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Eric Thiébaut: « La meilleure façon d’augmenter les recettes de ma commune, c’est par son nombre d’habitants, pas en attirant des entreprises à Hensies »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Bourgmestre (PS) d’Hensies, Eric Thiébaut veille à accueillir des habitants qui travaillent, presque toujours ailleurs que dans la commune, plutôt que des entreprises qui engagent.

53,5% de taux d’emploi, c’est pile dans la moyenne de l’arrondissement de Mons-Borinage, dans lequel Hensies présente le ratio d’emploi communal intérieur (REC) le plus faible, avec 26%. Bref, peu d’habitants de Hensies travaillent à Hensies. Eric Thiébaut, est-ce que ce dernier chiffre, en tant que bourgmestre, vous préoccupe?

Eric Thiébaut. Pour moi, ce n’est pas qu’il soit juste ou injuste. C’est qu’il n’a pas de signification utile du point de vue du gestionnaire communal. Dans la population d’une commune, il y en a qui travaillent, il y en a qui ne travaillent pas, il y en a qui travaillent sur le territoire de ta commune, et il y en a qui ne travaillent pas sur le territoire de ta commune. Est-ce que ça a une influence? Ce qui a une influence, quand vous êtes bourgmestre, c’est d’abord la gestion de vos finances communales. Les sources de revenus, ce sont l’IPP, le précompte immobilier, le Fonds des communes et différentes taxes. Et aujourd’hui, pour un gestionnaire communal, la meilleure façon d’augmenter les rentrées, c’est son nombre d’habitants…

Et surtout le nombre d’habitants qui travaillent?

En tout cas, le nombre d’habitants qui paient des impôts… C’est aussi pour ça que je me bats tellement pour garder nos deux points d’arrêt de la SNCB sur la commune. Et que, sous la dernière législature, on a construit deux crèches. Ce sont soixante bébés qui peuvent y être accueillis pendant que leurs parents travaillent. Après, sur la création directe d’emplois, un des plus gros employeur de notre territoire c’est la commune elle-même. Rien qu’avec nos cinq écoles…

Vous êtes favorable à la réintroduction d’une espèce de clause de préférence communale pour les emplois publics locaux?

Non ! Allez, imaginez, parce que vous travaillez à la commune, vous n’allez jamais pouvoir déménager? Ca ferme trop de portes. Vous savez, on a déjà un mal de chien à recruter certains types de profils, dans la fonction publique communale. Si on ajoute cette contrainte, les petites communes comme Hensies vont galérer encore plus.

Il vaut donc mieux attirer à Hensies des citoyens qui travailleraient ailleurs que des entreprises, quoi…

Oui, oui. Si une société s’établit chez nous à Hensies, ses impôts, elle ne les paie pas ici, tout au plus une petite taxe sur la force motrice. On a une grosse usine, les cartonneries Carthuplas, à Thulin. Sa taxe sur la force motrice, c’est quelque chose comme 50 000 euros par an, sur plus de dix millions de recettes à notre budget initial… Evidemment, une commune plus industrielle, comme notre voisine de Saint-Ghislain, avec pas mal de zonings et d’industries installées sur son territoire, en reçoit davantage. Mais c’est toujours moins que les recettes provenant de la fiscalité sur les habitants… En 2006, quand je suis devenu bourgmestre, j’ai fait faire des lotissements avec nos terrains communaux qui étaient en zone à bâtir. Dans le collège, depuis des décennies, il y avait des agriculteurs qui, par principe, ne voulaient pas vendre les terres de la commune. Mais quand on est dans une commune rurale, avec énormément de terres agricoles, ce ne sont pas les cinquante premiers mètres le long de la voirie qui vont nuire aux exploitations… Donc, on a vendu à peu près soixante terrains à bâtir. C’est, je crois, un million et demi de rentrées à la vente. Et puis, les gens qui construisent et qui s’installent, ils paient leurs additionnels au précompte immobilier chez nous. C’est un peu comme si vous vendiez votre maison mais que l’acheteur continuait à vous payer un loyer. Donc, ça, c’est vraiment très intéressant pour les recettes communales, et c’est souvent sous cet angle-là qu’un gestionnaire communal regarde les choses.

Et puis les entreprises provoquent parfois des nuisances pour les riverains, qui sont des électeurs…

Oui mais, remarquez, ça va même plus loin, hein, même des logements ça embête ceux qui sont à côté… On a eu le cas avec une maison implantée sur un terrain à bâtir: les gens qui habitent à côté depuis cinquante ans ne sont pas ravis. On sent aussi qu’il y a une forte demande de parcs, d’espaces verts, etc., parce que les gens ont l’impression qu’on bétonne trop, qu’on construit partout. Toi, tu fais construire parce que ça permet de stabiliser tes finances, ça te permet d’augmenter tes rentrées… Mais il faut aussi garder le cadre de vie que les gens sont venus chercher. Pour prendre un exemple plus macro, c’est typiquement ce qu’il se passe avec Bruxelles. C’est le plus gros pourvoyeur d’emploi du pays, mais ses centaines de milliers de navetteurs quotidiens paient leurs impôts en Flandre ou en Wallonie.

Les villes disent souvent payer pour les autres, c’est vrai. Mais elles reçoivent plus que les autres aussi.

Eric Thiébaut

A cet égard, DeFI propose que l’impôt sur les personnes physiques soit perçu selon le lieu de travail plutôt que selon le domicile. Une bonne idée?

En tant que Wallon, bien sûr que non, car c’est pour les Bruxellois que ça serait le jackpot. Mais il faut bien avouer qu’avoir tous les inconvénients de toutes les implantations génératrices de PIB et d’emploi, sans en recevoir une partie substantielle du retour fiscal, ce n’est pas tout à fait normal…

Est-ce à dire que ce système de financement des communes pénalise, ou désavantage, la création d’activité économique sur son territoire?

Je ne dirais pas ça, parce que le Fonds des Communes donne un bonus aux villes, dont le territoire plus urbain développe plus d’emplois. Les villes disent souvent payer pour les autres, c’est vrai. Mais elles reçoivent plus que les autres aussi. Il faut en tenir compte.

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Ce qui baisse, mécaniquement, le taux d’emploi de votre commune, c’est la proportion de logements sociaux, où habitent tendanciellement davantage d’inactifs. A Hensies, 12% des ménages vivent dans un logement social. Est-ce un problème pour vous?

Eric Thiébaut. Les logements sociaux, quand je deviens bourgmestre, ils sont là. Dans notre commune, il y avait un énorme charbonnage jusqu’en 1976, qui employait trois mille personnes, avec des gens qui venaient de partout pour travailler, des gens à qui il fallait trouver un logement décent. Maintenant, le charbonnage est fermé depuis 1976, c’est pas pour ça qu’on va raser les logements sociaux. D’un autre côté, je pense qu’il faut travailler sur la mixité sociale. Concentrer dans un même quartier des gens qui ont des difficultés, ça crée des ghettos, ce n’est pas une bonne politique, je le dis depuis longtemps. Le système de points fait que plus vous êtes dans la difficulté, plus vous êtes prioritaire pour accéder à un logement social. Ca se défend, évidemment, mais ça implique trop souvent que toutes les personnes qui se retrouvent dans une cité sociale sont des personnes qui ont des problèmes, financiers ou autres. Et ça, c’est mauvais, pour ces personnes avant tout. Je trouve qu’il faut plus de mixité, c’est pourquoi, nous, on fait basculer une partie de notre logement social en logement moyen, accessible à des revenus un peu plus élevés.


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