Six leçons du scandale Publifin
Le scandale Publifin dévoilé par Le Vif/L’Express a provoqué un séisme en Wallonie. Si l’onde de choc n’avait été si profonde, la majorité PS-CDH de la Région n’aurait pas réagi sur le champ, elle qui, s’agissant du contrôle des intercommunales et de Tecteo en particulier, a l’habitude de temporiser.
L’affaire a été réglée en vingt-quatre heures top chrono, et encore, s’agit-il d’une demi-mesure : les comités de secteur, qui sont une survivance de conseils d’administration quand plusieurs intercommunales ont fusionné, subsistent mais les rémunérations de leurs membres sont réglementées : 300 euros pour les présidents et un jeton de présence de 150 euros pour les simples membres. Les comités de secteur subsisteront jusqu’au 30 juin 2017, malgré une « composition qui ne respecte pas le droit wallon », selon le chef de groupe Ecolo Stéphane Hazée (Ecolo).
Au siège liégeois de Publifin, la réprobation populaire a été captée cinq sur cinq. Hier, son conseil d’administration, présidé par le député-président de la Province de Liège, André Gilles, a saqué sans explications ni mot de regret ou d’excuse les trois comités de secteur de Publifin : Liège-Ville, Energie et Telecom. C’était dire leur importance. Il a agi en souverain. Publifin est une intercommunale « pure », 100 % publique, détenue par la Province de Liège et 76 communes de la région. C’est en fait une coquille vide chapeautant les activités 100 % privées de Nethys (ex-Tecteo). Le tout petit lien qui le relie encore à la démocratie, le pouvoir du peuple au nom duquel ces nouveaux maîtres de Liège disent agir, pour maintenir des emplois et du pouvoir d’achat dans l’ancienne principauté.
Les comités de secteur font jaser depuis des années. En allant mettre son nez dans les papiers de Publifin, Cédric Halin, conseiller communal apparenté CDH de Olne, a apporté la preuve de la combine : de juillet 2013 à août 2016, 25 obligés politiques de second rang ont touché de 1 340 à 2 871 euros brut par mois, qu’ils assistent ou non aux réunions. Rapporté à la durée de ces réunions, les heureux élus étaient payés de 66 à 503 euros la minute. Avec ses 1000 euros brut de l’heure, « Armand De Decker peut aller se rhabiller », ironisait le journaliste David Leloup, auteur des révélations.
C’est arrivé près de chez vous, à Liège, dans le fief de l’ancienne Association liégeoise d’électricité (ALE), une entreprise publique vieille de près de cent ans (1923), construite patiemment par des mandataires publics de tous bords mais principalement socialistes, avec de l’argent public, et qui s’est totalement affranchie de l’esprit de service qui était à ses fondements. Les leçons à en tirer sont multiples.
1) Les sommes d’abord. De 1 340 à 2 871 euros brut par mois. Chacun, petit pensionné, instituteur, agriculteur -ou travailleur sous-payé de Nethys- peut visualiser instantanément son propre revenu mensuel. Perçus en guise de « dringuelle » par des élus (conseillers communaux ou échevins, conseiller provincial, présidents de CPAS ou bourgmestres) qui pourraient être vos voisins, qui gagnent déjà leur vie et ne doivent cette faveur qu’à leur parti, sans fournir de prestations, cela peut faire pèter les plombs. Une loi sociologique bien connue veut que notre jalousie se porte sur celui qui est à la fois proche de nous et un peu mieux loti. Les vrais riches sont un objet de passion idéologique mais ne déclenchent pas de tornade émotionnelle parce qu’ils sont hors comparaison.
2) Le casting des bénéficiaires. Sans carrure « nationale » hormis Anne Delvaux (ancienne journaliste, ancienne parlementaire européenne CDH) ou Claude Emonts (ancien président PS du CPAS de Liège et figure de la « gauche contestataire ») mais avec une vraie proximité. C’est toujours plus facile quand on peut mettre un visage sur des abus, fussent-ils microscopiques à l’aune de ce que s’autorisent, en toute légalité, les vrais chefs de cette usine à pognon qu’est devenu le secteur de l’énergie. Ores se trouve dans le même bateau que Publifin, a suggéré le président André Gilles (PS) à propos de son complice « mixte » du transport de l’énergie, qui avait, avec l’Union wallonne des Villes et Communes, réclamé la prolongation du système des comités de secteur.
3) Le PS a senti l’haleine du PTB dans son cou. Ministre des Pouvoirs locaux (mais sans pouvoir sur Tecteo), Paul Furlan (PS) a réagi très vite, un mélange d’accablement, d’étonnement et de stupéfaction se peignant sur son visage de bon élève pris pour une fois en défaut. Son amitié pour Stéphane Moreau, patron de Nethys, est connue. Il a fallu vingt-quatre heures supplémentaire pour que Elio Di Rupo, président du PS, écrive aux socialistes bénéficiaires des largesses publiques pour leur demander de verser à des associations ce qui excède les 150 euros par jeton de présence qui seront désormais la norme de ce genre de bidule. Il a « responsabilisé » la base. Mais rien à l’adresse des responsables de son parti qui ont mis en place ce système de prébende. Aucune communication haute et forte contre les « parvenus », rien de lisible non plus venant de Jean-Claude Marcourt, le Liégeois de l’exécutif wallon, ni de Willy Demeyer, le patron de la fédération liégeoise du PS où se niche la toute-puissance des intercommunales éponymes.
4) Et les autres partis ? Les réformateurs grognent parce que s’il n’est pas prouvé que cet argent était illégal (ou du moins sa forme forfaitaire), ils ne sont pas disposés à le restituer. Là éclate, une fois de plus, l’habileté de l’attelage Moreau/Gilles qui, au début des années 2000, a décidé, voyant la tournure que prenaient les affaires carolos, exclusivement socialistes, de s’équilibrer politiquement, c’est-à-dire à dose homéopathique. Dans toutes les intercommunales liégeoises, il y a le MR ou le CDH de service formant, avec le PS, ce qu’il est convenu d’appeler le « consensus liégeois ». Les rares voix dissonantes finissent par disparaitre. Bernard Wesphael, quand il était parlementaire Ecolo, a maintenu une pression critique. L’ancien bourgmestre de Lontzen, Alfred Lecerf (apparenté CDH), après avoir réussi, en 2010, à bloquer la fusion ALG (Association liégeoise du gaz)/Tecteo qu’il jugeait défavorable à sa commune et à quelques autres du Nord de la Communauté germanophone, s’est incliné, malgré une saga judiciaire bien engagée. On le retrouve au comité de secteur Energie avec 67.198 euro brut d’octobre 2013 à juin 2016. Le rouleau compresseur Nethys est passé par là.
5) Quel avenir pour la marque Voo, qui ne cesse de perdre des abonnés ? Télédis était jadis un fleuron de l’ALE, précurseur dans le domaine du câble. Aujourd’hui, une proie tentante pour l’américano-flamand Telenet, qui vient de s’emparer de SFR Belux (ex-Numericable) pour 400 millions d’euros. Rachetés à prix d’or par Tecteo avec l’appui d’Elio Di Rupo et de Jean-Claude Marcourt, les câblodistributeurs wallons ont été réunis sous la marque Voo. Ils ne se sont pas transformés en poule aux oeufs d’or ni même en pionniers des « autoroutes de l’information », comme on disait dans ces années-là. Ce n’est pas de ce secteur en capilotade malgré ses campagnes de pub bien foutues que Stéphane Moreau tire sa richesse et son prestige mais de l’énergie et du contrôle d’Ogeo Fund, le cinquième fond de pension belge. Celui-ci a la capacité de s’entremettre financièrement, à Verviers, pour favoriser un accord immobilier entre Solidaris et le promoteur du futur centre commercial, tous d’obédience socialistes. Les deux millions d’euros dépensés pour les 25 membres des comités de secteur « Energie », « Liège-Ville » et « Telecom » servaient aussi à arrondir les angles.
6) Enfin, sans faire de cocorico imbécile, la presse, dans ce dossier, a joué son rôle. Essentiellement la presse écrite. Y compris ô combien L’Avenir, propriété de Nethys. Le Vif/L’Express a, le premier, relayé et contextualisé les travaux du lanceur d’alerte, Cédric Halin, 35 ans, un élu apparenté à un petit parti d’une petite commune (riche). Celui-ci a déjà pu mesurer, à la froideur de l’accueil chez Publifin, qu’il avait enfreint une règle non écrite du groupe.
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