Faut-il poursuivre en justice les propriétaires d’immeubles inoccupés ? « Ils n’ont parfois pas d’autre choix »
Fait rare, Namur active la voie judiciaire contre le propriétaire d’un immeuble resté inoccupé. Mathilde Flas, ingénieure civile en architecture et doctorante à l’ULiège, à l’origine d’un outil de détection de logements vides par croisement de données, souligne la complexité d’une lutte qui ne touche pas que des spéculateurs mais concerne aussi des proprios parfois « prisonniers » de leur bien..
La Ville de Namur entend contraindre par la voie judiciaire un propriétaire à mettre fin à la vacance de son bien immobilier. En quoi cette démarche, rare, serait-elle une mesure forte?
L’action en cessation fait partie des outils juridiques adoptés par le gouvernement wallon en 2017 et en vigueur en Région bruxelloise depuis 2009. Ce type de mesures a déjà été appliqué à une reprise au moins, par la Ville de Huy à l’encontre d’un propriétaire de treize logements inoccupés et ce, dès 2017. La Ville a obtenu gain de cause mais elle s’est montrée déçue des effets relatifs de la décision qui a contraint le propriétaire à vendre seulement deux de ses biens pour payer le montant dû à la commune. Cette action en cessation est néanmoins un outil assez puissant et reste rare sur le plan international. Alors qu’en France, on ne peut agir de la sorte que lorsque le bien est dégradé, il n’est pas nécessaire d’en arriver à ce stade en Région wallonne.
Les communes privilégient d’abord le contact avec le propriétaire afin de comprendre sa situation personnelle.
Ce genre de démarches est-il appelé à se multiplier?
Non, il s’agit d’un instrument juridique de dernier recours, dont l’usage reste exceptionnel en raison de sa lourdeur et qui n’est applicable qu’aux cas les plus flagrants. Les communes ont une marge d’appréciation, elles préfèrent agir à l’amiable, privilégier d’abord le contact avec le propriétaire afin de comprendre sa situation personnelle. Certains n’ont pas toujours d’autre choix que de laisser un immeuble inoccupé.
D’autres raisons que la spéculation peuvent pousser les propriétaires à laisser des immeubles vides?
Bien sûr, comme un problème d’indivision ou de succession, ou encore la peur d’une gestion locative. Nombreux sont aussi les propriétaires démunis, souvent âgés, qui disposent de revenus trop faibles ou qui ont du mal à obtenir un prêt pour financer la rénovation d’un bien qui n’est plus en très bon état et qui, même s’ils voulaient le vendre, ne trouveraient pas d’acquéreur. Les cas sont donc très divers, comme celui, aussi, de propriétaires placés en maison de repos et qui conservent un logement désormais vide. On peut également être confronté à des comportements économiques irrationnels. Les pouvoirs locaux sont conscients de cette politique à mener au cas par cas et qui rend la gestion de cette problématique très compliquée.
Comment expliquer qu’il ait fallu attendre votre travail de fin d’études pour pointer l’ampleur insoupçonnée du phénomène des immeubles inoccupés qui concernerait près de 100 000 logements en Wallonie?
La sous-estimation mise en lumière par mes recherches n’est pas une réelle surprise, le recours à l’exploitation des données de consommation d’énergie et d’eau pour identifier un immeuble inoccupé avait déjà été étudié. Je me suis attachée à croiser ces bases de données avec des absences de domiciliation pour créer un nouvel outil qui permettrait aux communes de prédire des inoccupations. Ma démarche s’inscrivait dans le cadre d’une mission d’intérêt public de nature universitaire, ce qui m’offrait une plus grande ouverture académique dans l’accès à certaines données là où les communes devaient attendre l’entrée en vigueur du décret de la Région wallonne (NDLR: depuis septembre dernier, les gestionnaires d’énergie et d’eau sont tenus de transmettre les consommations minimales). Ces données, issues de sources différentes, restent difficiles à croiser. L’exercice demande une ingénierie importante de la part des communes qui n’en disposent pas toujours pour entreprendre des actions à partir d’une combinaison de données. L’identification des logements inoccupés reste un frein à leur mobilisation et à leur remise en état.
Christophe Collignon (PS), ministre wallon du Logement et des Pouvoirs locaux, souligne l’importance du passage d’indices à une présomption réfragable d’immeubles inoccupés…
Oui, parce que sur la base de l’exploitation de données, un logement peut être présumé inoccupé et il appartiendra au propriétaire de contester cette qualification en prouvant que le bien n’est pas abandonné. Les biens dégradés sont évidemment les plus faciles à repérer mais nombre d’immeubles vides restent dans un état correct.
En quoi la voie judiciaire choisie par la Ville de Namur pourrait-elle être plus dissuasive que la taxation des immeubles inoccupés?
La taxe, utilisée par de nombreuses communes quoique de manière pas forcément systématique, poursuit un but plutôt incitatif. Le bilan de son efficacité reste cependant assez mitigé, notamment à l’égard de multipropriétaires qui agissent par but spéculatif et pour qui le paiement de l’amende n’est pas forcément un problème.
Quelle pourrait être la meilleure piste à suivre pour s’attaquer efficacement à ce phénomène des immeubles vides alors que le besoin de logements est réel?
Le recours à une agence immobilière sociale (AIS) est une solution qui peut s’avérer prometteuse dans le cas d’un bien inoccupé en mauvais état. L’AIS, à la demande du propriétaire, peut prendre en charge le financement et la gestion, totale ou partielle, des travaux de rénovation du bien immeuble en se faisant rembourser grâce aux loyers du bien ensuite mis en location. Cette voie est encore relativement peu utilisée. Des aides publiques pour remettre des biens en état locatif existent. Elles peuvent aller jusqu’à 93 000 euros par logement, mais elles restent encore trop peu connues.
La problématique des immeubles inoccupés est-elle comparable en Wallonie et à Bruxelles?
Non, le foncier étant plus rare et plus cher en Région bruxelloise, il y a moins de blocage de nature économique lorsqu’il faut trouver un acquéreur pour un immeuble. En Wallonie, la possibilité de construire, plus grande qu’à Bruxelles, complique la donne en rendant moins attractive l’acquisition d’un immeuble dégradé, singulièrement dans des endroits moins recherchés en matière immobilière que le territoire bruxellois.
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