Carte blanche
SNCB : vaut-il mieux un service minimum ou un « service maximum » ?
Le projet de loi qui vient d’être approuvé à la chambre vise à instaurer un service minimum à la SNCB. Ce projet fait peser de lourds risques tant sur la sécurité des voyageurs que sur celle des travailleurs, et masque mal la volonté du gouvernement de briser les grèves à la SNCB, ouvrant ainsi la possibilité de faire de même dans l’ensemble des services publics.
Le texte de loi prévoit le dépôt d’un préavis de grève huit jours à l’avance et impose aux travailleurs souhaitant faire grève de le déclarer trois jours avant celle-ci.
Sécurité : minimum
Le premier défaut du service minimum est qu’il n’est pas conciliable avec le minimum de sécurité requis.
En effet, ce qui attend les usagers du rail, un jour de service minimum, ce sont des quais surchargés de monde, un risque accru de bagarres et de bousculades pour monter dans le train et donc un risque de chutes entre le quai et le train, voire sur les rails. Avec moins de personnel en jour de grève, qui sera disponible pour assurer la sécurité sur les quais et à bord du train ? Et qui pour réparer les trains en panne qui aggraveraient encore la situation ?
En outre, après un ou deux arrêts en gare, les trains seront déjà en surcharge, incapables d’accueillir de nouveaux voyageurs, voire dans l’obligation d’interrompre leur trajet. En juillet dernier, en plein mouvement de grève dans les services ferroviaires espagnols, un train totalement surchargé assurant un service minimum aux heures de pointe s’encastrait dans un heurtoir en bout de voie, blessant 56 personnes, dont trois gravement.
Quelles sont les garanties avancées par le ministre Bellot pour contrer ces risques ? Aucune n’est à l’ordre du jour : les risques pour la sécurité sont inhérents au principe du service minimum ! Sauf si l’on rajoute des trains et des cheminots en masse. Dans ce cas, cela revient à dire que les cheminots n’auront plus vraiment le droit de faire grève.
Depuis 2014, les syndicats et l’ASBL « Catastrophe Ferroviaire Buizingen : Plus Jamais » se positionnent contre le service minimum, que voudrait instaurer le ministre Bellot.
C’est pourtant le même qui, ingénieur de formation, présidait il y sept ans la Commission Parlementaire Buizingen, sur la sécurité du rail, créé suite à la catastrophe. En soutenant aujourd’hui l’idée d’un service minimum, il renie complètement les recommandations de sécurité rédigées sous sa présidence.
Protection collective : minimum
Au-delà de la sécurité des voyageurs et des travailleurs, l’instauration d’un service minimum vise à briser les grèves, qui sont des réponses collectives aux problèmes du rail que vivent quotidiennement usagers et cheminots. Et ceci, afin de faire pression sur les individus.
La veille d’un jour de grève, les navetteurs devront consulter le site de la SNCB afin de voir quels trains roulent. Leurs patrons feront alors de même afin de déterminer à quelle heure acceptable ceux-ci seront tenus d’arriver au boulot. Avec l’instauration d’un service minimum, même si vous êtes dans l’incapacité de vous rendre sur votre lieu de travail pour les raisons évoquées ci-dessus, vous serez en tort.
En ce qui concerne les travailleurs du rail, ceux qui souhaitent rejoindre un mouvement de grève ne pourront plus se joindre au mouvement à tout moment, protégés par la teneur collective de la décision d’une action. En étant tenus de déclarer individuellement à la direction leur intention de faire grève, ils seront exposés aux pressions de l’employeur pour y renoncer, voire à des sanctions importantes en cas de changement d’avis.
Enfin, si cette loi sur le service minimum est votée, la voie sera grande ouverte pour l’imposer dans tous les secteurs publics.
Service aux usagers : minimum
Les grèves, si elles sont contraignantes un jour, sont utiles à long terme : ce sont les moyens les plus efficaces pour stopper le désinvestissement chronique dans le rail et le manque de qualité qui en découle. Nous parlons des 3,1 milliards d’euros de réduction du budget d’Infrabel et de la SNCB pour la législature 2015-2019 décidée par le gouvernement Michel et le précédent. Ces coupes budgétaires sont la cause de la fermeture des lignes moins rentables, de certaines gares ou des trains en soirée. Mais aussi de la hausse des tarifs, des 7€ de supplément lors d’achat du billet dans le train, des problèmes de ponctualité, etc. Et c’est aussi la raison de la colère des cheminots, à qui l’on demande de faire plus de travail avec moins d’effectifs. Quel travailleur ne se mettrait pas en grève si on lui demandait 20% de travail en plus sans augmentation salariale ? Ou si on lui réduisait sa pension tout en lui demandant de travailler deux ans en plus ? Ces différentes mesures proviennent de la volonté politique de désinvestir le rail, et les grèves sont pour le moment le seul frein qui s’y oppose.
Si le budget du rail est réduit d’année en année, c’est pour in fine préparer et légitimer sa libéralisation, voire sa privatisation. Aujourd’hui, la privatisation ne concerne que les filiales rentables de la SNCB (ce qui permettra à certains de dire ensuite que la SNCB est une entreprise publique inefficace). Mais demain, elle pourrait concerner l’ensemble du service public ferroviaire. C’est ce que souhaitent nombre de dirigeants européens, et c’est ce qu’ont annoncé la plupart des partis au gouvernement. Que faire à ce moment-là, pour s’opposer efficacement à la privatisation ? Les alternatives à la grève ne se bousculent pas. « On pourrait faire circuler les usagers gratuitement », diront certains. De telles actions ont été réalisées par des accompagnateurs en 2016. Mais ils ont été sanctionnés par la SNCB car elles sont illégales et constituent une faute grave pouvant entraîner le licenciement (par ailleurs, le navetteur sans billet ne serait pas assuré). Lorsque la privatisation sera à l’ordre du jour, quelles actions autres que la grève pourrons-nous y opposer avec efficacité ? Rappelons que la sécurité sociale, les 38h/semaine, les congés payés,… furent eux-mêmes obtenus grâce à des grèves.
Le gouvernement invoque le « droit à la mobilité » pour justifier un service minimum. On peut légitimement se demander en quoi ce droit est respecté tout au long de l’année pour les usagers qui subissent les retards et les suppressions de lignes. L’on observe même un double discours : en août, le Ministre annonce que la SNCB a l’offre la plus importante qu’elle n’ait jamais eue, et le lendemain, la SNCB annonce la diminution de l’heure d’ouverture des guichets dans 33 gares. Les injonctions néo-libérales de faire « plus avec moins » qui légitiment le définancement de la SNCB n’augmentent pas vraiment la qualité, c’est plutôt le contraire qu’on observe. Lorsque la situation est intenable et le dialogue social inexistant, il ne reste aux travailleurs que la grève pour être écoutés.
Car qui connaît le mieux le terrain, ses exigences et ses nécessités ? C’est le personnel qui travaille tous les jours sur ce terrain et non la direction qui dirige la société depuis ses bureaux.
Pour un service maximum
Que faire alors ? S’attaquer à la cause des problèmes, c’est-à-dire la politique de non-sens qui est imposée au rail, plutôt qu’à ses conséquences, les grèves. Il faut inverser les priorités actuelles. Plutôt que désinvestir, il faut refinancer le rail. Plutôt que les hausses de tarif à répétition, une baisse du prix du ticket. Plutôt que de sabrer dans le nombre de lignes et de gares, il faut en rouvrir et augmenter l’offre, pour rendre le train plus rapide et pratique que la voiture. Plutôt que presser le personnel comme un citron, il faut lui donner une charge de travail équilibrée. C’est cela, principalement, qui pourra réduire les retards.
En somme, ce que nous demandons au ministre, ce sont des trains plus sûrs, plus fréquents, plus ponctuels, et moins chers. Le tout, en respectant le personnel. C’est cela un service maximum.
Comment le financer ? L’État belge dépense, chaque année, 4,1 milliards d’euros pour soutenir les voitures de société, selon l’Institut Économique de Copenhague. Un an après avoir signé les accords de Paris sur le climat, il serait un minimum cohérent de réorienter cet argent dans les transports en commun. Moins d’un quart de ce budget pourrait suffire à payer le service maximum dont nous parlons. Et, contrairement au service minimum, il bénéficierait aux usagers, aux cheminots, et même aux automobilistes qui ne se retrouveraient plus coincés dans d’interminables bouchons.
Signataires de la carte blanche : Tout Autre Chose, Hart Boven Hard, ASBL/VZW « Catastrophe ferroviaire Buizingen plus jamais / Treinramp Buizingen : Nooit Meer », CGSP-Acod Spoor BXL, CSC-Transcom, CNE, MOC-Bruxelles, Inter-environnement Bruxelles, ASBL Metsip, Théâtre Croquemitaine.
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