L'exposition à la gare Liège-Guillemins propose notamment une réplique du sarcophage de Toutankhamon. © EUROPAEXPO

Revivre la découverte du tombeau de Toutankhamon par Howard Carter

Michel Verlinden Journaliste

Immersive et passionnante, une exposition à la gare Liège-Guillemins fait revivre la découverte du tombeau de Toutankhamon par Howard Carter. Fièvre et frisson égyptologiques garantis !

Le 26 novembre 1922, toute l’archéologie moderne retient son souffle. Cette discipline vit du côté de la vallée des Rois, non loin de Louxor, les minutes parmi les plus longues et les plus palpitantes de son existence. Après avoir pratiqué une petite ouverture dans une porte de pierre enfouie sous terre, l’égyptologue Howard Carter (1874 – 1939) approche de l’anfractuosité en question la petite bougie qu’il serre entre ses mains tremblantes. Il se hisse sur la pointe des pieds et regarde. Un long silence s’ensuit. Derrière l’épaisse moustache, la bouche ne répond plus. Si les premières secondes de mutisme correspondent à la durée nécessaire pour que les yeux s’accoutument à l’obscurité, la suite de l’interminable attente témoigne d’un foisonnement visuel inespéré : des silhouettes d’animaux, des statues, des coffres, du mobilier et, partout où le regard se pose, le  » scintillement de l’or « .

Dans son carnet, l’aventurier britannique note  » […] pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons -, je restai muet de stupeur.  » A la façon d’un contrechamp, les notes de Lord Carnarvon (1866 – 1923), bailleur de fonds de l’expédition présent au moment de la fatidique découverte, consignent, elles aussi, cet instant à la temporalité étirée. A propos de Carter, l’aristocrate anglais, par ailleurs propriétaire du château de Highclere dont les imposants contours ont été rendus célèbres par la série Downton Abbey, écrit :  » Il resta silencieux pendant deux ou trois minutes, m’infligeant un suspense pénible. M’attendant à une nouvelle déception, je demandai :  » Vous voyez quelque chose ?  » – Oui, me répondit-il.  »

Howard Carter (à g.) et un porteur hissent l'un des 5 000 objets sortis du tombeau.
Howard Carter (à g.) et un porteur hissent l’un des 5 000 objets sortis du tombeau.© EUROPAEXPO

Les deux mots qui suivent marqueront à jamais l’histoire de l’égyptologie.  » Des merveilles !  » s’exclame un Carter abasourdi. L’explorateur n’a beau avoir devant lui qu’un fragment de ce qu’il sera convenu d’appeler par la suite le  » trésor de Toutankhamon « , son intuition est juste : plus de 5 000 objets seront extraits dudit tombeau, dont 2 000 relèvent de la bijouterie ou de l’orfèvrerie. Dans un courrier adressé à un proche, Carnarvon de préciser avec une lucidité exemplaire :  » Il y a assez de pièces pour remplir tout l’étage de la collection du B.M. (NDLR : le British Museum). C’est, je crois, la plus grande découverte archéologique qu’on ait jamais faite.  » Difficile de mieux résumer cette aventure humaine qui n’aura de cesse de faire couler de l’encre, alimenter les fantasmes les plus insensés (lire l’encadré ci-contre) et, surtout, de totalement bouleverser notre savoir sur l’Egypte antique.

Par-delà le trésor

Sur papier, avouons-le, ce n’est pas sans une certaine dose de méfiance que l’on aborde l’événement de Liège. Après le triomphe de Toutankhamon. Le Trésor du Pharaon, l’exposition ayant attiré près d’1,5 million de visiteurs à la Grande Halle de La Villette, à Paris, il est difficile de ne pas s’interroger sur la pertinence d’une proposition ayant élu domicile dans une gare et dont une partie conséquente de la scénographie repose sur des  » copies « , certes certifiées par la Supreme Council of Antiquities Replica Production Unit (un département dépendant directement du ministère des Antiquités égyptien), mais  » copies  » malgré tout. Le scepticisme est d’autant plus présent que ce Toutankhamon. A la découverte du pharaon oublié (1) porte la patte d’Europa Expo, société connue pour donner dans la programmation à forte audience – on lui doit Tout Hergé ou encore le blockbuster J’avais 20 ans en 45 – et l’opportunisme marketing, à l’image du  » macaron Toutankhamon « , au goût d’huile d’olive signé par la pâtisserie Egge-Nols, commercialisé pour l’occasion.

Une des nombreuses fresques qui ornaient la sépulture de Toutankhamon,
Une des nombreuses fresques qui ornaient la sépulture de Toutankhamon,  » la plus grande découverte archéologique qu’on ait jamais faite « .© EUROPAEXPO

Que le candidat potentiel à une visite se rassure : l’expo de la gare Liège- Guillemins justifie pleinement le déplacement. Il faut dire que l’angle choisi affiche une totale pertinence. Comme le confirmait l’exposition phare parisienne mentionnée plus haut, c’est habituellement une Egypte dorée sur tranche que l’on convoque pour appâter le grand public. Soit des objets époustouflants, à la facture remarquable et à la beauté certes incontestable, mais dont l’éclat empêche de prendre la mesure de la valeur réelle de la découverte, de voir ce qui se joue réellement avec les antiquités égyptiennes. En découle trop souvent une sorte d’éloignement, la vision d’une Egypte  » mythologique « , gravée dans le bronze et l’airain, faisant l’impasse sur la dimension universelle contenue dans les trésors. Laquelle dimension nous parle d’une civilisation in fine comme une autre, c’est-à-dire un ensemble d’êtres humains affrontant la vie quotidienne et les mystères de l’existence en y apportant des réponses spécifiques.

En nous emmenant sur les traces d’Howard Carter et en nous permettant de cheminer en amont et en aval de l’ouverture de la tombe, la proposition liégeoise accomplit la démarche inverse. L’expo nous place dans les coulisses aléatoires de la découverte, aventure profondément humaine, de la même manière qu’elle exhume les mystères enfouis avec la momie de ce pharaon décédé alors qu’il avait à peine 18 ans. Ce qui est fascinant avec le passé, c’est que, contrairement à ce qu’on pourrait croire et à ce que l’exhibition répétée des  » trésors  » cultive de manière illusoire, il ne s’agit pas d’une séquence temporelle figée. Au contraire, pour peu qu’on le remue, ce passé se réécrit sans cesse à la lueur du présent, il a un tas de choses à nous  » dire « . A ce titre, l’odyssée de Carter est un cas d’école remobilisant un pan énorme du savoir acquis à propos du xive siècle avant notre ère.

Les ateliers du ministère égyptien des Antiquités s'occupent de la restauration de pièces inestimables.
Les ateliers du ministère égyptien des Antiquités s’occupent de la restauration de pièces inestimables.© EUROPAEXPO

Caution scientifique

Pour le prouver, le parcours exhume l’ensemble du contexte de la découverte en faisant feu de tout bois : multiples extraits de films d’animation retraçant la descente dans la tombe, centaines de pièces authentiques en provenance de musées prestigieux (du Metropolitan Museum of Art de New York au Louvre), dioramas épatants, anciennes photographies, reconstitutions de temple ou d’atelier, expériences olfactives… Le tout pour un corpus conséquent placé sous la caution scientifique stricte de deux pointures : Dimitri Laboury, professeur et auteur d’une importante biographie d’Akhenaton faisant autorité en la matière, ainsi que Simon Connor, chercheur à l’ULiège. Pour le visiteur, l’impression qui domine est d’emboîter le pas de l’aventurier britannique, jusqu’à, et c’est probablement le temps fort de cette expérience immersive, être mis devant un spectacle à couper le souffle, même s’il ne s’agit pas de pièces originales, soit la vue de l’antichambre du tombeau de Toutankhamon telle qu’elle est apparue à Howard le 26 novembre 1922.

Le coup de génie de Toutankhamon. A la découverte du pharaon oublié est de montrer que ce que nous savons aujourd’hui de cette période de l’histoire doit énormément à un homme qui avait l’âme d’un détective. Comme un Sherlock Holmes de l’Antiquité, c’est le fait de ne négliger aucun indice, entre autres un petit vase en faïence portant le nom du jeune roi, qui a permis au protégé de Lord Carnarvon de procéder à la mise au jour de ce site contenant l’un des rares trousseaux funéraires complets de pharaon. Il faut rappeler qu’avant lui, Theodore Monroe Davis, un financier américain ayant obtenu une concession de fouilles dans la vallée des Rois, s’était arrêté de creuser à seulement… deux mètres de l’entrée menant au caveau du fils d’Akhenaton. Après une petite trentaine d’excavations fructueuses, l’entreprenant intéressé était convaincu que la nécropole n’avait plus rien à livrer. C’était sans compter l’acharnement de Carter qui décrocha le gros lot au bout de la cinquième et ultime saison de fouilles.

Heureusement, même s’il commençait à en douter, Lord Carnarvon avait trouvé en Carter l’homme providentiel, celui qui était prêt à  » remuer des milliers de tonnes de terre  » afin d’ex- caver le moindre de ses secrets pharaoniques.

Et la malédiction ?

La reine Elisabeth a visité la tombe du pharaon.
La reine Elisabeth a visité la tombe du pharaon.  » Mort rapide  » assurée ?© EUROPAEXPO

Au fil d’un parcours auquel on conseille de consacrer au moins deux heures, il ne faut pas passer à côté du petit cartel qui dissipe un malentendu tenace à propos de la fameuse  » malédiction de Toutankhamon « . Cette légende dégage aujourd’hui encore un parfum de mystère auprès des plus crédules. En Belgique, c’est par Lady Allenby, l’épouse du haut-commissaire britannique alors en poste au Caire, que la rumeur s’est propagée. Quelques mois après la découverte, au cours d’un dîner organisé dans la capitale égyptienne, la femme de Lord Allenby prédit au futur Léopold III rien de moins qu’une  » mort rapide « . Motif de la sentence ? Lui et sa mère, la reine Elisabeth, ont eu le malheur de pénétrer dans la tombe du pharaon. Passé un léger moment de malaise, les convives royaux reprennent la conversation comme si de rien n’était. a leur retour au pays, le 5 avril 1923, la presse du jour leur apprend la mort de Lord Carnarvon en raison d’une septicémie. Ce décès va nourrir les fantasmes d’une presse avide de sensations qui n’hésitera pas à lister d’étranges coïncidences, depuis une panne d’électricité au Caire… jusqu’au  » canari de Carter qu’un serpent aurait dévoré « . Il n’en faut pas plus pour engendrer une véritable psychose qui échoue à rendre compte le caractère sélectif de cette soi-disant malédiction. Car, ne l’oublions pas, le principal intéressé, Carter, est mort bien plus tard, en 1939, tandis que la reine Elisabeth est décédée à l’âge de 89 ans, en 1965. Idem pour Léopold iii, décédé à 82 ans. Sans compter les milliers de touristes et d’ouvriers profanateurs épargnés par la colère vengeresse de Toutankhamon.

(1) Toutankhamon. A la découverte du pharaon oublié : dans la gare Liège-Guillemins, à Liège, jusqu’au 31 mai prochain.

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