Rythmes scolaires, classes trop peuplées… La ministre de l’Enseignement Caroline Désir a répondu à vos questions
Ce mardi, la ministre de l’Enseignement francophone Caroline Désir a répondu aux très nombreuses questions des lecteurs du Vif. Elle a évoqué les dossiers qui marqueront 2022, à commencer par l’ambitieuse réforme des rythmes scolaires.
Pourquoi n’avoir pas voulu créer un calendrier commun avec les autres communautés? Ne fallait-il pas attendre et harmoniser les agendas? (Question de Geoffroy, Véronique, Caroline, Soumaya, Vanessa, Isabelle…)
Caroline Désir. C’est une question qu’on me pose souvent. Je rappelle que l’enseignement est une matière communautaire. Il y a 30 ans que cette réforme est dans les cartons et que les experts en chronobiologie sont d’accord que c’est dans l’intérêt du bien-être des enfants et des enseignants. Il y a aussi l’étude de la fondation roi Baudouin sur la faisabilité. La suite logique est de la mettre en oeuvre. Des démarches ont été entreprises. On a expliqué nos intentions, et la Flandre nous a dit que ce n’était pas sa priorité. Cependant, le débat vit chez eux. Des échanges ont lieu. Mais Weyts a envie de rester maître de son calenderier, ce que je peux comprendre.
Ce n’est donc pas une lubie francophone. Elle est pensée vis-à-vis du bien-être des enfants. La réflexion évolue, et j’espère qu’ils nous emboîteront le pas. J’espère qu’ils nous rejoindront le plus vite possible. On est convaincu qu’on doit réaliser cette réforme.
Nous avons revu notre copie pour les vacances de février. Les vacances de Pâques seront beaucoup plus tard, ça nous ne pourrons pas revenir là-dessus, mais il y a toujours 10 à 11 semaines communes.
Serait-il possible que chaque communauté décale les congés de Pâques d’une semaine pour qu’il y ait au moins une semaine en commun? La situation actuelle pour 2022/2023 est absurde pour de nombreuses familles (question de Quentin)
Effectivement, les vacances de Pâques seront complètement déconnectées des vacances des autres Communautés. Mais si on devait rattraper une semaine commune à Pâques, la réforme n’aurait plus du tout de pertinence. Jusqu’à présent, de Pâques au 30 juin, la période est souvent longue, de dix à douze semaines, et les enfants comme les professeurs, sont épuisés, à bout de course.
Quelles sont vos solutions pour les familles qui ont des enfants dans deux communautés différentes et qui subiront l’impact de la réforme des rythmes scolaires ? (question de Laurence, de Sandrine, de Véronique )
Tout d’abord, une offre de stages, d’activités de qualité bien sûr pour tous les enfants. Mais, je le rappelle, nous avons aussi raccroché des vacances communes, notamment au Carnaval (congé de détente), ce qui n’était pas prévu dans la première version du texte. Et, enfin, je continue à travailler avec la Communauté flamande, en espérant qu’elle nous rejoigne.
Il n’y aucune démonstration scientifique du bienfait des rythmes scolaires pour les enfants. Nos pays voisins du Nord ont toujours ce rythme. La plupart des enfants devront être casés dans des stages. Est-ce que cela va changer quoique ce soit à leur fatigue? Quel est votre argument pour le bienfait des enfants? Merci de citer vos sources, nous ne les avons pas trouvées.(Question de Caroline)
Il faut rappeler qu’historiquement, les deux mois de vacances, c’était pour les enfants qui devaient aider leurs parents dans les champs. Les enfants ont besoin de plus de régularité : il y a un consensus scientifique là-dessus. Pâques – fin juin, c’est une longue période. A la fin d’une période de 10 semaines, les enseignants et les élèves sont très fatigués. Hors Covid, c’est entre les vacances de Toussaint et les vacances de Pâques que le taux d’absentéisme est le plus élevé parmi les enseignants et les élèves.
Rappelons aussi que cette réforme n’ajoute ni ne retire aucun jour de congé. Bénédicte Linard travaille sur sa réforme de l’accueil temps libre pour avoir une offre de stages de qualité pour tous les enfants. On travaille de concert avec tout le gouvernement. Sur le plan sanitaire, les vacances de deux semaines ont également du sens. Il y a un consensus scientifique là-dessus. Si on avait eu deux semaines à Toussaint, cette année, la quatrième vague aurait proablement été moins importante dans les classes.
Avez-vous déjà chiffré le nombre de familles et d’enfants de la FWB qui sera impacté négativement par cette réforme des rythmes scolaires uniquement à cause de la Communauté dans laquelle les enfants sont scolarisés ? On parle de 5%. Est-ce qu’il s’agirait donc bien de 45.000 enfants sur les 900.000 enfants ? (question de Sandrine et de Patrick)
Il s’agit en réalité de bien moins de 5%. Mais c’est impossible à chiffrer précisément car nous ne disposons pas de données au niveau des familles elles-mêmes. Cela concerne un très petit nombre de personnes. Je ne veux pas minimiser ce que vivent ces familles. J’appelle de mes voeux à ce que la Flandre suive cette réforme.
C’est aussi pour répondre à cette réalité que nous avons veillé à retravailler le texte. Par exemple concernant les vacances de Carnaval, qui ont été « raccrochées » à celles de la Flandre.
Le problème se pose évidemment dans les familles où les parents sont enseignants et pour qui c’est un changement important. Mais il faut aussi rappeler que beaucoup de parents, dans le privé, n’ont pas plus de 20 ou 24 jours de vacances par an en commun avec leurs enfants. C’est la réalité vécue par beaucoup de familles.
Beaucoup de questions des lecteurs du Vif, à propos de la réforme des rythmes scolaires, concernent les stages. Ainsi que leur encadrement, souvent effectué par des étudiants du supérieur, dont les vacances ne seront plus alignées. Un problème ?
Sur la question des stages, je tiens d’abord à rappeler qu’on est dans un calendrier qui est exactement le même qu’avant : on n’ajoute pas des jours de congés, on n’en retire pas. C’est un rééquilibrage.
Parallèlement à la réforme des rythmes scolaires, ma collègue Bénédicte Linard en charge de l’Enfance travaille en même temps que nous sur sa réforme du temps libre. Le but est que nous aboutissions ensemble.
Mais il faut rappeler que les congés dans l’enseignement supérieur ne sont déjà pas les mêmes, les rythmes scolaires ne sont déjà pas correspondants, et pourtant des solutions sont trouvées. Evidemment nous réfléchissons à ce sujet. Mais l’apprentissage que l’on a fait, aussi, de la crise sanitaire, est que des solutions peuvent être trouvées lorsque cela est nécessaire. Lorsque les dernières vacances de Noël ont été avancées d’une semaine, par exemple, des offres de stages se sont spontanément mises en place et cela a bien fonctionné.
Bonjour, il est démontré que pour une formation soit efficace, profitable à tous les élèves et éviter qu’un enseignant ne soit débordé, une classe de 12 à 15 élèves grand maximum est un facteur déterminant. Que pensez-vous des classes de 25 à 30 élèves dans nos écoles primaires, secondaires et supérieures ? (question de Pascal et de Robert)
La surpopulation des classes est une question très importante, qui nous revient tout le temps. Il est clair qu’il est plus facile d’enseigner avec 10 ou 15 élèves qu’à 25 ou 30. Mais réduire la taille des classes serait une proposition très coûteuse, impayable. Sur un budget de 12,4 milliards, actuellement 5,7 milliards sont consacrés aux salaires des enseignants, soit quasi la moitié. Ce qui signifie que, si on décidait de diviser par deux les classes, il faudrait trouver cinq milliards de plus. Sans parler du problème de trouver des enseignants supplémentaires, alors que le recrutement est déjà compliqué.
Mais il existe d’autres manières d’atteindre le même but. Aujourd’hui, le décret fixe le nombre d’élèves par classes, de manière progressive. Ainsi en 2ème primaire, la moyenne est de 20 (et 24 maximum). De la troisième à la sixième primaire, la moyenne est de 24 et 28 maximum. Donc il y a une progressivité et un cadre.
On travaille par ailleurs sur d’autres dispositifs d’accompagnement :
- le dispositif FLA, soit des enseignants qui viennent en classe soutenir les élèves qui en ont besoin dans le cadre de l’apprentissage de la langue.
- l’accompagnement personnalisé va arriver avec le tronc commun l’année prochaine, pour venir répondre aux difficultés scolaires là où elles se trouvent. Il s’agira de moments prévus dans la grille horaire pour s’occuper de petits groupes.
- la réforme de l’enseignement inclusif : troubles de l’apprentissage, les dys… qui sont présents dans toutes les classes aujourd’hui. Là aussi, les écoles pourront recevoir de l’aide au sein d’un pôle territorial. Ce qui permettra de venir en aide et de soutenir les enseignants dans leurs pratiques.
- L’encadrement différencié, qui concerne 25% des écoles les plus touchées par les difficultés sociales. Les moyens obtenus peuvent être consacrés à la diminution de la taille des classes.
Quelle solution proposez-vous aux familles de ces 3.000 élèves francophones des communes à facilités qui sont impactées par la réforme des rythmes scolaires ? (question de Sandrine)
Effectivement, 3 000 élèves sont concernés. J’ai rencontré spécifiquement les représentants de ces communes à facilités. Ils disent être en faveurs de la réforme même si, pour des raisons évidentes, ils voudraient que les deux systèmes s’harmonisent. Mais je n’ai pas de prise sur la volonté de la Flandre de réaliser à son tour cette réforme.
Attention, je ne veux pas du tout donner l’impression que je m’en fous. Ce n’est pas le cas. Je comprends les difficultés des familles de la périphérie, de Bruxelles et des régions frontalières. Mais, comme ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dois-je renoncer à une réforme à laquelle on croit, alors que l’enseignement est communautarisé ?
J’ajoute que cette réforme a plus de sens que jamais depuis cette crise sanitaire. Si on avait eu, cette année, deux semaines de vacances à Toussaint, on n’aurait pas vécu cette quatrième vague dans les classes comme on l’a vécue. En 2020, lorsque les vacances de Toussaint ont été prolongées d’une semaine à cause du Covid, on a d’ailleurs constaté que le taux d’absentéisme chez les enseignants avait ensuite chuté. Alors que d’habitude, entre Toussaint et mars, il y a vraiment une explosion.
Comment améliorer l’apprentissage du néerlandais en FWB ? Pourquoi ne pas faire de stages de langue comme on organise des voyages scolaires ? (Question de Virginie et Laurent)
Plus on apprend une langue tôt, meilleurs sont les résultats. Aussi l’apprentissage de la seconde langue se fera-t-il dès la 3e primaire à partir de l’année scolaire 2023-2024. Le débat sur les langues nationales est très vivant : faut-il rendre obligatoire l’apprentissage du néerlandais ou de l’allemand ? Le néerlandais est obligatoire à Bruxelles, mais pas en Wallonie. C’est une question de rapprochement culturel entre les communautés, qui pose une série de questions. Si on rend l’apprentissage obligatoire, il y aurait la question des enseignants. Il y a aussi des contraintes de réorganisation. Il y a des écoles qui se sont développées autour de l’immersion en anglais. Le gouvernement devra trancher cette question.
Quelles sont les (pistes de) solutions que vous proposez pour permettre le maintien, voire même le développement, d’un enseignement immersif de qualité, malgré l’impact de la réforme des rythmes scolaires ? (Questions d’Amélie, de Lindsey, d’Emily de Stéphanie)
Pour un enseignement immersif de qualité, il faut des enseignants. La grosse nouveauté en Wallonie, c’est l’apprentissage de la seconde langue dès la 3e primaire. C’est un défi de taille, car il exige 400 équivalents temps plein. L’administration travaille sur différentes pistes pour pallier la pénurie d’enseignants. Il n’est en effet pas évident de recruter des enseignants et de rivaliser avec la Flandre où les conditions pour les enseignants sont légèrement meilleures. Il y a d’autres choses à faire pour attirer les enseignants.
Ainsi, il faudrait prendre en charge l’ancienneté s’ils viennent du privé. C’est une question beaucoup plus vaste sur laquelle nous voulons être ambitieux. Nous proposons de miser sur la promotion des filières pédagogiques, d’agir sur les conditions de travail. Il est absolument nécessaire de valoriser ce métier. Le décret titre et fonction veille à la qualité de l’enseignement : il est assez strict, pour que l’enseignant possède toutes les qualités requises pour enseigner.
Il est démontré que pour une formation soit efficace, profitable à tous les élèves et éviter qu’un enseignant ne soit débordé, une classe de 12 à 15 élèves grand maximum est un facteur déterminant. Que pensez-vous des classes de 25 à 30 élèves dans nos écoles primaires, secondaires et supérieures ? (Question de Pascal et Robert)
C’est évident que c’est plus facile d’enseigner à une classe de 12 à 15 élèves. Cependant, c’est impayable. Sur un budget global de 12,4 milliards (pour la Fédération Wallonie-Bruxelles), 6,6 sont consacrés à l’enseignement dont 5,7 milliards dédiés aux salaires des enseignants. Réduire les tailles des classes par deux n’est donc pas possible. Cependant, il y a un décret sur la taille des classes. Ainsi, il y a 20 élèves par classe en moyenne en première et deuxième primaire. De la troisième à la sixième, ce nombre augmente à 24-28.
Nous travaillons sur toute une série de dispositifs pour aider les élèves, telles que le FLA (français langue d’apprentissage) par exemple. Il y a aura des moments pour s’en occuper des enfants qui souffrent de difficultés scolaires.
Il y a de plus en plus de choses à voir en primaire au rythme chaque fois d’une heure minimum par semaine (activité manuelle, culture, arts, numérique, sciences humaine, langue étrangère, CPC….). Mais pas de changement dans les horaires. Où va-t-on aller chercher ce temps pour insérer ces matières ? Le mercredi après-midi ? Le samedi matin ? Dans les mathématiques et le français ? (Question de Pauline)
Nous revoyons tout le parcours d’apprentissage. Celui-ci va démarrer le 29/08/2022 pour les enseignants. Nous avons voulu ce tronc commun, beaucoup plus polytechnique. On voudrait que les écoles soient beaucoup plus polyvalentes. Le but est de poser des choix d’orientation. On veut que cette orientation soit un processus. La FBW détermine les référentiels. Ces derniers seront beaucoup plus précis. Il y aura des référentiels (NDLR: le programme à suivre pour les enseignants) pour chaque discipline par année d’étude. C’est aux réseaux d’enseignement de décliner cela par programme. Nous allons démarrer à la rentrée prochaine avec les première et les deuxième primaires. Chaque année, il y aura une année d’étude de plus qui sera concernée. En 2028-2029, tous les élèves seront concernés.
Suite au 1er confinement, un programme avec des essentiels avait été créé pour l’année 2020-2021. Cette année, nous en sommes revenus au programme classique comme si nous avions pu récupérer tout le retard dû aux différentes vagues… Je suis enseignante depuis 15 ans et pour la 1ère fois , je suis inquiète… Soit j’avance et je sais alors que je vais noyer des élèves , soit je ne finis pas ma matière obligatoire et ils se feront ramasser aux examens de fin de cycle… Que doit-on faire? (question de Sophie)
Je comprends et partage l’inquiétude de ces enseignants. Pas plus tard que lundi, des associations de parents m’ont relayé la même inquiétude. On a cru, naïvement, que cette année scolaire serait de nouveau normale. Ce qui n’est pas le cas, indéniablement. On voit que cette rentrée depuis janvier est compliquée avec Omicron qui est très virulent et qui entraîne beaucoup de quarantaines, à la fois chez les élèves et chez les enseignants.
En 2020-2021, l’enseignement ayant été très impacté, on avait prévu comme réponse de se concentrer sur les essentiels. Cela ne signifiait pas qu’on abaissait le niveau, mais que si on devait choisir, on se concentrait sur ces essentiels, sur ce qui devait être vu prioritairement. Sur quoi se concentrer prioritairement. Quand même utile pour les enseignants.
Faut-il en revenir aux essentiels ? C’est une question qui va être examinée dans les prochaines semaines.
En attendant, nous avons mis beaucoup de moyens pour accompagner les écoles en cette période sanitaire (comme les CPMS et la création d’espaces de paroles au sortir du confinement). Nous avons obtenu, via une fiche du plan de relance européen, 27 millions d’euros pour le secondaire, pour réparer les conséquences de l’enseignement à distance. Mais aussi 12 millions pour le primaire. Nous avions concentré cette aide sur les quatre premiers mois de l’année, mais on se rend compte que ce n’est pas suffisant. La prolongation de cette aide Covid a été décidée.
Un autre problème est que le taux d’absentéisme est tel que ces moyens supplémentaires sont souvent utilisés pour combler les trous…
Parmi les nombreuses questions reçues durant ce live, beaucoup de lecteurs sous-entendaient que si vous avanciez sans la Flandre dans le dossier des rythmes scolaires, c’était aussi pour une raison de « gloriole personnelle », pour être la ministre qui aurait concrétisé ce dossier vieux de trente ans. Il y a de ça, aussi ?
Ce n’est pas du tout comme ça que j’envisage ma fonction. Je suis au service d’un projet. Je suis une feuille de route, qui est celle du gouvernement. Et je m’y tiens. Sur cette feuille de route figure la mise en oeuvre du pacte d’excellence, dont la réforme des rythmes scolaires fait partie. Le précédent gouvernement avait réalisé l’étude de faisabilité, nous sommes chargés de sa concrétisation. C’est un engagement mutuel. Il est important de faire ce à quoi on s’est engagé. Il faut du courage politique. La défiance actuelle des citoyens tient sans doute aussi du fait que les élus ne tiennent pas les promesses qu’ils ont faites.
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