Guy Martin
S’inspirer du « décret paysage » de l’enseignement supérieur pour l’école obligatoire. Une bonne idée ?
Il y a quelques années (7 novembre 2013), l’enseignement supérieur faisait l’objet d’un décret important : le « décret paysage ». Dans la foulée de ce décret, le financement (décret du 11 4 2014) de l’enseignement supérieur, était revu. Tous les établissements, tant privés que publics, étaient financés de la même façon.
Le décret paysage a remodelé l’enseignement supérieur. Il a notamment fixé les modalités de collaboration entre plusieurs écoles d’enseignements supérieurs et universitaires à travers des pôles académiques. Ces pôles académiques (coordonnés par un Organisme coupole : l’ARES), constitués en asbl (structure de droit privé), sont composés au sein de leurs conseils d’administration, de responsables techniques des établissements d’enseignement à l’exclusion de tout mandataire politique des différents pouvoirs organisateurs publics. Ces pôles ont pour mission principale de promouvoir et soutenir toutes les formes de collaborations entre ses membres et d’inciter ceux-ci à travailler ensemble en vue d’offrir des services de qualité aux étudiants.
Deux constats, pour le propos qui nous occupe, peuvent être dressés de ces dispositions après quelques années de fonctionnement :
1. De nombreuses décisions sont préparées dans ces pôles (dans lesquels seuls des techniciens siègent) transformant les instances des pouvoirs organisateurs publics (collèges et conseils provinciaux et communaux) en chambres d’entérinement et par là DISTENDANT les relations entre les élus du peuple et leurs écoles.
2. Privé et public sont mis sur un même pied et financés de façon identique avec l’argent du contribuable, alors que le premier appartient à quelques uns et le second est la propriété de tous.
Cette distance ainsi créée au niveau des Hautes écoles, entre les élus du peuple et les écoles publiques rend difficile une profonde implication de ces élus… Cet enseignement risque donc de leur être retiré par la suite, au motif qu’ils ne s’impliquent plus et contrôlent peu de choses…
Il s’agit donc d’un PROCESSUS DE DÉRESPONSABILISATION des élus du peuple d’un bien public essentiel pour le développement du peuple : l’enseignement supérieur.
Il est probable que, ne décidant plus de grand chose, les élus du peuple (constituant le Pouvoir Organisateur d’une Haute école publique) soient enclins à ne plus investir autant dans leur enseignement supérieur au profit d’autres activités pour lesquelles ils conservent un pouvoir d’initiative.
La déresponsabilisation facilitera une dépossession.
Il sera alors commode, arguant de cet état de fait, de déssaisir les pouvoirs publics communaux et provinciaux de leurs écoles en intégrant plusieurs institutions d’enseignement supérieur au sein d’une seule académie – et tant qu’à faire, puisque les pouvoirs publics financent moins – une académie de droit privé pour permettre à des capitaux privés de participer à cet organisme et ainsi le financer. Ce scénario est-il une utopie ( et il rencontrerait de plus les exigences de l’AGCS) ?
Il s’agit donc bien du risque d’un PROCESSUS DE CONFISCATION de l’enseignement supérieur public et de privatisation totale de cet enseignement permettant ainsi aux très riches d’avoir plus facilement le pouvoir de décision sur ces structures.
D’aucuns, dont le Ministre responsable de l’Enseignement Supérieur Jean-Claude Marcourt (PS), affirment, prenant en exemple ce décret et en changeant ce qui doit être changé, qu’avec le transfert de responsabilité du Gouvernement vers un Organisme d’Intérêt Public comme Pouvoir organisateur, l’enseignement public obligatoire va trouver encore plus de force et de vigueur. Car de nouvelles synergies (avant fusion dans un organisme commun?) entre réseaux de l’enseignement officiel (Communauté, provinces et communes) vont pouvoir se mettre en place. Le décret paysage dans l’enseignement supérieur en est un bel exemple…!
Vraiment ?
Que veut on faire au niveau de l’enseignement public obligatoire (primaire et secondaire) de la Communauté française appelé aujourd’hui enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Comme l’écrit la Ministre Schyns responsable de l’enseignement obligatoire dans une lettre à ses préfet.e.s « l’objectif du Gouvernement est (…) un décret organisant l’autonomie de l’enseignement de la Fédération (WBE) au sein d’une structure juridique distincte du Gouvernement et de ses services, dotée d’une personnalité juridique propre. Ce décret (…) devra être adopté dans le dernier trimestre de 2018, et la gestion de WBE devrait être soustraite à la responsabilité du Gouvernement, (…).Cette séparation permettra en effet de mettre le Gouvernement, et les DCO (délégués aux contrats d’objectifs) qui le représenteront dans la négociation de votre contrat d’objectifs, à équidistance de tous les établissements scolaires, quel que soit leur réseau. ». La raison justifiant ce dispositif est simple. En créant une personne morale distincte du Gouvernement de la Communauté française pour gérer son enseignement, le Gouvernement n’est plus juge et partie. Il n’est plus Pouvoir organisateur d’enseignement. Il peut donc, selon les défenseurs de cette thèse, piloter l’enseignement de tous les réseaux en toute impartialité. Autant l’enseignement public que l’enseignement privé.
De quoi s’agit-il en fait ? C’est la personne morale (Organisme d’Intérêt Public) qui assumera désormais la responsabilité de l’enseignement public de la FWBE. C’est donc bien un transfert de responsabilité. Si la Gestion de l’enseignement de la FWB n’est plus sous l’autorité directe du Gouvernement, (c’est -à-dire l’exécutif d’un parlement), l’enseignement de la Fédération (WBE) n’est plus sous le contrôle direct d’un Parlement. Il y a donc bien une relation distendue entre l’enseignement de la Fédération WBE et les élus du peuple.
Et, comme le définissent Coomans & Hallo de Wolf « le transfert d’actifs, de gestion, de fonctions ou de responsabilités [en lien avec l’éducation] qui appartenaient ou étaient antérieurement réalisés par l’État (…) doit s’entendre comme un processus de privatisation dans l’éducation ». Certes, si l’OIP est une personne morale (distincte du Gouvernement) elle n’est pas privée. Elle est, actuellement, de droit public.
Deux constats peuvent être dressés de ces premiers éléments pour le propos qui nous occupe.
- La relation entre cette école publique et les élus du peuple sera distendue.
- L’école publique se rapproche dans son organisation d’une école privée gouvernée également par une personne morale. C’est le cas de l’enseignement catholique reconnu comme « service public fonctionnel » par la cour Constitutionnelle… introduisant ainsi une confusion entre service AU public et service public (dont le propriétaire est le peuple). Bref, nous assistons à un processus d’estompement des différences entre école publique et école privée. L’une comme l’autre recevant bientôt le même financement du contribuable (la cour Constitutionnelle en date du 19 juillet 2018 vient encore de confirmer cette option à propos d’un dossier sur le cours de philosophie et citoyenneté), alors que la première est un bien public (propriété de tous) et la seconde, un bien privé (et donc propriété de quelques uns).
Certes, la mise en place de l’OIP ne concerne que l’enseignement obligatoire de la Fédération WBE.
En un premier temps…
À brève échéance, seules resteront organisées sous le contrôle direct des élus du peuple, les écoles des communes et des provinces. Mais il n’est pas aberrant de penser que c’est à brève échéance seulement.
Car l’Objectif à travers cette nouvelle structure (sinon, pourquoi choisir cette option alors que d’autres existent exprimées il y a bien longtemps déjà, notamment par André Cools) qui organiserait l’enseignement en déconcentration par aire géographique (en plaçant cette organisation déconcentrée sous l’autorité d’experts spécialisés en pédagogie, ressources humaines et gestion) n’est-ce pas de rationaliser en fusionnant les enseignements Communauté Provinces et Communes au sein d’un même OIP ? Mais un des effets du rassemblement (communes, provinces et FWBE) dans un même organisme d’intérêt public sera de distendre le lien (jusqu’à l’inexistence) entre les élus du peuple et les écoles publiques qui ne seront plus sous l’autorité directe des communes et des provinces.
Ce plan est cependant présenté comme visant à donner plus de force et de souplesse à l’enseignement officiel ainsi rationalisé… alors qu’il permettra de faire des économies qui serviront probablement …. à mieux financer l’enseignement privé !
Or, il n’est pas faux de penser que la mise en place d’une personne morale pour organiser l’école publique obligatoire sera – les mêmes causes produisant les mêmes effets (cfr supra l’analyse sur le « décret paysage ») – le prélude à une privatisation de l’école publique.
Il s’agit donc bien du risque d’un processus de confiscation de l’enseignement obligatoire public et par la suite de privatisation de l’enseignement permettant ainsi aux très riches d’avoir plus facilement le pouvoir de décision sur ces structures. Et si rien ne change, associée à d’autres mesures (formation générale et donc théorique allongée) dans la dynamique actuelle dominée par l’hégémonie néolibérale, n’est-t-il pas vraisemblable que, encore une fois, ce ne soit pas au profit du peuple….?
Pourtant il existe d’autres solutions évitant à la Communauté française d’être juge et partie :
- Le primaire aux Communes et le secondaire aux Provinces disait André Cools, la région organisant des écoles par défaut, pour garantir le libre choix prescrit par la constitution là où ce libre choix n’est pas garanti.
- Régionaliser tout l’enseignement et laisser à la Communauté française le rôle normatif et de contrôle
- Et si le privé veut l’égalité avec le public, plutôt que de privatiser l’école publique rassembler TOUT l’enseignement obligatoire au sein d’une seule et même structure, PLURALISTE (respectant ainsi le libre choix prévu par la Constitution). À cette condition, et à cette condition seulement, la mise en place d’un OIP pour gérer l’enseignement serait pertinente. Mais… ne plus laisser de place au privé dans l’enseignement obligatoire est-ce bien compatible avec l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS)….?
Quand on est démocrate n’est-ce pas une faute politique énorme que de contribuer à ce processus de confiscation de l’école publique. Monsieur Rudy Demotte (PS) Président du Gouvernement de la Communauté française ne l’aurait-il pas compris ?
Alors, quand on est de gauche, gouverner à droite ça se paie !
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