Jan Buelens
Secret des sources : les informations relatives au terrorisme ne se laissent pas monopoliser
Le jargon de la communication du gouvernement s’est étoffé d’une nouvelle expression: le gouvernement « en a plein le dos » des fuites dans la presse de certaines informations relatives au terrorisme. Il souhaite durcir les sanctions contre les coupables.
Cette proposition implique cependant un danger, à savoir l’abrogation du secret des sources des journalistes quand les services de renseignement estimeront cela nécessaire. Cette proposition est à replacer dans une tendance plus large qui consiste à concevoir la politique relative au terrorisme uniquement depuis le pouvoir exécutif.
L’avant-projet que prépare le ministre Geens a le secret des sources des journalistes dans le collimateur.
La loi actuelle de 2005 limite rigoureusement la levée du secret des sources à la menace grave pour l’intégrité physique de certaines personnes, au cas où les informations demandées sont d’une importance cruciale pour la prévention de terrorisme et qu’elles ne peuvent être obtenues d’aucune autre manière. Ces conditions doivent être interprétées de façon restrictive. Le gouvernement souhaite pourtant aujourd’hui élargir la portée de cette loi. En outre, un comité BIM doit actuellement valider la suppression de ce secret professionnel. Le gouvernement estime à présent que cette demande d’autorisation est trop poussée. Il souhaite que les services de renseignement puissent juger eux-mêmes quand faire l’impasse sur ces garanties à l’égard de journalistes.
Le procédé est connu: on abuse de quelques fuites pour revoir toute la réglementation. On se sert de l’occasion pour repousser les frontières du contrôle (de la presse).
C’est l’énième étape du pouvoir exécutif pour renforcer son emprise sur les autres pouvoirs – à présent le quatrième (la presse). La mesure s’inscrit dans un cadre plus général. La loi de rétention sur les données ne fait déjà pas exception pour les journalistes (ni pour les avocats): on conserve leurs e-mails comme ceux de n’importe quel autre citoyen.
C’est pourtant justement dans des dossiers de terrorisme (il ne s’agit pas de Wilmots et des Diables Rouges) que « la » presse gère les informations avec circonspection. Aussi l’accusation de fuites irréfléchies témoigne-t-elle de peu de confiance en le journalisme.
Malgré l’expression peu relevée « plein le dos », la première question qu’on devrait se poser quand on envisage des mesures qui limitent les droits démocratiques devrait toujours être « est-ce qu’il y a un problème ? « . Il existe en effet une protection légale du secret dans les affaires criminelles et ceux qui y portent atteinte peuvent être poursuivis.
Ce que le gouvernement semble surtout vouloir éviter, c’est que les informations désavantageuses pour lui parviennent à la presse et soient diffusées
Ce que le gouvernement semble surtout vouloir éviter, c’est que les informations désavantageuses pour lui parviennent à la presse et soient diffusées. Il s’agit pourtant de questions légitimes pour lesquelles un débat démocratique est non seulement utile, mais même nécessaire.
Cette proposition cadre dans une culture officielle plus large de méfiance vis-à-vis de la presse et des citoyens.
Depuis le 11 septembre, on a tendance à concentrer les informations relatives au terrorisme et à la sécurité dans les mains de l’Etat. Mais c’est justement dans ce domaine que les journalistes ont divulgué certains abus et gaffes. À l’instar des Panama Papers, dont on n’aurait rien su sans les journalistes, ce n’est que grâce à Greenwald, journaliste pour The Guardian, qu’on a divulgué les pratiques d’écoutes illégales de la NSA.
Le gouvernement belge va-t-il se calquer sur le modèle américain ? On voit le même modus operandi auprès de la commission d’enquête sur les attentats du 22 mars. Cette commission ne peut pas désigner de « coupables », se réunira la plupart du temps à huis clos et les plus petits partis n’ont pas été invités.
Appréhender le terrorisme nécessite une approche focalisée: au lieu de concentrer son énergie sur la presse, le personnel impliqué dans l’enquête et les fuites, le gouvernement ferait mieux de se regarder dans le miroir pour détecter les erreurs commises ces derniers mois et se concentrer sur le manque de personnel de sécurité et de magistrats.
Il y a moyen de faire autrement. Le 4 avril 2016, une décision de la Cour suprême de Norvège a été récompensée du prix du Columbia Global Freedom of Expression pour avoir reconnu la liberté de la presse comme l’une des principales libertés, d’autant plus importante encore en temps de lutte contre le terrorisme.
La sécurité est un but légitime, mais trop importante pour être instrumentalisée comme prétexte pour éviter tout débat démocratique.
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