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Réunion Wallonie-France : « Le jour où la Flandre s’en ira, ils se précipiteront tous à l’Élysée »

Olivier Mouton Journaliste

Jules Gheude prône la réunion de la Wallonie avec la France partout où il le peut. Omniprésent dans les médias depuis des décennies, adoubé par le Mouvement flamand, le fils spirituel de François Perin est convaincu que le monde politique reconnaîtra bientôt qu’il avait raison.

Jules Gheude est un phénomène. Un vrai moulin à paroles. Obsédé par la perspective d’un rattachement de la Wallonie à la France, il multiplie les opinions dans tous les médias possibles et publie des livres à la pelle. Ce faisant, il entretient la mémoire de son mentor, François Perin, ministre des Réformes institutionnelles dans les années 1970, fer de lance du Rassemblement wallon et professeur de droit à Liège : à son décès, en 2013, Gheude a hérité de ses archives. Certains voient en lui un monomaniaque, un nostalgique pathétique, accroché à une vision révolue. Le septuagénaire reçoit pourtant une écoute attentive en Flandre, où le Mouvement flamand a découvert en lui un allié de choix. Chaque jour qui passe, d’une crise fédérale à une musculation nationaliste, l’actualité politique lui apporte de l’eau au moulin.

 » C’est bien simple, j’ai la conviction que la longue lutte du Mouvement flamand va arriver à son terme, nous confie Jules Gheude. La fin de la Belgique est inéluctable et les derniers épisodes le démontrent encore largement. Je suis convaincu qu’on me donnera bientôt raison !  » Ce qui le fait (dis)courir depuis si longtemps ?  » Le souci de ce que va devenir la Wallonie…  » Une fois livrée à elle-même, elle ne pourra pas subvenir à ses besoins et Bruxelles voudra voler de ses propres ailes. Voilà pourquoi Gheude plaide en faveur de cette réunion avec la mère patrie française. Et s’il est conscient de ne représenter qu’une très petite minorité, il parie :  » Le jour où la Flandre s’en ira, et qu’on se rendra compte que les autres options ne sont pas viables, on verra tous nos responsables politiques se précipiter à l’Elysée en déclarant qu’ils ont toujours eu foi en la France éternelle.  »

Voilà son rêve.

Une obsession rattachiste

Lorsqu’on lui demande d’où vient sa conviction, Jules Gheude sort un vieux livre : Les Flamands, écrit en 1973 par Manu Ruys, alors chef politique d’un Standaard à cette époque très flamingant.  » Le sous-titre en était :  »Un peuple en mouvement, une nation en devenir », rappelle-t-il. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, racontait récemment qu’il parlait désormais allemand à la côte belge parce qu’on n’y veut plus de francophones et il ajoutait : « Le drame, c’est que la Flandre est devenue une nation. » Tant que les responsables francophones n’auront pas admis ça, on tournera en rond. Comme le disait François Perrin, s’ils refusent de l’admettre, c’est parce qu’ils tirent sur la corde belge aussi longtemps qu’ils le peuvent, parce que ce sont leurs intérêts qui sont en jeu. Je suis désolé, mais les responsables francophones ne comprennent rien à la Flandre…  »

Lui-même scrute depuis longtemps l’âme de cette nation en devenir. Marqué par le Walen buiten louvaniste, Gheude rejoint, en 1973, le cabinet ministériel de François Perin.  » J’étais chargé exclusivement de la presse flamande, c’est vous dire l’intérêt qu’il y portait. Je continue, depuis, à la lire chaque jour.  » Après l’éclatement du Rassemblement wallon, le voilà au service de Jean Gol, devenu l’un des hommes forts des libéraux.  » Il me demandait toujours : « Mais que pense le maître Perin ? », parce qu’il savait que j’avais des contacts avec lui. Je lui répondais que Perin affirmait que c’était foutu, que les Flamands allaient déclarer leur indépendance. Et Gol me répondait : « C’est ce que je pense aussi, mais je ne suis pas fonctionnellement en état de l’expliquer. »  » Le président du PRL voulait travailler à  » une solution de survie francophone digne, raisonnable et ordonnée « .  » Certains disent que cette solution était une sorte de WalloBrux ou de Belgique résiduelle, prolonge Jules Gheude. Pas du tout. Gol ne croyait plus en l’avenir de la Belgique. Je peux en attester.  »

Jules Gheude porte partout où il le peut cette conviction devenue une obsession : la Wallonie ne peut subvenir seule à ses moyens, son salut passe par la France.
Jules Gheude porte partout où il le peut cette conviction devenue une obsession : la Wallonie ne peut subvenir seule à ses moyens, son salut passe par la France.© HATIM KAGHAT

Depuis, le monde politique francophone ne s’est guère porté sur une alliance avec la France.  » Didier Reynders ironise en disant que Jean Gol aimait bien ce pays pour manger l’os à moelle ou pour aller au théâtre, reconnaît le rattachiste. Louis Michel a bien déclaré au Figaro en 1996 que le rattachisme n’était plus quelque chose de fantaisiste, mais sans plus. Aujourd’hui, Daniel Bacquelaine ou Jean-Luc Crucke ne sont pas fermés à cette option.  » Mais ça reste un sentiment caché ou ultraminoritaire. Le parti Rassemblement Wallonie France (RWF), créé en 1999, n’a jamais obtenu guère plus de 1 % des voix aux élections.  » C’était une erreur de créer ce parti parce que tant que l’Etat belge existera, les Wallons continueront à cultiver ce sentiment belge, estime Jules Gheude. Une étude récente de l’Iweps, l’Institut wallon de la statistique, montre que 92 % des Wallons ne veulent pas de la disparition du pays. Mais si elle leur est imposée, que feront-ils ? Ils ne vont quand même pas prendre leur vieux fusil pour s’y opposer…  »

Si son amour de la France se veut pragmatique, il est aussi émotionnel. Imprégné par les vertiges de l’adolescence.  » Les sept années que j’ai passées à Paris, de 9 à 16 ans, ont été déterminantes. Au lycée Michelet, près de la Porte de Versailles, j’ai eu des professeurs admirables dont Henri Domergue, le beau-frère de Georges Pompidou. J’ai aussi énormément fréquenté la Comédie-Française avec ma mère. J’étais fou de Paris. Quand mon père, qui travaillait pour la SNCB, est retourné travailler en Belgique et que nous sommes revenus vivre à Arlon, j’étais atterré. Je me sens comme un Français que les hasards de l’histoire ont amené à vivre en dehors de la France.  » Et s’il n’y retourne pas, c’est uniquement en raison de son attachement à sa famille, qui vit en Wallonie.

Jules Gheude regrette de ne pas être prophète dans son pays wallon.  » Mais le nombre de conférences que je donne en Flandre est inouï : à Hasselt, Grimbergen, Meise, Coxyde, Furnes, Audenaerde… Chaque fois à l’invitation du Mouvement flamand ou de services clubs qui en sont proches. Je m’y rends avec ma femme, d’origine italienne, qui ne parle pas un mot de flamand, et elle est toujours reçue comme une reine. Mon livre Le Testament wallon, traduit chez Doorbraak, s’est très bien vendu. Et du côté francophone, quand je publie une opinion sur le site du Vif/L’Express, je suis souvent impressionné par le nombre de partages : de 400 à 2 000, c’est énorme !  » Bref, ça le rassure. Il ne prêche pas dans le désert.

L'ancien ministre François Perin (Rassemblement wallon) et le leader libéral Jean Gol sont les deux pères spirituels de Jules Gheude.
L’ancien ministre François Perin (Rassemblement wallon) et le leader libéral Jean Gol sont les deux pères spirituels de Jules Gheude.© BELGAIMAGE

L’heure de vérité arrive

Cet hyperactif est convaincu que l’heure de vérité arrive.  » Le Mouvement flamand a gagné sur toute la ligne depuis 1960 en obtenant tout d’abord l’autonomie culturelle et linguistique. Depuis, les francophones ont toujours été demandeurs de rien, mais ils ont chaque fois fini par céder. Dans les années 1980, ils ont lâché les Fourons après plusieurs crises. Dans les années 1990, ils se sont fait avoir sur toute la ligne dans la révision de la loi de financement par les « Toshiba boys » de Jean-Luc Dehaene, équipés de leurs ordinateurs. En 2001, pour refinancer l’enseignement, ils ont lâché la régionalisation de la loi communale et provinciale. Et récemment, ils ont scindé l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde, BHV, sans extension territoriale de Bruxelles, et scindé les allocations familiales… Les francophones n’ont jamais arrêté de capituler pour du fric ! Et c’est encore ce qui va se passer maintenant. La nouvelle majorité régionale wallonne arc-en-ciel laisse filer la dette, la Wallonie va perdre en 2024-2025 une part importante de la solidarité. La suite est écrite !  »

Les francophones n’ont jamais arrêté de capituler pour du fric !

Les Etats généraux de la Wallonie, qu’il avait organisés à l’université de Liège voici dix ans, ont montré qu’une Région wallonne indépendante n’est pas viable.  » Depuis 1980, nous avons les outils pour nous redresser, peste-t-il. Encore faut-il savoir les utiliser correctement. Hors, à trois exceptions près, nous avons toujours eu depuis une ministre-présidence socialiste – et ça recommence. Le PS en coalition, bien sûr, mais il a une influence prépondérante. Ce qui a abouti à une situation d’hypertrophie politico-administrative en Wallonie, avec un clientélisme un peu fou. J’ai travaillé pendant vingt-cinq ans pour les relations internationales de la Wallonie et de Bruxelles. Quand on a créé ces services en 1983, nous n’étions pas 100. Aujourd’hui, il y a plus de 750 agents. Ce qui ne se justifie pas.  »

Selon lui, pour éviter la banqueroute, les francophones doivent anticiper.  » Il faut commencer à prendre langue avec la France ! Lors de la dernière crise gouvernementale, en 2010-2011, la France s’est quand même souciée de ce qui se passait chez nous puisqu’elle a envoyé deux membres de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Ils ont estimé que la division du pays en deux groupes de plus en plus dissemblables compromettait à terme son existence.  »

Son allié français

A titre personnel, Jules Gheude balise déjà le terrain. Ces dernières semaines, il a discuté longuement avec Jacques Lenain : retraité comme lui, cet ancien haut fonctionnaire, ex-dirigeant des hôpitaux de France, étudie depuis des années toutes les facettes d’une éventuelle réunion.  » S’il y a bien un Français qui, depuis dix ans, se démène pour dépiauter toute notre histoire et approfondir le destin de ce qu’il appelle la Belgique française, c’est lui ! Il s’oppose à l’assimilation. Jamais on ne deviendra Français du jour au lendemain car il y a trop de points de résistance, à commencer par nos syndicats et mutuelles qui ne verront jamais d’un bon oeil de se rattacher à la France parce qu’ils perdraient tous leurs privilèges. Jacques Lenain rappelle que la Constitution française dit en son article 1 que la France est un pays décentralisé. Elle est extrêmement souple et elle peut être révisée très aisément. Son message, c’est qu’on ne doit pas se présenter tout nus devant Marianne pour revêtir l’uniforme français, nous pouvons très bien rester ce que nous sommes, sans rien changer à notre organisation régionale, provinciale et communale, en continuant à gérer notre enseignement comme on l’entend, en préservant nos spécificités sociales qui sont le résultat d’années de luttes. Selon lui, on garderait tout !  »

Les deux retraités ont entrepris d’envoyer des courriers adaptés à tous les corps de la société belge francophone pour leur exposer leur vision : aux politiques, aux magistrats, aux mutuelles, aux syndicats…  » Nous leur proposerons de poser toutes les questions et Jacques Lenain y apportera des réponses « , se réjouit-il. C’est ce qui s’appelle être motivé…  » Le temps presse. Liesbeth Homans, l’une des figures de la N-VA, a déclaré en 2016 qu’elle souhaitait que la Belgique n’existe plus en 2025. Le CD&V a déjà préconisé une nouvelle grande réforme de l’Etat en 2024. Les partis flamands vont dépiauter de plus en plus l’Etat belge, arriver à une forme de confédéralisme, et il ne faudra pas longtemps avant que la Flandre ne dise que la Belgique est totalement superflue.  »

Ce moment, Jules Gheude l’attend…

Il est pour : Pierre Hazette, membre du MR et notamment ancien ministre francophone de l’Enseignement.

Réunion Wallonie-France :
© JEAN-RENAUD SANCKE/BELGAIMAGE

 » Jules Gheude est, au sens ancien du terme, le disciple de François Perin. Il prolonge la pensée du maître dans une analyse constante de la politique intérieure, marquée par la marche inarrêtable de la Flandre vers son indépendance. Le phénomène étrange est que ni les francophones ni les Wallons ne veulent en prendre conscience.

Jules Gheude ne cesse pas de développer le sujet tant dans la presse francophone que dans la presse flamande. Le site flamingant Doorbraak l’accueille souvent. Il est en la circonstance servi par une bonne connaissance du néerlandais.

Nous ne sommes pas intimes. Il a été délégué de la Communauté française au Québec et il a fini sa carrière dans les bureaux du CGRI (Commissariat général aux relations internationales). Il y était quand j’étais, moi-même, délégué en Afrique de l’Ouest.

Notre convergence est réelle sur l’analyse : la Belgique évolue vers le confédéralisme, antichambre du séparatisme. La crise actuelle en est la démonstration : le gouvernement fédéral verra peut-être le jour si les Régions arrivent à s’entendre à travers leurs gouvernements notoirement divergents.

Pour la Wallonie, qui n’a pas pris les mesures d’assainissement budgétaire que son déficit révèle, pour l’impécunieuse Fédération Wallonie-Bruxelles, l’avenir est dans une politique de compression des dépenses dont la Grèce nous a fourni l’exemple.

A moins que…

Les deux entités ont signé des accords de coopération avec la France en 1999 (sous la ministre-présidence de Hervé Hasquin, MR) et 2004 (sous Jean-Claude Van Cauwenbergh, PS). Il faut donner plus de corps à ces accords et intensifier notre collaboration avec la France pour réaliser des économies d’échelle, dans un premier temps, et négocier une approche d’intégration sur le modèle qui prévaut en Alsace.

Le raisonnement ne s’applique pas à Bruxelles qui devra choisir son destin. Il ne s’applique pas davantage à la communauté germanophone, qui nie son caractère wallon. La difficulté majeure, en l’occurrence, est d’obtenir que les partis wallons mettent ces préoccupations à leur ordre du jour et mènent une pédagogie réaliste à l’égard du peuple wallon.  »

Il est contre : Philippe Van Parijs, Ppilosophe et économiste.

Réunion Wallonie-France :
© DAINA LE LARDIC/BELGAIMAGEA

 » Je respecte les personnes qui élaborent et défendent une vision d’avenir qu’elles estiment possible et désirable, en particulier lorsqu’elles font face à une incrédulité générale.

Dans le chapitre 1 de mon livre Belgium. Une utopie pour notre temps (collection Transversales de l’Académie), j’évoque quatre scénarios possibles de scissions belges : l’un avec la Wallonie seule et Bruxelles englobé par la Flandre, le deuxième avec la Flandre seule et Bruxelles englobé par la Wallonie, le troisième avec la Flandre et la Wallonie séparées mais gérant Bruxelles ensemble, le quatrième avec les trois Régions séparées. J’évoque aussi, mais moins longuement, un complément de scénario : le rattachement de la Flandre aux Pays-Bas, l’indépendance de l’Est germanophone, l’expansion de Bruxelles et le rattachement de la Wallonie à la France.

Je conclus néanmoins : « Ce complément de scénario ne peut cependant pas être biffé du champ des possibles. S’il était jugé réaliste, il accroîtrait significativement la probabilité des scénarios de scission incluant l’abandon de Bruxelles par la Wallonie. Mais la population wallonne se rendrait vite compte du risque qu’elle prendrait ainsi de se retrouver à la fois plus mal en point financièrement et moins maîtresse de son destin que dans la situation présente. Ce risque n’empêchera pas les romantiques de la mère patrie française de continuer à en rêver. Mais sa prise en compte lucide interdira à tout dirigeant responsable de s’aventurer dans cette direction. Et il l’incitera peut-être à ranger pour de bon la tentation d’un repli douillet au sein d’une nation linguistiquement homogène et à oeuvrer plus résolument que jamais à la réussite de notre fédération multilingue. »  »

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