Serment bancaire: comment une loi votée en 2019 est toujours en cours de réaménagement
Comment une loi votée en 2019 par le Parlement est toujours en cours de réaménagement chez le ministre des Finances, en concertation avec le secteur bancaire.
Il se fait attendre, à défaut d’être unanimement désiré. Sans doute finira-t-il par voir le jour mais dans quel état? Toujours pas de serment bancaire en vue. Toujours pas d’engagement solennel, à souscrire par tout collaborateur bancaire, à se montrer probe et digne dans l’exercice de son métier sous peine de sanctions.
L’affaire semblait pourtant pliée puisque coulée dans une loi qui avait franchi haut la main le cap parlementaire, le 4 avril 2019, par 106 voix favorables, aucun vote négatif et 31 abstentions. Des députés ainsi massivement acquis à l’idée d’adresser au monde de la finance un signal fort, censé lui intimer de ne plus récidiver dans ses égarements et l’aider à retrouver auprès de la clientèle une confiance durablement ébranlée depuis la crise financière de 2008. On n’est jamais trop prudent, les actuels déboires de banques américaines le rappellent utilement.
L’avancée fut obtenue au printemps 2019, sous un régime d’affaires courantes, ces périodes où les parlementaires ont la bride sur le cou et peuvent s’autoriser quelque audace. Open VLD, CDH (Les Engagés), CD&V, SP.A (Vooruit), PS, du beau monde s’était ainsi rallié à la suggestion portée par le tandem Ecolo-Groen de Georges Gilkinet et Meyrem Almaci. Les députés se sentaient soutenus dans leur combat par les recommandations de deux commissions parlementaires d’enquête, l’une consacrée aux Panama Papers, l’autre à la faillite de la banque Optima, et ils avaient pu abondamment s’inspirer du modèle néerlandais de serment imposé depuis 2015 à quelque nonante mille collaborateurs bancaires.
Plus d’un observateur averti du monde de la finance y voit la patte d’un lobby en action.
Les élus n’avaient pas non plus agi à la légère, organisant force auditions, jusqu’à entendre à deux reprises les représentants de Febelfin, porte-voix attitré du secteur financier, venus dire tout le mal qu’ils pensaient d’un instrument taxé d’«inconvenant», de «superflu», de «contre-productif», de «vexant». Assez de «bank bashing», la profession donnait déjà suffisamment de gages de bonne conduite, avait alors tonné le CEO de Febelfin, Karel Van Eetvelt. Et d’attirer l’attention des députés sur le fait que «la contribution du secteur financier est une condition sine qua non pour l’élaboration pratique de cette initiative législative». Karel Van Eetvelt ne faisait pas mystère de la capacité de Febelfin à trouver les arguments pour convaincre un prochain gouvernement «de la plus grande efficacité de nos alternatives», en l’occurrence un Conseil de bonnes pratiques interne au secteur. Visionnaire? En attendant, ces mises en garde n’avaient pas ébranlé la volonté des élus de mettre ainsi gentiment la pression sur un monde bancaire jugé trop peu proactif dans sa volonté de s’autoréguler.
Et de fait, la machine s’est rapidement grippée. Le 20 novembre 2019, Alexander De Croo (Open VLD), alors ministre des Finances, est au regret d’informer la Chambre que le calendrier de la nécessaire concertation avec l’industrie financière risque fort de ne pouvoir respecter l’échéance légale du 31 décembre pour une entrée en vigueur de la loi, et qu’il n’est de toute façon «pas usuel de promulguer un arrêté royal en période d’affaires courantes». Rendez-vous à des lendemains incertains pour une clôture du dossier.
Trois bonnes années plus tard, l’affaire suit paisiblement son cours. Ce serment de bonne conduite donne décidément du fil à retordre. Il suppose un libellé hyperprécis où chaque mot doit compter et être par conséquent pesé, une codification minutieuse des normes comportementales, une identification stricte des personnes qui seront appelées à s’y soumettre et, enfin, tout un appareillage disciplinaire avec panoplie de sanctions et création d’instances ad hoc. A la manœuvre, Vincent Van Peteghem (CD&V), actuel ministre des Finances, fort d’un mandat explicitement conféré par l’accord de gouvernement (PS – Vooruit – MR – Open VLD – Ecolo-Groen – CD&V) de mettre la loi de 2019 à exécution.
Or, l’entreprise semble s’avérer d’une ampleur telle qu’elle ne peut faire l’économie d’une réécriture du texte démocratiquement validé. Telle a été, du moins, l’intime conviction de Vincent Van Peteghem à la lecture de l’avis sollicité auprès de la FSMA, l’Autorité des services et marchés financiers. Foin d’un arrêté royal délibéré en conseil des ministres, il s’agit de remettre l’ouvrage sur le métier en consultant de manière privilégiée les mains les plus expertes en la matière, le secteur bancaire lui-même vu son «rôle important joué dans la structure disciplinaire envisagée», fait savoir le cabinet du ministre. Jusqu’à l’autoriser à tenir la plume pour dicter la loi revue et corrigée? Mystère et langue de bois. Febelfin renvoie sans plus, par courriel, à Vincent Van Peteghem, lequel déclare par un autre e-mail œuvrer à la clarification, à la crédibilité et à l’efficacité du futur dispositif.
Parmi les observateurs avertis du monde de la finance contactés par Le Vif, plus d’un y voit la patte d’un lobby en action: grossir l’ampleur du chantier et ses conséquences, jouer la montre, opérer sous les radars pour mieux faire atterrir le dossier devant un Parlement revenu à l’usage de la discipline de vote. Au député Groen Dieter Van Besien qui s’étonnait du procédé pour s’en inquiéter, Vincent Van Peteghem rassure: «Il n’est nullement question de supprimer la loi de 2019 mais d’en adapter quelques points.» Au Vif, le ministre des Finances assure: «Mon intention est bien de terminer le projet de loi aussi vite que possible et, dans tous les cas, avant la fin de cette législature.» Et via WhatsApp, c’est un vice-Premier ministre de la Vivaldi nommé Georges Gilkinet, porteur du serment bancaire dans sa vie parlementaire, qui fait diplomatiquement savoir qu’il croise les doigts pour que «les contacts pris par le ministre des Finances avec Febelfin visent bien à la concrétisation des objectifs contenus dans la loi et non à son détricotage, comme semblait le plaider à l’époque le secteur bancaire». Dura lex, sed lex? Tout finit par s’arranger.
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