«Tous les employeurs me font comprendre que je suis trop vieux»: les chômeurs de longue durée, un public très varié (infographies)
En ciblant les 129.000 Belges au chômage depuis plus de deux ans, le MR et les Engagés envisagent-ils une politique trop uniforme face à un problème complexe? Derrière les chiffres se cachent des réalités bien différentes.
Il n’a cessé de le répéter ces derniers mois: le MR de Georges-Louis Bouchez serait le parti «des gens qui se lèvent le matin», par opposition à l’image du oisif chômeur, qui lui, ne se lèverait qu’à 14 heures. Il l’a précisé sur les ondes de Bel RTL, début juin: pour le président des Engagés, Maxime Prévot, «L’idée, c’est de dire [aux chômeurs de longue durée]: on vous tend la main, mais vous devez aussi vous prendre en main», à l’inverse de tous ces demandeurs d’emploi défaits, qui subiraient leur sort sans broncher dans leur canapé. On le sait, les deux formations politiques, qui gouverneront ensemble en Wallonie et comptent en faire de même aux autres niveaux de pouvoir, partent en guerre contre le chômage de très longue durée. Le MR souhaite mettre fin aux allocations de chômage après deux ans, pour rediriger les personnes concernées vers les CPAS. Les Engagés veulent qu’avant d’en arriver là, l’Etat leur impose un job dans un secteur donné, public, associatif ou privé (moyennant des subsides).
D’après une première estimation de l’économiste Philippe Defeyt, président de l’Institut pour un développement durable, une telle remise à l’emploi salarié de 90% des chômeurs de deux ans et plus pourrait coûter un peu moins de 850 millions par an. «Mais les personnes concernées ont-elles les compétences?», questionnait-il récemment. «Les employeurs ont-ils les moyens de payer une contribution même modeste si c’était la condition pour activer ces jobs? […] Et si ces jobs « existent », ne ferait-on pas mieux de les proposer, du moins en partie, à d’autres demandeurs d’emploi, par exemple à des jeunes sans revenus ou à des chômeurs plus récents?»
70% des chômeurs de longue durée travailleraient plusieurs mois par an
Au-delà des modalités à affiner et de l’évident clivage gauche-droite sur l’opportunité de limiter ou non les allocations de chômage après deux ans, est-il possible de répondre de manière uniforme à une telle problématique? Pour la secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), Christine Mahy, c’est un non catégorique. «Je ne nie pas le fait que certains puissent profiter du système et cumuler les allocations, mais il suffit de rencontrer souvent des chômeurs pour se rendre compte que ce n’est pas du tout la majorité», commente-t-elle. En s’appuyant sur les chiffres des syndicats et les constats de terrain du RWLP, elle estime par ailleurs que 70% des personnes répertoriées comme demandeurs d’emploi de très longue durée (de deux ans et plus) travaillent au moins certains mois sur l’année, par l’entremise de contrats d’une durée de moins de trois mois ou de missions intérimaires. Or, il faut comptabiliser plus de trois mois de travail ininterrompu pour sortir du statut de demandeur d’emploi inoccupé.
«Sur le plan sociétal, je crains que les discours actuels fassent des chômeurs de longue durée les boucs émissaires de problèmes sociétaux bien plus larges, poursuit Christine Mahy. Et sur le plan individuel, il n’est jamais bon d’être assimilé à un paria et pointé du doigt comme étant à la charge de la société, indépendamment de la multiplicité des difficultés rencontrées dans la vie.»
47% des demandeurs d’emploi sont au chômage depuis plus de deux ans
D’après les chiffres de l’Office national de l’emploi (Onem) arrêtés en avril dernier, près d’un demandeur d’emploi sur deux est au chômage depuis plus de deux ans, soit 129.566 personnes (dont 57% d’hommes): 44% vivent en Wallonie, 29% en Flandre et 27% à Bruxelles. Au sud du pays, les communes affichant le taux de chômage de très longue durée le plus élevé sont Liège et Farciennes (11,7%), suivies de Charleroi (11,6%), Seraing (11,5%) et Verviers (11,3%), selon les données compilées par l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). Dans la capitale, il s’agit de Bruxelles-Villes (7,9%), Anderlecht (5,3%) et Schaerbeek (5,2%), renseignent les statistiques d’Actiris pour le mois de mai 2024.
«Certaines personnes sont complètement usées après avoir travaillé pendant plus de 25 ans dans un métier pénible, dégradant ou mal rétribué.»
Par ailleurs, en Wallonie, environ 20% des demandeurs d’emploi sont au chômage depuis plus de cinq ans, selon les données du Forem. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, cette proportion grimpe même à 25,5%. L’activation de cette catégorie de demandeurs d’emploi sera probablement bien plus complexe que ce que laissent entendre Les Engagés. Dans les faits, peu d’employeurs sont disposés à engager prioritairement un candidat qui présente plusieurs années d’inactivité sur son CV. D’autant que ces demandeurs d’emploi font face à des réalités ou à des contraintes très variées. «J’en ai rencontré beaucoup, y compris dans des métiers intellectuels, qui ont totalement perdu confiance en eux à force de postuler, parce qu’ils ne sont jamais pris en premier, constate Christine Mahy. Ils finissent par se replier ou à sombrer dans la dépression, mais ne sont pas passifs pour autant par rapport au marché du travail. Certaines personnes sont très qualifiées mais ont des problèmes de timidité qui les empêchent de se démarquer. D’autres sont complètement usées après avoir travaillé pendant plus de 25 ans dans un métier pénible, dégradant ou mal rétribué. Et puis, il y a aussi des personnes porteuses d’un handicap mental ou physique, qui ont les compétences qu’elles peuvent avoir. Plus encore que la remise à l’emploi, c’est alors souvent le maintien à l’emploi qui pose problème.»
Interrogée en 2022 sur les personnes au chômage depuis plus de dix ans, la ministre wallonne sortante de l’Emploi, Christie Morreale, indiquait que «30% d’entre elles ont des problèmes identifiés (le plus souvent des problèmes médicaux) qui ne leur permettent pas d’exercer le métier pour lequel elles avaient les qualifications. Pour certains, les restrictions médicales par rapport à l’exercice de leur métier sont telles qu’il est difficile d’envisager une insertion professionnelle, même adaptée.»
Près d’un chômeur de longue durée sur deux a plus de 50 ans
La manière de répondre au problème du chômage de très longue durée dépend en outre de l’âge du demandeur d’emploi. Or, comme le montrent les chiffres de l’Onem, 49% de ces chômeurs sont âgés de 50 ans et plus. Pour retrouver un emploi, ces derniers devront non seulement surmonter le préjugé lié à leur période d’inactivité légale, mais aussi ceux liés à leur âge, et donc à leur rendement sur le marché du travail. «Encore récemment, un monsieur qui a dans la cinquantaine d’années me disait: « Aucun employeur n’ose me le dire, mais je vois bien que tous pensent que je suis trop vieux », poursuit Christine Mahy. L’image que lui renvoyaient les entretiens qu’il avait pu décrocher, c’était qu’il était trop âgé et inutile.» Dans de tels cas de figure, ce n’est donc pas le fait de se «prendre en main» qui fait défaut, mais bien l’ouverture du monde du travail à des candidats que celui-ci juge obsolète. Pour la secrétaire générale du RWLP, il incombe donc aussi aux employeurs de veiller à engager des profils plus variés. «Je ne dis pas qu’ils doivent être philanthropes, mais beaucoup pourraient être bien plus ouverts lors d’un recrutement.»
Chômage de très longue durée: +30% en quatre ans en Wallonie
A l’échelle nationale, le nombre de demandeurs d’emploi de très longue durée aurait diminué de 14% entre 2020 et la moyenne des premiers mois de 2024. Mais la réalité est bien plus nuancée. En Wallonie, par exemple, les chiffres du Forem affichent au contraire une hausse de 30%, entre mai 2020 et mai 2024, du nombre total de personnes au chômage depuis au moins deux ans. «Ça s’est renforcé à partir de la crise covid, décodait ce 18 juin Sébastien Brunet, administrateur général de l’Iweps, sur bel RTL. Pendant la crise, les pouvoirs publics ont pris toute une série de mesures pour stabiliser la situation socioéconomique, protéger en quelque sorte les citoyens et citoyennes. Et c’est le rôle des États. Mais pendant ce temps-là, on n’a pas créé de nouveaux emplois. Donc, celles et ceux qui étaient déjà au chômage y sont restés.»
«Mettre les gens au chausse-pied dans des boulots qu’ils ne veulent pas, c’est la meilleure façon de produire du dysfonctionnement.»
Tout le monde s’accorde donc sur la nécessité d’agir. En revanche, les moyens mis en œuvre pour enrayer le cercle vicieux du chômage pourraient s’avérer inefficaces vis-à-vis de nombreux demandeurs d’emploi dont le profil n’est pas jugé conforme aux standards de nombreux employeurs. En pratique, proposer un emploi «en phase avec les compétences et talents» de chacun, comme l’a précisé Maxime Prévot, relève par ailleurs d’une gageure. «Va-t-on imposer à quelqu’un qui ne le souhaite pas de devenir infirmière, parce que ce métier est en pénurie?», questionne Christine Mahy. «Mettre les gens au chausse-pied dans des boulots qu’ils ne veulent pas, c’est la meilleure façon de produire du dysfonctionnement, y compris au détriment des organisations concernées.»
Les chômeurs de très longue durée sont majoritairement faiblement diplômés
Bien que les statistiques en la matière portent sur l’ensemble des demandeurs d’emploi, les chômeurs de très longue durée sont, en moyenne, faiblement diplômés: en Wallonie, 42% des demandeurs d’emploi n’ont ainsi pas atteint le troisième degré de l’enseignement secondaire (cinquième et sixième année). «Beaucoup vont suivre des formations diverses pour trouver un emploi, mais cela peut durer longtemps», concluent Christine Mahy.
La fine compréhension des innombrables profils que l’on retrouve derrière le chiffre général du chômage de très longue durée se profilera comme la condition indispensable d’une politique réussie de remise à l’emploi. Jusqu’à présent, le simplisme des déclarations d’intention ne plaide toutefois pas en la faveur d’une telle subtilité.
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