Alexander De Croo et Alexia Bertrand

Sécurité sociale, école, cabinets… : ces dépenses publiques qui coûtent trop cher à la Belgique

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les dépenses publiques belges sont en moyenne plus élevées que dans les autres pays. La secrétaire d’Etat au Budget souhaite les réduire. Mais quels sont les services qui coûtent si cher à la Belgique?

Les finances publiques de l’Etat belge ne sont pas dans la meilleure des santés. Et l’effort décidé lors du dernier ajustement budgétaire, fin mars (1,75 milliard d’euros d’économies, soit 0,3% du PIB), n’a évidemment pas mis fin au débat. Dimanche, à la VRT, la secrétaire d’Etat au Budget Alexia Bertrand (Open VLD) l’a expliqué à la VRT : « Notre problème ne vient pas des recettes, mais des dépenses« . L’assertion de la libérale est, bien sûr, contestée à gauche, où l’on considère que l’effort doit plutôt porter sur les recettes.

Mais personne toutefois ne nie que, comparativement aux pays voisins, la Belgique s’adonne à davantage de dépense publique: en 2021, alors en pleine crise du coronavirus, les dépenses publiques équivalaient à 55,5% du PIB, contre 52,3% en moyenne dans la zone euro, et 51,5% dans l’ensemble de l’Union européenne.

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C’est donc sur ces dépenses plus élevées, qui grèvent le déficit, et augmentent l’endettement public, que la secrétaire d’Etat au Buget estime qu’il faut concentrer les efforts.

Mais quels sont les postes pour lesquels le Royaume est particulièrement dispendieux? Où est-il spécialement généreux? Dans la Sécurité sociale, comme on l’entend souvent? Dans les multiples couches que porte son système institutionnel? Ou ailleurs?

Un article paru dans la Revue Economique de la Banque Nationale, en septembre 2021, permet d’y voir plus clair. Il compare les dépenses publiques de l’année 2019, avant le Covid donc, de la Belgique avec celles de trois pays voisins, les Pays-Bas, l’Allemagne et la France.

Hervé Godefroid, Pierrick Stinglhamber et Stefan Van Parys, les trois chercheurs de la BNB, y utilisent la classification CFAP (Classification des Fonctions des Administrations publiques), employée par Eurostat et l’OCDE. Celle-ci dégage dix types de dépenses (services généraux, défense, ordre et sécurité publics, affaires économiques, protection de l’environnement, logement et équipements collectifs, santé, enseignement, protection sociale, et loisirs, culture et cultes).

A partir de là, il est relativement facile d’établir des comparaisons pour une année où la dépense publique était en Belgique supérieure de 4,5 points du PIB par rapport à la moyenne des trois pays voisins.

Cinq de ces dix catégories (les services généraux, les affaires économiques, l’éducation, chacun autour de 13%, et surtout la protection sociale et la santé, pour 52%) comptaient pour 90% des dépenses de la collectivité en Belgique.

Mais quelles sont les plus importantes différences avec les voisins?

1. La protection sociale est moins financée

C’est sans doute le résultat le moins attendu de cette analyse comparative: les dépenses de protection sociale, un très gros poste en Belgique et ailleurs, étaient proportionnellement moins élevées en Belgique que dans les autres pays. La tendance n’est pas neuve, mais elle la différence se réduit. En 2001, elle était de près de 2% du PIB en défaveur de la Belgique, elle n’était plus que de moins de 0,5% du PIB en 2019. Les différentes réformes menées, notamment en matière de retraites et de chomage, plus radicales à l’étranger qu’en Belgique, ont pu réduire la couverture sociale des autres pays, en contenant la hausse de ces dépenses.

2. Les services généraux (et le fédéralisme) coûtent cher

Dans la catégorie fonctionnelle des « services généraux », on trouve certaines des thématiques qui font l’actualité. Le différentiel avec les voisins a, depuis 2001, été réduit de moitié, mais la Belgique y reste plus dépensière, pour près de 2% du PIB.

Le service de la dette, d’abord, est plus important chez nous que dans les pays frontaliers. La différence s’était réduite dans les années précédant le coronavirus, mais la hausse des taux d’intérêt, associée à un déficit plus élevé, n’aura pas amélioré la situation depuis lors.

Ensuite, le coût des « organes législatifs et exécutifs », rehaussé par un plus grand nombre de parlements et de ministres, et par de plus gros cabinets, est particulièrement peu flatteur.

3. L’enseignement coûte beaucoup et rapporte peu

L’enseignement fondamental et secondaire est plus généreusement financé en Belgique qu’en Allemagne, aux Pays-Bas et en France. Mais, observent les auteurs de l’étude, le système éducatif belge semble pourtant moins performant que celui des Etats voisins. Ils formulent l’hypothèse que la concurrence entre les réseaux et la division linguistique sont à cet égard coûteuses et peu efficaces.

4. Les aides aux entreprises ont explosé

Depuis 2001, la catégorie des « affaires économiques » est passée en Belgique d’un niveau similaire au groupe de pays comparés à un coût supérieur à deux points de PIB. « En ce qui concerne les affaires économiques, il s’agit plus particulièrement des dépenses dans la sous-catégorie « tutelle de l’économie, des échanges et de l’emploi », qui rassemble l’ensemble des politiques destinées à soutenir l’activité économique et le marché du travail. Plus spécifiquement, les subventions salariales destinées aux entreprises, comme les dispenses de précompte professionnel et le système des titres-services, constituent la majeure partie de cette sous-catégorie », note la Revue Economique de la BNB.

« Cette croissance marquée depuis le début des années deux mille est principalement due à des exonérations fiscales et sociales (au niveau fédéral) et au système des titres-services (au niveau régional depuis 2015) », ajoutent les économistes.

Une série de dispositifs d’aide aux entreprises, visant à encourager l’embauche, tirent ces coûts à la hausse.

Au niveau fédéral, les exonérations de cotisations sociales, notamment la mesure « zéro coti » se sont révélées coûteuses pour les finances publiques, alors que leur absence de ciblage a nui à leur efficacité. Après un rapport ravageur de la Cour des Comptes, le gouvernement fédéral a d’ailleurs revu -et limité- l’ampleur de ces réductions. Les pleins effets du tax-shift du gouvernement Michel, induisant plusieurs milliards d’euros de réduction de cotisations, comptent aussi dans ces importants subsides salariaux.

Au niveau régional, le système des titres-services a lui aussi été, ou est en passe de l’être, révisé par les régions bruxelloise, flamande et wallonne. Les autres types d’aides dont profitent les entreprises pour mettre des inactifs à l’emploi ou pour accélérer la transition énergétique augmentent sensiblement le montant des dépenses publiques. En Wallonie, le budget de l’incitant SESAM, une aide donnée pendant trois ans à une entreprise engageant un chômeur, a augmenté de 300%, à plus de cent millions d’euros, entre 2016 et 2023. Et les « accords de branche », par lesquels des aides sont distribuées dans les secteurs qui s’engagent à réduire leurs émissions et à améliorer leur efficacité énergétique, ont coûté au minimum 740 millions d’euros sur six ans, sans que les investissements soient à cette hauteur, loin de là. Le ministre wallon Philippe Henry travaille, là aussi, à une réforme.

Alexia Bertrand a, sans doute, lu cette étude de la Banque Nationale.

Et de son bureau de secrétaire d’Etat au Budget, peut, à son aise, poser les constats qu’elle veut, qu’ils soient contestés ou pas.

Mais dans les faits, elle ne peut pas, ou presque pas, agir sur les dépenses qu’elle estime trop élevées, ni sur celles qui le sont objectivement en comparaison avec la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Les postes qui sont significativement plus dispendieux que chez nos voisins sont gérés par d’autres niveaux de pouvoir. L’enseignement est une compétence communautaire, les aides aux entreprises et la programmation économique sont en grande partie des matières régionales, et les parlements et les gouvernements des entités fédérés n’acceptent d’autres maîtres qu’eux-mêmes quant à leur financement et leur fonctionnement. Autant dire qu’on n’est pas près de dépenser moins là où on dépense vraiment beaucoup.

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