Faut-il s’inquiéter de la normalisation de la télémédecine ? «Rien ne remplace une consultation physique»
La télémedecine est désormais mieux balisée en Belgique. Mais, pour Sophie Lanoy, directrice politique de la Ligue des usagers des services de santé (Luss), la consultation médicale à distance a des limites, tant pour le diagnostic que l’annonce de celui-ci.
Quels sont les avantages de la téléconsultation pour le patient?
Il y en a beaucoup et ils sont assez évidents. D’abord, la consultation à distance permet, comme son nom l’indique, de ne pas se déplacer et de gagner du temps, notamment pour certaines consultations de suivi ou de routine. Dans certaines situations sanitaires, comme on l’a vu lors de l’épidémie de coronavirus, elle est utile pour éviter les contagions dues à la propagation de la maladie. Elle peut aussi réduire les délais d’attente avant d’obtenir un rendez-vous et, exceptionnellement, être commode dans des cas de grande distance géographique entre le patient et le médecin ou lorsque le malade est immobilisé à cause d’une jambe cassée, par exemple. Enfin, des consultations purement administratives pour prolonger un certificat ou renouveler des prescriptions peuvent parfois se faire facilement par téléphone. Mais malgré tous ces avantages, il faut garder à l’esprit que rien ne remplacera une consultation physique.
On sent qu’on est rattrapés par les aspects pratiques, de gain de temps surtout, d’un tel système.
Selon vous, elle doit donc rester exceptionnelle?
Pas forcément, mais cela doit être réfléchi. La téléconsultation présente des limites. Il est difficile de mesurer des paramètres, comme la tension par exemple, autrement que lors d’une consultation physique. Et puis, cela prend du temps. Il faudra d’ailleurs examiner quelles seront les limites de temps fixées pour une téléconsultation. Il nous semble compliqué d’établir un diagnostic à distance et aussi très délicat d’annoncer un diagnostic de cette manière. Pour une simple gastro, on peut l’envisager, pas pour une maladie plus sérieuse. Les associations de patients avec lesquelles nous travaillons considèrent souvent que l’ annonce d’un diagnostic dans le cadre d’une consultation traditionnelle devrait avoir lieu en deux temps, car si le diagnostic est grave, le patient peut se trouver en état de choc et ne pas être capable d’enregistrer les informations qui suivent concernant le traitement. A fortiori, à distance, c’est encore plus délicat.
Le médecin ne risque-t-il pas de remplacer trop de visites par des téléconsultations?
C’est un peu notre crainte, oui. On sent que l’on est rattrapés, ici, par les aspects pratiques, surtout de gain de temps. L’Inami a d’ailleurs souligné que ce genre de consultation doit découler d’une demande du patient, avec l’accord du médecin bien entendu. Il faudra évaluer si ces clous seront bien respectés dans la pratique. D’où l’importance de communiquer correctement sur les critères de la téléconsultation. Une campagne d’information efficace doit être mise en place par les autorités et par les praticiens vers les patients. Nous recommandons, de notre côté, que ce genre de consultation ne se pratique que lorsqu’il existe déjà une bonne relation établie entre le patient et le médecin.
Comment pourra-t-on distinguer un simple coup de fil à son médecin d’une téléconsultation?
C’est une de nos questions à la Luss. Là aussi, nous attendons des balises claires. Il faudra, en tout cas, que le patient soit prévenu préalablement des modalités et de ce qu’il devra payer lorsqu’il s’agit d’une consultation à distance. Nous préconisons également que cette téléconsultation soit bien préparée, ne fût-ce que pour s’assurer des conditions d’intimité et de confidentialité. Imaginez qu’une personne âgée soit installée devant son ordinateur avec son médecin alors qu’une aide-soignante est à son domicile. Il faut tout prévoir.
N’y a-t-il pas aussi un enjeu de sécurité des données transmises lors d’une téléconsultation?
Tout à fait, surtout s’il s’agit d’une consultation en visioconférence. Il faudra un logiciel validé ou homologué par l’Inami, pas un simple Zoom ou Teams. Cela nécessite, à notre sens, un outil qui soit complètement sécurisé.
Tous les médecins seront-ils favorables à la téléconsultation? Certains patients ne seront-ils pas lésés à ce niveau?
Je ne pense pas que tous les médecins soient nécessairement preneurs. Certains praticiens ne sont d’ailleurs pas équipés pour d’un point de vue informatique. On le voit dans certains dossiers de patients. Cela devient plutôt rare mais il en existe encore. C’est à prendre en compte. Idem chez les patients. La fracture numérique est toujours une réalité et un frein à l’accès aux soins de santé. A la Luss, on le voit de plus en plus sur le terrain. La téléconsultation nécessite un dossier médical informatisé. Le patient doit pouvoir se connecter à son e-box. Certains, notamment les plus âgés, ne sont pas encore à l’aise avec cela. Il y a aussi des patients qui sont en déficience intellectuelle ou des personnes âgées plus confuses qui ne retiendront pas nécessairement ce qu’on leur dira par téléphone. Il faut être attentif à tout cela.
Sur les tarifs et les modalités de paiement, cela vous semble-t-il juste?
Cela nous paraît abordable, mais on ne comprend pas vraiment la différence de tarif, qui varie du simple au double entre une consultation par téléphone ou par visio. Y aura-t-il une limite de temps différente entre les deux? Ce sera à surveiller.
La téléconsultation renforcera-t-elle la centralisation des soins en cours?
Pas si on garde à l’esprit, dans la pratique, les lignes fixées par l’Inami, bien que cette consultation ait lieu dans le cadre d’un lien thérapeutique et de confiance préexistant avec le médecin. Evidemment, on ne sait jamais comment ce genre de système évoluera et s’il prendra de l’ampleur. Nous serons vigilants, à la Luss, sur cet aspect. Nous avons remis des avis à plusieurs reprises aux autorités qui nous ont sollicités pour identifier les limites du système. Mais nous n’avons pas été invités à participer au dernier groupe de travail sur la téléconsultation.
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