
Vers une paralysie du rail pendant 9 jours fin février? «Sans doute un effet d’annonce»
Les cheminots, inquiets par les projets du gouvernement De Wever, ont déposé deux préavis de grève fin février, respectivement d’une durée de cinq et neuf jours. Une initiative qui fait bondir l’Arizona, mais qui entraînera en réalité peu de répercussions.
La colère gronde sur le rail. Les mesures restrictives annoncées par l’Arizona dans son accord de gouvernement, notamment en matière de pensions, inquiète les cheminots. Dans l’incapacité de se joindre à la grande action nationale prévue jeudi dans la capitale (qui, alors, véhiculerait les manifestants jusqu’à Bruxelles?), les travailleurs du secteur contre-attaquent.
Mardi soir, deux préavis de grève distincts ont ainsi été déposés par les organisations syndicales. Le premier, à l’initiative du Syndicat indépendant cheminots (SIC) et du syndicat libre VSOA-SLFP, court durant neuf jours, du vendredi 21 février à 22h00 au dimanche 2 mars même heure. Le second, déposé par le syndicat autonome des conducteurs de train (SACT), vaut pour cinq jours, du 23 au 28 février.
Cette double menace d’actions – sur une période particulièrement longue – a fait bondir Sammy Mahdi, président du CD&V, qui en déplore le caractère «irresponsable». L’ampleur du mouvement est surtout à la hauteur des craintes réelles du secteur, nuance François-Xavier Lievens, chercheur en droit du travail à l’UCLouvain, qui se dit «peu étonné» par l’annonce.
«Dindons de la farce»
Pour l’expert du réseau ferroviaire, les mesures prévues par l’Arizona mettent en péril des avancées sociales engrangées à l’origine pour compenser des conditions de travail particulièrement lourdes. «Ces petits avantages en matière de sécurité sociale sont très loin de rendre les cheminots riches comme Crésus, recadre-t-il. Leur régime de travail est très dur, contrairement aux fantasmes et aux idées reçues. Les travailleurs prenant leur retraite à 55 ans sont en réalité l’exception plutôt que la norme, mais certains politiques ont fait de la suppression de cet avantage une priorité absolue.»
Le climat de contestation se justifie d’autant plus en regard des mesures d’économie annoncées pour le groupe SNCB, chiffrées à 675 millions (en cinq ans) dans les tableaux budgétaires de l’Arizona. «Comment améliorer la ponctualité des trains et la qualité du service dans ces conditions? s’interroge François-Xavier Lievens. Les travailleurs sentent bien qu’ils vont être les dindons de la farce de ces économies.»
Des organisations de cheminots «microscopiques»
Bref, la grève semble inéluctable. Mais les ambitions syndicales risquent malgré tout de se heurter à un mur de réalisme. D’abord, concernant l’ampleur réelle du mouvement. Le SIC et le SLFP ont en effet fait cavalier seul dans leur démarche, sans consulter leurs homologues de la CGSP-Cheminots et de la CSC-Transcom, qui n’ont (a priori) pas l’intention de se joindre au mouvement. Or, ces deux organisations syndicales pèsent très lourd dans le secteur, la CSGP représentant à elle seule plus de deux tiers des travailleurs. «Le SIC et le SLFP sont des organisations microscopiques, confirme François-Xavier Lievens. Sans mobilisation des deux forces syndicales principales, l’impact de la grève risque d’être très limité sur le réseau.» D’autant que l’action est prévue durant les congés scolaires de carnaval.
En outre, les grèves dans le secteur ferroviaire ne sont pas toujours bien suivies, en raison d’un nouveau cadre légal en vigueur depuis 2017. «La loi impose aux travailleurs de se plier à une « déclaration d’intention individuelle » trois jours avant l’action, rappelle François-Xavier Lievens. Ils doivent prévenir leur employeur de leur éventuelle participation, facilitant ainsi l’organisation d’un service alternatif. Cette obligation induit une pression psychologique sur le personnel et entrave de facto la mobilisation. Les grèves ont ainsi généralement un impact limité sur la mobilité des Belges, bien qu’elles peuvent s’apparenter à un gros coup médiatique.»
Rencontre avec Crucke
La durée importante du préavis risque enfin de décourager certains travailleurs, incapables de faire une croix sur leur rémunération pendant neufs jours d’affilée. «La petite indemnité de grève ne compensera pas les pertes, donc le mouvement risque de s’essouffler dans le temps», prédit l’expert. Bref, les ambitions affichées s’apparentent sans doute à un «effet d’annonce» de la part des syndicats concernés et, peut-être, à une «volonté de montrer qu’ils existent.»
Si l’heure n’est pas au chaos ferroviaire, la grogne pourrait toutefois prendre des proportions plus importantes dans les semaines à venir. Les syndicats socialiste (CGSP-Cheminots) et chrétien (CSC-Transcom) ont, de leur côté, lancé une procédure de sonnette d’alarme, dernière étape avant le dépôt d’un préavis de grève. En prévision d’une rencontre, jeudi, avec le ministre fédéral de la Mobilité Jean-Luc Crucke (Les Engagés), les deux poids lourds syndicaux étudiaient leur plan de bataille en interne mercredi.
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