Jules Gheude
Si le CD&V lâche la N-VA, il se suicide politiquement
« Il faut sauver la Belgique! », répètent à l’envi les responsables francophones. Mais ils ne disent jamais de quoi il faut la sauver…
Dès sa création en 1830, la Belgique portait en soi les germes de la crise. Mettre ensemble deux collectivités humaines que tout oppose en leur disant : « Et maintenant, tâchez de vous entendre ! », ne pouvait que mener au désastre. Une nation ne peut se forger au départ de deux philosophies inconciliables.
La Flandre dut attendre 1878 pour qu’une loi prévoie l’utilisation du néerlandais, en matière administrative, dans certains cas, à Bruxelles et dans les provinces du Nord. Sans oublier le contexte économique et politique désavantageux auquel elle fut longtemps confrontée.
Les luttes du Mouvement populaire flamand pour permettre à la Flandre d’obtenir enfin sa pleine reconnaissance sur l’échiquier belge ont engendré ce sentiment d’appartenance collective qu’on appelle nation.
Oui, une nation s’est créée. Elle n’est pas belge, mais flamande ! Et cette réalité est aujourd’hui cause de l’impossibilité de la Belgique à survivre. Lors de la crise de 2010-2011, un rapport de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée législative française a conclu que la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rendait son existence de moins en moins probable. Les résultats des élections du 26 mai dernier n’ont fait que conforter ce constat.
En diabolisant la N-VA, les responsables francophones affichent en fait leur profonde méconnaissance de la Flandre.
A partir des années 1960, c’est le parti démocrate-chrétien flamand qui a veillé à faire de la Flandre ce qu’elle est aujourd’hui. C’est « l’Etat-CVP » que l’on trouve à l’origine des mesures et initiatives qui ont contribué à effriter le ciment belge et à affirmer l’identité flamande : la fixation de la frontière linguistique en 1962, avec le Premier ministre Théo Lefèvre ; le « Walen buiten » de l’Université de Louvain en 1968, sous l’impulsion de Jan Verroken, avec pour conséquence immédiate la scission du parti catholique en deux ailes linguistiques ; la mise en oeuvre, dès 1972, de l’autonomie culturelle, avec le fameux « décret de septembre » obligeant les employeurs flamands, avec sanction à la clé, à utiliser le néerlandais dans leurs relations avec les employés ; le torpillage du pacte d’Egmont par le Premier ministre Léo Tindemans en 1978 ; la loi de financement élaborée par les « Toshiba boys » du Premier ministre Jean-Luc Dehaene et destinée à asphyxier la Communauté française ; l’idée confédéraliste lancée dès le début des années 90 par le ministre-président flamand Luc Van den Brande; la mise sur pied par Yves Leterme en 2004 du cartel CD&V/N-VA… Le même Yves Leterme qui, dans une interview à « Libération » qualifia la Belgique d' »accident de l’Histoire ».
En fait, il faut sauver la Belgique d’avoir été un accident de l’Histoire. Mission impossible !
Le processus du démantèlement de l’Etat belge est enclenché de manière irréversible. Le projet confédéraliste de Bart De Wever s’inscrit dans la suite logique des cinq résolutions que le Parlement flamand a adoptées en 1999. Ce n’est pas Bart De Wever, mais Wouter Beke, l’ex-président du CD&V aujourd’hui membre du gouvernement flamand, qui a déclaré, en 2007, au journal québécois « Le Devoir » : Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. (…) Le problème, c’est qu’il y a une forte identité flamande mais pas vraiment d’identité wallonne. Les Wallons ne tiennent à la Belgique que pour l’argent. (…) A force de se frapper à un mur, les Flamands se sont radicalisés. (…) Ils (les francophones) ne le savent peut-être pas, mais ils jouent avec une bombe atomique institutionnelle. (…) Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance.
Nul ne peut contester aujourd’hui l’existence de la Nation flamande. Une nation qui, tôt ou tard, finira pas se constituer en Etat souverain. Selon un dernier sondage, la N-VA et le Vlaams Belang sont aujourd’hui crédités ensemble de 49,3% des intentions de vote. Ils disposeraient de la majorité au sein du groupe néerlandophone de la Chambre.
Certains ont beau répéter que la mouvance séparatiste ne représente en réalité qu’une minorité en Flandre. Comme l’a un jour écrit Pierre Bouillon du « Soir » : Que fait un séparatiste, s’il bénéficie d’une légitimité démocratique ? Ben, il sépare. Ça t’étonne, Yvonne ?
En Flandre, le CD&V a fait le choix de s’allier à l’Open VLD et à la N-VA pour constituer un gouvernement aux forts accents identitaires. S’il devait entrer dans une coalition fédérale sans la N-VA, il est assuré d’une sanction sévère aux prochaines élections. Il apparaîtrait en effet comme ayant rompu cette relation entre le nationalisme et la démocratie chrétienne dont l’ancien ministre CD&V Stefaan De Clercq a rappelé fort justement qu’elle était profondément ancrée dans l’ADN flamand.
Jules Gheude, essayiste politique
Dernier ouvrage paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », préface de Pierre Verjans, Editions Mols, 2019.
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