Paul Magnette et Bart De Wever, quand ils tentaient un dialogue PS - N-VA, l'été dernier. © Belga

« Sans Bruxelles, le divorce belge serait déjà consommé » (analyse)

Olivier Mouton Journaliste

Hugues Dumont, professeur émérite de droit constitutionnel, tire les leçons du dernier blocage politique et suggère une formule pour éviter que cela ne se reproduise à l’avenir: une élection refondatrice.

Ce fut « la crise politique la plus profonde » de l’histoire belge, selon les termes d’Hugues Dumont, professeur émérite de droit constitutionnel (Université Saint-Louis), l’un des plus fins connaisseurs des arcanes de notre charte fondamentale. L’avènement de la coalition Vivaldi, cet automne, ne doit en effet pas faire oublier qu’entre le 9 décembre 2018 et le 1er octobre 2020, notre pays s’est retrouvé sans gouvernement majoritaire de plein exercice – seule la crise du coronavirus a permis au gouvernement Wilmès d’être appuyé de l’extérieur pour gérer ce moment délicat. et que structurellement, notre pays se trouve de plus en plus proche d’un blocage complet.

« Disons-le sans détour: si la Région bruxelloise n’existait pas, région-capitale dont ni la voisine flamande du nord ni la voisine wallonne du sud ne peuvent s’emparer ni se séparer, le divorce belge serait sans doute déjà consommé« , souligne-t-il dans un long texte publié sur le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel. Davantage que la monarchie – le rôle politique du roi a sérieusement été écorné durant cette crise – ou la dette – devenue moins ‘pesante’ en raison des taux d’intérêt bas -, Bruxelles est devenu le noeud du pays. Mais l’analyse du constitutionnaliste va plus loin.

L’absence de projet fédéral

Hugues Dumont se penche sur les raisons profondes du mal belge. Bien sûr, il y a la montée des extrêmes, la fragmentation du paysage politique, le déclin des partis traditionnels et leur fragilisation conjoncturelle (avec des élections présidentielles dans bon nombre d’entre eux). Mais la cause principale réside dans un dilemme existentiel: faut-il continuer la logique des petits pas et des compromis ou faut -il réformer en profondeur l’Etat pour lui donner un avenir?

Le professeur de droit constitutionnel met en avant ceci pour le confirmer: « la première des causes circonstancielles réside dans le caractère à la fois bipolaire et centrifuge du fédéralisme belge et dans l’absence d’un authentique projet fédéral propre à transcender cette bipolarité tout en stabilisant cette dynamique centrifuge autour d’un point d’équilibre satisfaisant ». Dans de nombreuses analyses de notre Etat, le constitutionnaliste avait déjà épinglé cette dérive: notre « fédéralisme de coopération » est surtout un « fédéralisme de confrontation ».

En voyant finalement le jour, la majorité Vivaldi (socialistes, libéraux, écologistes et CD&V) s’est entendue sur la nécessité de développer un projet positif pour la Belgique, avec le bicentenaire de 2030 comme ligne d’horizon. Le gouvernement d’Alexander De Croo (Open VLD) a également promis une réflexion incluant les citoyens pour rendre notre fonctionnement plus efficace. Une mise à plat de la Constitution associant les citoyens, c’est là aussi une requête émise par de nombreux constitutionnalistes.

« Le fédéralisme belge construit pas à pas depuis 1970 ne serait qu’une forme de séparatisme à crans d’arrêt s’il n’était pas capable de se ressourcer dans un projet refondateur, écrit Hugues Dumont. Les idées ne manquent pas pour donner à ce projet une consistance satisfaisante, mais l’option inverse en direction d’un confédéralisme-antichambre du divorce est aussi sur la table, la N-VA ayant eu le mérite d’en avoir proposé une version relativement construite. »

Une élection refondatrice

Dans ce texte, le constitutionnaliste se montre toutefois réservé sur l’approche privilégiée par la Vivaldi et propose une alternative. « Nous défendons une proposition sans doute audacieuse, mais appropriée pour sortir des impasses où notre régime est en train de s’enfoncer, souligne-t-il. Concrètement, il s’agirait de mettre en place une procédure qui autoriserait l’organisation d’une élection exceptionnelle dans l’unique but de composer une assemblée spécialement habilitée à statuer sur ce que l’État belge doit devenir. En dehors du Parlement chargé de légiférer et de contrôler le gouvernement sur les questions ordinaires de la vie publique, cette assemblée constituante débattrait de toutes les hypothèses sans tabou. Au terme de ce débat, elle serait habilitée à prendre en toute souveraineté les décisions jugées praticables et légitimes, en ce compris les plus radicales qui peuvent aller jusqu’à la ‘déconstitution’ de l’État ou sa ‘reconstitution’ sur des bases nouvelles. »

Cette idée d’une Assemblée reconstituante, il la porte depuis quelque temps déjà et certains politiques s’en sont partiellement inspirés – songeons à François De Smet, président de DéFI. « Il nous semble en tout cas qu’entrer dans une nouvelle crise interminable, comme on peut le prévoir en 2024 au plus tard, conduisant au mieux à un nouveau compromis opaque, provisoire et dysfonctionnel, ce serait priver les citoyens du pouvoir de délibérer en toute conscience de l’avenir de leur communauté politique, prolonge Hugues Dumont. Ce serait alimenter la thèse que cet État est voué à un phénomène d’évaporation sans que l’on sache si la majorité de ses citoyens, d’un côté comme de l’autre de la frontière linguistique, est disposée à s’en accommoder. »

Le gouvernement De Croo entend générer une réflexion durant cette législature, avant d’ouvrir, le cas échéant, les articles de la Constitution ouverts à révision en vue des prochaines élections. Dont l’article 195 de ladite Constitution, déjà utilisé par le passé comme une sorte d’ouvre-boîte pour revoir les institutions. Or, cet article devrait précisément permettre de changer la façon de repenser la Constitution.

« L’ouverture à révision de l’article 195 devrait permettre, à nos yeux, à la fois d’améliorer la procédure qu’elle régit et d’instituer une passerelle vers la résurrection d’un pouvoir constituant originaire incarné par une assemblée ad hoc spécialement élue à cette fin, conclut le constitutionnaliste. Il appartiendrait au Sénat de préparer ce chemin dès aujourd’hui. Ainsi, la technique du chantage déjà pratiquée tout au long des crises de 2007 et 2010-2011 serait exclue. La formation du prochain gouvernement ne pourrait pas être bloquée aussi longtemps que de nouveaux transferts de compétences vers les entités fédérées ne seraient pas concédés. »

La voix de la sagesse consisterait à oser le débat existentiel sur l’avenir du pays. Politiquement, cela s’avérerait-il trop explosif?

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