Le télétravail séduit les managers: «Pour bien diriger à distance, il faut être… proche»
Le travail à domicile s’accroche, quatre ans après le début d’une pandémie qui a fait entrer le télétravail avec force dans la vie de nombreux employés. Parmi les catégories de travailleurs qui déclarent le plus bosser de chez eux, les managers. Contre-intuitif de diriger à distance ? Analyse.
Encore relativement marginal avant 2020, le télétravail semble désormais s’être installé comme une évidence dans de nombreuses entreprises. Entre 13 et 19% des salariés déclaraient télétravailler durant les dix années pré-Covid. Ils étaient désormais 32% à le faire en 2023, selon les derniers chiffres fournis par Statbel, l’office statistiques belge.
Un chiffre en recul par rapport à 2022 (34% de télétravailleurs) et surtout 2021 (38%), année encore compliquée par le coronavirus, où la Belgique a vécu au rythme des vagues de contaminations, des confinements et de la distance sociale. Mais le retour total en arrière semble difficile à concevoir.
«Pour les fonctions qui peuvent télétravailler, il y a une forme d’acquis aujourd’hui, autour de deux jours de télétravail par semaine, détaille Laurent Taskin, professeur à la Louvain School of Management. Le télétravail reste un critère d’attractivité pour une entreprise mais n’est même plus différenciant. C’est désormais l’absence de possibilités de travail à domicile, de cet acquis, qui est devenu un facteur de répulsion, une raison de ne pas choisir un emploi.»
Deux managers sur trois à distance
Sans surprise, les métiers plus qualifiés, de bureaux, sont ceux qui continuent à jouir le plus du télétravail. L’enquête de Statbel montre d’ailleurs l’attrait des managers pour le travail à domicile: ils sont pratiquement deux sur trois à déclarer télétravailler parfois ou fréquemment.
«Il faut d’abord nuancer cette catégorie, qui semble englober énormément de personnes, pas seulement ceux qui dirigent des équipes, précise Laurent Taskin. En revanche, cela montre malgré tout les changements qui s’opèrent au niveau des entreprises aujourd’hui. Les différences entre manager et membres de l’équipe se réduisent désormais. Le droit accordé aux employés de télétravailler s’est étendu aussi aux chefs d’équipe. Cela montre une forme d’évolution dans le monde des entreprises.»
La distance avec son équipe pourrait sembler contre-intuitive, mais ne l’est pas forcément, selon l’expert en gestion des ressources humaines et du comportement organisationnel. «Paradoxalement, pour bien manager en étant loin, je dirais qu’il faut être proche. Un bon manager aujourd’hui, c’est quelqu’un qui connaît son équipe, le contenu du travail, qui sait ce qui doit être fait et comment, plutôt que de se concentrer sur des indicateurs, des mesures de performances, etc. C’est ça la proximité».
Réguler la présence au bureau plutôt que l’absence
Devenu un mode de vie pour certains, le télétravail connaît pourtant un certain désamour, notamment du côté de l’employeur. Près d’une entreprise belge sur trois (30,6%) souhaiterait ainsi réduire le télétravail structurel, selon une étude récente de l’entreprise de services RH Acerta. La réalité de l’absence de contacts pose aussi question.
Un mouvement qui étonne peu le professeur. « Le télétravail actuel se différencie de ce qui se pratiquait au tout début, lors de l’installation des premières conventions collectives qui ont permis le travail à domicile en Belgique, il y a une vingtaine d’années. La journée de télétravail était un moment plus à part, coupé de relations sociales, où l’on se concentrait sur certaines tâches. Désormais, le boulot a simplement changé de lieu, avec réunions en visioconférence et des interactions via messageries. L’effet bénéfique de la distance peut sembler moins évident.»
S’opère désormais une réflexion plus globale autour de la répartition du temps de travail entre le domicile et l’entreprise. Il ne s’agit plus d’autoriser le télétravail parce qu’il s’agit d’une norme, mais bien de revoir le temps de présence collective et de ce qui sera fait grâce au présentiel.
«Il faut alimenter le fait d’être ensemble, avance Laurent Taskin. Plutôt que de réguler la distance, on observe désormais la volonté de réguler la présence. Il faut être ensemble pour faire certaines activités. Collaborer de manière efficace passe aussi par une bonne connaissance des autres. Certaines choses demandent, a priori, des échanges, de la présence. Il ne faut pas forcément voir cela comme un retour en arrière, mais plutôt comme une revalorisation de la présence collective. Et c’est aussi la tâche du manager d’imaginer pourquoi l’équipe sera ensemble à tel moment, ce qu’elle fera de ce moment de présence», conclut-il.
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