Bert Bultinck
« Si Theo avait fait son boulot et un peu moins de selfies, cette crise politique nous aurait été épargnée »
« La chute de ce gouvernement ne tourne pas autour de principes, mais autour du moment où l’on a jugé opportun de se souvenir de ces principes », estime Bert Bultinck, rédacteur en chef de Knack.
Plus tard, de nombreux Belges s’interrogeront sur l’enjeu de la crise gouvernementale autour du Pacte mondial des Nations Unies sur les migrations. L’opposition de ces dernières semaines contre ce pacte – un texte non contraignant qui sera de toute façon adopté -, n’est pas seulement difficile à expliquer à l’étranger. En Belgique aussi, l’insatisfaction à l’égard de la lutte qui a paralysé le gouvernement ne cesse de croître. Le fait qu’après le bilan décevant de Michel Ier, il faille continuer avec un gouvernement minoritaire, Michel II, n’est bon pour personne. Des gouvernements qui s’effondrent, accompagnés de pathos et de conférences de presse larmoyantes fait partie intégrante de la démocratie, comme on le sait, la pire forme d’État, à l’exception de toutes les autres. Mais personne n’a besoin d’aimer le spectacle de ces dernières semaines.
La N-VA s’inquiète à juste titre de l’érosion du soutien aux institutions supranationales, qui exercent une grande influence sans légitimité démocratique. Les décisions prises par les citoyens suscitent de plus en plus d’irritation. Bart De Wever a le mérite de traduire ce ressentiment politiquement. Il ressent ce problème depuis un certain temps : avec ses questions sur la Convention de Genève, qui garantit entre autres la protection des réfugiés politiques, le président de la N-VA avait déjà, en 2015, initié une critique plus large des traités, conventions et pactes internationaux. Cependant, ni l’influence directe ni l’influence indirecte (« soft law ») de ces traités internationaux sur la politique belge n’étaient alors une raison de quitter le gouvernement. C’est remarquable : l’influence, par exemple, du fameux « article 3 sur la torture » de la Convention européenne des droits de l’homme sur la politique des réfugiés est déjà beaucoup plus grande que ce que le nouveau pacte migratoire pourra forcer. En outre, il n’est pas clair si la N-VA s’oppose au déficit démocratique lui-même – ou si ce raisonnement ne s’applique que si cela lui convient. On n’a pas entendu souvent De Wever vociférer contre le FMI ou contre l’orthodoxie budgétaire de la Commission européenne, contre laquelle son propre gouvernement a systématiquement péché.
Soudain, alors qu’il était déjà beaucoup trop tard, le président de la N-VA ne pouvait plus s’identifier au pacte, après que le parti ait manqué d’innombrables occasions de s’y opposer. La vraie raison pour laquelle le gouvernement est tombé n’est pas que la N-VA n’adhère pas au Pacte sur les migrations. Non, le gouvernement est tombé parce que le parti a émis ces critiques beaucoup trop tard. Il ne s’agit donc pas des principes, du moment où l’on a jugé opportun de se souvenir de ces principes. Non pas à cause du contenu, mais à cause de la crainte de la concurrence de l’extrême droite. Non par passion idéologique, mais par politique politicienne. Non pour l’image de la société, mais pour les selfies. Si le parti avait été au taquet, il n’aurait pas eu à attendre l’opposition du Premier ministre autrichien Sebastian Kurz, et l’abstention aux Nations Unies à New York, si souhaitable ces derniers jours, aurait été envisageable.
Dans le quotidien De Morgen, le porte-parole de la N-VA, Joachim Pohlmann, a non seulement souligné le déficit démocratique mentionné ci-dessus, mais aussi la possibilité « de faire de la migration un succès », à condition qu’il s’agisse d’une « migration contrôlée ». Ce sont là de sages paroles : la migration ne peut être arrêtée à court terme, elle ne peut être que bien gérée. Cependant, le Pacte des Nations Unies sur les migrations comporte justement des mesures incitatives pour mieux contrôler les migrations, en particulier dans le domaine de la migration de main-d’oeuvre. Si la N-VA avait été plus attentive, le parti aurait pu soutenir le meilleur du Pacte, modifier ou empêcher les passages indésirables, et le gouvernement aurait simplement pu continuer à travailler.
Si Theo avait fait son boulot et un peu moins de selfies, cette crise politique nous aurait été épargnée
« Theo part en tournée, Theo tweete, et Theo si et ça », déclarait Hendrik Vuye, l’homme fort de l’opposition flamande, il y a quelques mois à propos du secrétaire d’État Francken, »mais Theo ferait mieux de demeurer plus souvent à son cabinet, pour préparer correctement ses dossiers. » Si Francken et ses collègues avaient fait leur travail, et avaient pris un peu moins de selfies pour la galerie, cette crise politique nous aurait été épargnée.
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