Joyce Azar
« Réunis, ceux qui n’ont pas voté, ont voté blanc ou nul constituent le deuxième plus grand parti du pays »
« Les élections devraient être une fête de la démocratie, mais certains n’y prennent pas part : lors des communales d’octobre dernier, plus d’un million de Belges n’ont pas voté, ont voté blanc ou ont voté nul. » Armées de ce constat, deux journalistes de la VRT s’adressent aux responsables politiques dans une nouvelle série documentaire intitulée Blanco (1).
Tout au long des trois épisodes, diffusés par Canvas avant le triple scrutin du 26 mai, Phara de Aguirre et Nahid Shaikh parcourent la Belgique, un des rares pays européens où le vote est obligatoire. Leur but : trouver les citoyens/nes qui ont choisi de ne pas offrir leur voix à un parti, leur donner un visage, et la parole, pour mieux comprendre leurs motivations. Si ces électeurs/trices étaient réuni(e)s, ils/elles constitueraient le deuxième plus grand parti du pays. Il n’a donc pas été difficile de les dénicher, d’autant qu’ils/elles se retrouvent dans toutes les couches sociales, et des deux côtés de la frontière linguistique. Toutes les tranches d’âge aussi sont concernées. Mais en 2018, les résultats électoraux ont révélé une tendance alarmante : 44 % des citoyens/nes n’ayant pas voté, voté blanc ou nul ont entre 18 et 34 ans.
Parmi les portraits dressés, on rencontre ainsi plusieurs étudiants, mais aussi un docker anversois, un ancien Vlaams Blokker amputé d’une jambe, un livreur belgo-turc, des mères célibataires, des retraités, des gilets jaunes, un sans-abri. On découvre aussi des profils plus étonnants, comme cet ex-haut placé du secteur bancaire. A 70 ans, Godfried explique qu’en omettant de voter pour la première fois de sa vie le 26 mai, il désire lancer un signal aux politiques. » C’est une défaite personnelle, confesse pour sa part le peintre et poète anversois Jan Vanriet, qui s’est abstenu en octobre dernier. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on vote pour un moindre mal, et non plus par enthousiasme, par idéologie ou par amour pour un projet. » Au fil des témoignages, Blanco révèle des déceptions personnelles, de la frustration, une perte de confiance envers les élus, le sentiment de ne pas compter, de ne pas être entendu. Le coup de gueule électoral est tantôt lié à un ras-le-bol, tantôt à une désillusion politique, à un vote considéré comme inutile ou à un acte de contestation. Etonnamment, la plupart des témoins ne montrent pas de désintérêt pour la politique, qu’ils suivent parfois de très près. » Il y a souvent une longue réflexion derrière leur choix « , relève Nahid Shaikh.
Si le documentaire est perçu par certains comme une invitation à la désobéissance civile, il se veut avant tout un plaidoyer pour l’écoute et le dialogue, et un signal d’alarme à l’égard de nos élus. Interpellés par les deux journalistes, certains d’entre eux n’ont pas caché leur étonnement, d’autres se sont attelés à dénoncer le non-sens d’un tel acte. Lors de la dernière séance plénière, le président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA), s’est montré préoccupé : » L’indifférence et la méfiance règnent. Nous allons devoir expliquer pourquoi notre système en vaut la peine, et pourquoi il est irremplaçable. » Un défi que les prochains élus feraient bien de relever s’ils veulent éviter que ces voix perdues ne le soient pour de bon. Ou ne glissent vers les extrêmes.
(1) La série-docu Blanco est disponible sur le site vrtnu.be.
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