Fuite d’un document du CPAS: « Il ne faut pas voir le revenu d’intégration comme un hamac »
Une attestation de revenus divulguée sur les réseaux sociaux et adressée à une cliente du CPAS issue de l’immigration suscite l’émoi en Flandre. Le gouvernement serait trop généreux envers ses concitoyens (issus de l’immigration) qui ne travaillent pas, tandis que les Flamands qui travaillent dur ou qui sont retraités seraient laissés pour compte – du moins selon certains utilisateurs des réseaux sociaux. « Nos allocations ne sont pas si généreuses, et un revenu d’intégration ne doit pas non plus être considéré comme un hamac », rétorque le professeur de politique sociale Wim Van Lancker (KULeuven).
Diffusée sur les réseaux sociaux, la lettre datée du 7 septembre 2022 et adressée à la cliente d’un CPAS énumère les montants auxquels la cliente aurait droit :
– revenu d’intégration: 1537,90 euros par mois
– groeipakket (les anciennes allocations familiales): 848,55 euros par mois
– allocation de logement: 263,11 euros par mois (« si les conditions sont respectées », est-il précisé)
L’une des versions qui circulent reprend et additionne les montants figurant au bas de la lettre. Le total est de 2649,56 euros par mois.
« Il faut être fou pour travailler »: voilà la phrase qui résume beaucoup de réactions sur Facebook et Twitter. Le professeur de politique sociale Wim Van Lancker (KULeuven) a également lu la lettre divulguée et les réactions qu’elle a suscitées. « Il ne s’agit pas d’une fraude ou d’une aberration du système, mais de l’application normale de la législation », souligne-t-il lors d’un entretien accordé à Knack. « Les montants en question ne sont d’ailleurs pas si généreux. »
Selon certains, la dame percevrait un revenu d’intégration supérieur à celui de certains travailleurs. Est-ce vrai ?
Wim Van Lancker : Il y a trois catégories de bénéficiaires du revenu d’intégration: un cohabitant, qui partage les dépenses du ménage avec une autre personne, perçoit 758,64 euros par mois, une personne seule 1137,97 euros par mois, et un cohabitant avec une charge familiale a droit à 1537,90 euros par mois. La dame concernée appartient à cette dernière catégorie. Elle a des enfants à charge et vit seule avec ses enfants ou avec une personne sans revenu. Le nombre d’enfants n’a pas d’incidence sur le montant du revenu d’intégration. Ces montants sont donc les mêmes pour toutes les personnes ayant droit à un revenu d’intégration et dépendent uniquement de la composition de la famille. D’ailleurs, notre revenu d’intégration n’est pas si généreux. Par rapport aux Pays-Bas, par exemple, il est même plutôt pingre.
N’est-ce pas un montant élevé par rapport à une personne qui dispose d’un revenu de travail modeste ?
Je trouve que non. Ceux qui travaillent à temps plein au salaire minimum garanti de 1 879 euros par mois ont nettement plus. Les personnes qui travaillent involontairement à temps partiel à un faible salaire et qui n’atteignent donc pas le montant du revenu d’intégration peuvent percevoir une partie du revenu d’intégration du CPAS pour le compléter. Mais c’est surtout une erreur de considérer le revenu d’intégration comme une sorte de hamac. Il s’agit du dernier filet de sécurité pour ceux qui n’ont pas d’autres revenus, et il faut remplir un certain nombre de conditions pour l’obtenir: vous devez prouver que vous n’avez aucun moyen de subsistance, que vous êtes disposé à travailler ou à chercher du travail, à suivre un cours de langue ou une autre formation, etc. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il s’agit d’une mesure permettant d’augmenter vos chances de trouver un emploi. Si vous devez lutter chaque jour pour survivre, vous n’avez tout simplement pas le temps ni l’énergie d’améliorer votre situation sociale, c’est aussi simple que cela. C’est un système qui donne aux personnes vulnérables le coup de pouce nécessaire pour avancer dans la vie.
Ceux qui travaillent ont aussi des frais supplémentaires, objectent certains. Pensez aux déplacements domicile-travail et à la garde des enfants.
C’est vrai, mais il y a aussi des idées fausses à ce sujet : les personnes qui touchent le revenu d’intégration ont aussi besoin de vêtements décents pour se rendre à des entretiens d’embauche et doivent aussi trouver des services de garde d’enfants pour suivre des cours.
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De nombreux retraités doivent se contenter de moins de 1537,90 euros par mois. Comprenez-vous le mécontentement à ce sujet ?
Certainement. Mais ce n’est pas le revenu d’intégration qui est trop généreux, ce sont les pensions qui sont trop maigres. Qu’attendent nos politiciens pour travailler sur la réforme des retraites promise ? On ne résout pas le problème des faibles pensions en réduisant d’autres prestations et en plongeant ainsi encore plus de personnes dans la pauvreté.
Pour certains, la dame concernée perçoit « beaucoup d’allocations familiales ».
Nous lisons que le groeipakket (l’ancienne allocation familiale) auquel elle a droit est de 848,55 euros par mois. Je suppose qu’elle a cinq enfants et qu’elle perçoit le montant de base pour chacun d’eux, comme tout le monde. Dans le cadre du régime actuel [NDLR : flamand], le montant de base est de 171,49 euros par enfant et par mois, un montant qui ne couvre qu’une fraction du coût de l’éducation des enfants. La Flandre n’est pas non plus généreuse en la matière par rapport à d’autres pays, sauf pour les parents qui gagnent bien leur vie et qui n’en ont probablement pas besoin.
Qu’en est-il de l’aide au logement mentionné dans la lettre ?
Il s’agit d’un montant de 263,11 euros par mois qui, pour être clair, ne peut être obtenu que si la dame remplit les conditions, comme l’indique clairement la lettre. Une aide au loyer peut être accordée si vous déménagez d’un logement non adapté à un logement plus adapté. Un faible revenu ne suffit pas pour obtenir la subvention, il s’agit de situations très spécifiques : vous êtes sans abri et vous trouvez un logement, vous louez un taudis à un propriétaire et vous parvenez à trouver un logement plus qualitatif ou plus économe en énergie pour votre famille. En 2021, 4421 demandes d’allocations au logement ont été approuvées. Un phénomène somme toute marginal quand on sait qu’il y a 180 000 familles sur la liste d’attente pour un logement social.
L’idée que les personnes bénéficiant d’un revenu d’intégration bénéficient en plus d’autres avantages, comme le tarif social de l’énergie, est également très répandue.
C’est possible, mais là aussi, les mêmes règles s’appliquent que pour tout le monde. Les travailleurs à faibles revenus ou les retraités peuvent également prétendre au tarif social.
Peut-on considérer toutes les personnes qui ont réagi avec colère à cette lettre comme des mécontents ou des racistes ?
Lorsque les gens sont en difficulté, comme c’est le cas aujourd’hui pour beaucoup suite aux prix élevés de l’énergie, ils sont plus susceptibles de se comparer à d’autres personnes qu’ils soupçonnent d’avoir un peu plus qu’eux. Il s’agit d’une réaction humaine, sauf qu’ils sont plus susceptibles de comparer avec une situation qu’ils ne connaissent pas entièrement. Le fait d’être autochtone ou issu de l’immigration, par exemple, comme expliqué précédemment, ne joue aucun rôle dans l’attribution d’un revenu d’intégration ou d’autres avantages, mais un parti comme le Vlaams Belang aime malheureusement envoyer ce message au monde, depuis un agenda différent.
La politique a-t-elle un rôle à jouer dans ce genre de polémique ?
Je regrette que nous n’entendions pas les politiciens des autres partis . Pendant la crise du coronavirus, nous avons généreusement offert notre aide aux Flamands qui ont subi une perte de revenus. Les politiciens de tous bords se sont félicités de ce soutien. Pourquoi personne ne prend la défense de notre système social lorsqu’il s’agit d’aider les personnes en marge de la société ? Au fond, ce n’est pas aux universitaires, mais aux politiciens d’expliquer le fonctionnement de notre système de sécurité sociale. Le fait de donner quelque chose à des personnes qui n’ont rien pour qu’elles puissent mettre de l’ordre dans leur vie et s’intégrer dans la société est parfaitement défendable, non? Alors pourquoi n’entendons-nous pas ces arguments ?
Oui, pourquoi pas?
Je soupçonne que beaucoup de politiciens ne savent pas assez bien comment ces systèmes fonctionnent ni ne sont suffisamment conscients de la misère qui aboutit aux CPAS. Je crains que ces questions ne soient trop éloignées de leur univers.
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