La «belle vie» au CPAS? En réalité, les non-recours sont beaucoup plus nombreux que les fraudeurs (analyse)
L’affaire du CPAS d’Anderlecht a entaché l’image de l’aide sociale, de son administration, de ses assistants sociaux et de ses bénéficiaires. Dans les faits, la situation serait plus grave si l’ensemble des bénéficiaires réclamaient leurs droits.
Pour une tempête, c’en est une sacrée. Le reportage de la VRT au CPAS d’Anderlecht aura suscité un émoi dans la presse et dans les parlements comme il en arrive rarement. Deux journalistes ont perçu 7.000 euros après avoir requis une aide du CPAS local sans pour autant en avoir besoin, et en fournissant une fausse adresse. A droite, on crie au clientélisme et aux dépenses scandaleuses de l’Etat. Une commission d’enquête est demandée, et les responsables sont invités à s’exprimer au parlement.
Voilà pour la polémique. Mais qu’en est-il des chiffres?
A Anderlecht comme dans les autres communes, le revenu d’intégration sociale médian est de 1.215 euros (842 euros pour les cohabitants, 1.263 euros pour les personnes isolées, et 1.707 euros pour les personnes avec famille à charge), pris en charge à 70% par l’Etat fédéral. A noter que, normalement, le CPAS ne verse que la différence nécessaire au ménage pour atteindre le RIS. Celui qui travaille ne perçoit pas 100% du RIS du CPAS. Les journalistes de Pano qui ont reçu 7.000 euros ont perçu une telle somme suite à un effet rétroactif, comme le prévoit la loi, puisqu’il y a souvent un délai entre la demande de l’aide et sa délivrance.
30 à 40% de non-recours pour 4% de fraudeurs
En 2013, 8,76 Belges sur 1.000 percevaient une compensation du CPAS pour attendre le RIS. Ils sont 13.49 aujourd’hui, soit 157.767 personnes dans le pays. «Mais on imagine qu’un demandeur sur trois ne se présente pas au CPAS», avance Georgy Manalis, président de la fédération des CPAS bruxellois. Tous ces absents ne sont pas forcément éligibles au Revenu d’Intégration Sociale, le CPAS fournissant de nombreuses aides complémentaires, mais ces dernières sont justement dans le viseur des partis qui formeront l’Arizona. «Cela impliquera des choix. Si certains bénéficient aujourd’hui de plusieurs aides, ils devront faire des choix pour ne pas dépasser un montant seuil. Or, quand un personne ne prend pas une aide à l’énergie, on la revoit généralement par après, et plus endettée encore», déplore Georgy Manalis, qui craint un nivellement par le bas.
«Au vu des données disponibles, en particulier la récente recherche "Take" (NDLR: qui chiffre quant à elle le taux de non-recours à 40%) coordonnée par le Centre de politique sociale de l’Université d’Anvers pour le compte du SPF Sécurité sociale, il semble établi que les situations de non-recours aux droits sont, quantitativement, beaucoup plus fréquentes que les problèmes d’abus», complète Carlo Caldarini, membre fondateur du Groupe d’étude pour la reforme de l’action sociale (Geras). Le sociologue des politiques sociales cite également un rapport du SPP Intégration sociale qui estimerait que 4,5% des bénéficiaires seraient impliqués dans des situation de fraude au revenu d'. Cette même étude révèle également que 73% des CPAS ont un score de prévention «moyen» au regard de leurs mesures contre la fraude sociale. 23% ont un score élevé, et 4% ont un score bas.
Les raisons principales de ces non-recours seraient le manque de connaissance, la complexité administrative, mais surtout la honte générée par un recours à l’aide sociale. Aucune statistique n’existe sur les professions des bénéficiaires des CPAS. Mais parmi les 20.000 Bruxellois qui seront expulsés du chômage si l’Arizona applique la limitation de deux ans, 20,5% sont pourtant moyennement qualifiés. 16,9% sont même hautement qualifiés, révèle encore la note envoyée aux formateurs. Difficile, pour une personne dotée d’un diplôme supérieur, d’assumer devoir se rendre au dernier filet de sécurité avant la rue. «A Woluwe-Saint-Lambert, un guichet communal a été adapté en guichet CPAS. En apparence, rien n’a changé, mais il n’y a plus ce moment de honte pour le bénéficiaire de s’y présenter», relate le président de la fédération des CPAS bruxellois.
Un accompagnement les yeux fermés, mais légal
Le scandale autour du CPAS d’Anderlecht aurait-il vu le jour si les assistants sociaux avaient réalisé l’enquête sociale comme prévue par la loi ? Avec un brin de préparation, il aurait pu. «La visite à domicile, par exemple, c’est la loi qui l’impose. Mais il suffit à l’assistant social d’aller à l’adresse renseignée, de voir le nom sur la boite aux lettres, parfois de vérifier que la personne ouvre bien la porte et c’est bon, le travail légal est fait. Mais le vrai accompagnement social, c’est de rentrer chez les gens, prendre un café, se rendre compte qu’il fait froid chez eux parce qu’une fenêtre ne ferme plus et expliquer qu’il existe une aide pour la remplacer. Pour les jeunes, c’est pareil. On les voit une fois par an, ce n’est pas normal.»
On ne fait qu’entretenir la misère sociale. 1707 euros par mois pour une personne avec une famille à charge, c’est sous le seuil de pauvreté
Georgy Manalis,
Président de la fédération des CPAS bruxellois
A Bruxelles uniquement, la limitation dans le temps des allocations de chômage risque de faire passer le nombres de bénéficiaires du RIS de 55.000 à 75.000. Ce qui nécessiterait, selon Carlo Caldarini et le Geras, 400 nouveaux travailleurs sociaux et 140 employés administratifs. Dans une note envoyée par la fédération des CPAS aux négociateurs bruxellois, que Le Vif a pu consulter, il est indiqué qu’un travailleur social devrait gérer un nombre maximal de 80 bénéficiaires, alors que certains en géreraient 200 à l’heure actuelle, confie Georgy Manalis. A titre de comparaison, l’agence bruxelloise pour l’emploi, Actiris, préconise pour sa part 50 demandeurs par fonctionnaire. «Et pourtant, on ne fait qu’entretenir la misère sociale. 1707 euros par mois pour une personne avec une famille à charge, c’est sous le seuil de pauvreté », qui est établi à 2.868 euros pour une famille avec deux enfants, regrette Georgy Manalis.
Les quatre clés d’avenir pour les CPAS
Pour le Groupe d’étude pour la réforme de l’action sociale, quatre pistes sont à envisager pour que les CPAS du pays relèvent les défis posés par une société qui se paupérise. «Premièrement, il nous semble essentiel de réaffirmer le caractère résiduaire de l’action des CPAS. Leur efficacité ne repose pas sur la solidité des mécanismes de protection sociale. Leur confier des tâches relevant de la sécurité sociale générale est inefficace et coûteux. Deuxièmement, il est nécessaire de revoir le financement des CPAS. Un remboursement juste (proche de 100%) des aides fédérales et des moyens suffisants pour les missions confiées aux CPAS doivent être garantis, appuie Carlo Caldarini. Troisièmement, et dans ce contexte, une gouvernance régionale doit nécessairement advenir pour articuler l’action des CPAS avec les autres acteurs en présence. Quatrièmement, il nous semble essentiel d’assurer une meilleure valorisation et reconnaissance du travail social. Il faut donner les moyens aux travailleurs sociaux de réaliser le travail essentiel qui leur est confié dans l’intérêt de tous. A ce titre, le fédéral peut aussi avoir l’initiative pour reconnaître l’importance des professionnels et de leurs organisations représentatives dans le dispositif de protection sociale.
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