bonne nouvelle est que la générosité des Belges demeure élevée. Malgré l’inflation, le montant des attestations fiscales émises par le SPF finance est en augmentation régulière depuis dix ans. Autre apport important: celui des legs. D’année en année, leur contribution représente entre 13% et 20% des revenus d’exploitation, selon une étude de la Haute école de Gand. Parmi les plus grandes bénéficiaires, Médecins sans frontières aurait reçu 124 legs en 2023, pour un montant total de 18,4 millions d’euros.

Ces élans suffiront-ils à compenser l’effet de la diminution de la déduction fiscale annoncée? Les associations craignent que non. «Depuis de nombreuses années, elles ont pris l’habitude de travailler avec des budgets très contraints. Mais on est clairement aujourd’hui à un tournant pour le secteur, le poussant à réfléchir à des mécanismes durables de financement plutôt que de s’épuiser à combler des déficits à court terme», commente Gregory Vandendaelen.

«Opposer systématiquement l’idée de faire le bien à celle de faire de l’argent ne sert à rien.»

Au plus près du terrain

Ces associations seront-elles condamnées à délaisser leurs missions d’aide au développement et à ne plus intervenir qu’en cas d’urgence? Doivent-elles s’inspirer des mouvements contemporains tels que MeToo, Black Lives Matter ou Extinction Rebellion pour réévaluer la pertinence de leurs missions et messages? Ou s’ouvrir plus largement à des bailleurs issus de régimes ne prônant pas les mêmes valeurs que l’Occident? Ces questions taraudent les dirigeants des plus grandes ONG internationales. Dans une récente étude menée par l’université d’Oxford, ils esquissent des pistes pour de nouveaux modèles. Ceux-ci pourraient reposer sur un déplacement des centres de gravité vers les pays aidés. Les décisions clés d’établissement de programmes, d’allocation des ressources et de partenariats seraient prises «au plus près du terrain» et en plus étroite collaboration encore avec les autorités locales et nationales. Les ONG pourraient aussi voir leur lien avec les bailleurs institutionnels passer d’une logique de subsides à celle de contractualisation commerciale. Ou encore agir en plateformes permettant le partage de valeurs et des liens plus directs entre les communautés de donateurs et de bénéficiaires.

A l’heure où les financements publics se tarissent, d’autres voix appellent à oublier le principe d’aide pour celui d’«autonomisation économique». Inspirée des enseignements de la microfinance, celle-ci serait plus à même, à leurs yeux, de générer un réel progrès de développement. La firme bruxelloise Kois est pionnière dans le domaine de l’investissement à impact. Elle a élaboré plusieurs produits de financement de projets, impliquant investisseurs privés et garanties publiques, et déployés avec des ONG. Plan International, Médecins du Monde ou Care y ont fait valoir leur expertise afin, tout au long du processus, d’évaluer les besoins et de mesurer l’atteinte des objectifs qui garantissent le caractère impactant. «Opposer systématiquement l’idée de faire le bien à celle de faire de l’argent ne sert à rien. Il ne faut plus réfléchir en silo», soutient Florian Kemmerich, managing partner chez Kois. Il invite les ONG, à travers ces exemples, à se penser autrement. Au risque, peut-être, de compromettre certaines des valeurs qui ont présidé à leur naissance.

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