Réseaux sociaux: la délicate tentative de légiférer
Le parlement fédéral vient d’adopter, en commission, une proposition de résolution qui s’attaque à la transparence des publicités politiques en ligne et aux contenus illégaux sur les réseaux sociaux : fake news, harcèlement, message haineux…. Une première. Nécessaire mais délicat.
Depuis novembre 2019, le Comité d’avis des questions scientifiques et technologiques de la Chambre a auditionné patiemment une foule d’experts, dont des académiques, la police fédérale, Amnesty international, des experts en intelligence artificielle et des représentants de Facebook, Microsoft, YouTube. Pour Facebook, il a fallu insister un peu, surtout pour que l’audition ne se fasse pas à huis clos. Mais finalement, le représentant « Benelux and Nordics » est venu à la Chambre en reconnaissant publiquement les erreurs de son entreprise ces dernières années, surtout en période d’élections.
Depuis le scandale Cambridge Analytica, le groupe de Zuckerberg fait des efforts de communication. Il déclare même n’être pas forcément opposé à qu’une ligne rouge soit fixée par le législateur, car ses algorithmes et ses légions de modérateurs à travers le monde ne parviennent que difficilement à contrôler les contenus illégaux et repérer les deep fakes, ces faux contenus multimédias, audio ou vidéo, transformant des propos ou des images, et destinés à manipuler les internautes.
L’Allemagne trop stricte
C’est plutôt encourageant pour nos parlementaires. Seize mois après le début des auditions, le Comité, sous la présidence du député Ecolo Gilles Vanden Burre, vient d’accoucher, ce 30 mars, d’une proposition de résolution – adoptée par tous les partis, sauf la N-VA, le Vlaams Belang et le PTB – visant à mieux réglementer les réseaux sociaux dans trois domaines : celui du cyber-harcèlement et de la haine en ligne, celui des fake-news et celui de la transparence du financement des publicités politiques sur les plateformes en ligne. Il faut dire que la Belgique est en retard par rapport à ses voisins, la France et surtout l’Allemagne qui a déjà adopté une législation très aboutie en la matière. « Peut-être trop même, estime Vanden Burre. Entrée en vigueur en 2017, la loi allemande sur les réseaux sociaux, la NetzDG, va très loin. Elle impose aux plateformes en ligne de retirer a priori les contenus jugés haineux ou discriminant, le temps d’interroger la justice. »
Online ou offline, même combat
La Belgique ne souhaite pas être aussi radicale, même si le fait de punir pénalement – comme le fait l’Allemagne – ce qui se passe en ligne de la même manière que ce qui se passe dans la vie « hors-ligne » semble séduire nos députés. Et c’est logique. La Commissaire européenne Margrethe Vestager aime le répéter dans les médias : « Ce qui est illégal offline doit l’être online. Parce que vous ne diriez pas dans la vraie vie ce que vous dites sur les réseaux sociaux, il faut aussi développer notre culture de l’internet » (Le Soir, 30 octobre 2020). Il est vrai que les plateformes en ligne sont parfois devenues, ainsi que la rappelle la proposition de résolution de la Chambre dans ses développements, « le lieu de violences, avec des conséquences lourdes, comme le suicide des victimes ». Des violences qui ont explosé durant la période de confinement sanitaire, internet ayant pris une place encore plus grande dans la vie de millions de personnes recluses chez elles.
Le danger des hypernudges
Idem pour les fake-news. La désinformation et les théories conspirationnistes ont explosé depuis le début de la pandémie du covid, avec l’appui même de certains dirigeants ou personnalités. Ces fausses informations sont un fléau car, sur les réseaux sociaux, elles sont très souvent virales, d’autant qu’elles sont poussées par le modèle économique d’internet. Elles peuvent également nourrir des « bulles » suscitées par ces algorithmes qui personnalisent ce que les utilisateurs reçoivent (un peu comme pour les pubs en ligne). Si je clique sur une fake-news à propos du coronavirus, je risque de recevoir sur mon fil d’actualités des infos allant dans le même sens. On appelle cela des hypernudges, a rappelé le Pr Kathleen Gabriels (Maastricht University), lors de son audition : ces mécanismes poussent l’utilisateur à se complaire dans l’environnement numérique qu’il reçoit et qui est personnalisé pour lui. Le danger : cela le renforce dans sa désinformation.
L’exemple édifiant de Trump
Alain Luypaert, de la police judiciaire fédérale (PJF), a témoigné, lui, que, durant la pandémie, la police a dû faire retirer des publications sur Facebook. Cela prend du temps. Il faut s’adresser à Facebook en Irlande. La base légale n’est pas claire. La simple définition de ce qu’est une fake-news est déjà un casse-tête en soi, car il y a une part de subjectivité. Ce qui est une fake-news pour moi ne l’est pas forcément pour toi… « Il est impossible d’interdire les fake-news, constate Gilles Vanden Burre, mais on peut mieux encadrer les plateformes pour les faire retirer le cas échéant ». L’exemple de Donald Trump qui nie le résultat évident des élections américaines est édifiant, à ce sujet. Mais il est tout aussi interpellant de voir que c’est Twitter, un opérateur privé commercial, qui a finalement pris la décision de bloquer le compte de Potus (President of the United-States). D’où la nécessité de légiférer. Mais comment ?
L’Union (européenne) fait la force
Dans leur résolution, les députés demandent au gouvernement De Croo de contraindre les plateformes actives en Belgique de mettre en place un système de modération des contenus, d’obliger ces plateformes à publier deux fois par an un rapport transparent sur les réponses données aux plaignants, de fournir à celles-ci une liste de signaleurs de confiance (institutions, ONG spécialisées), de prévoir des amendes dissuasives à l’encontre de celles qui ne respectent pas ces règles, de prévoir un recours en justice pour les plaintes non traitées, etc. Pour plusieurs points, les députés belges préfèrent néanmoins s’en remettre, pour des raisons d’efficacité, à l’Union européenne et au Digital Services Act qui doit légiférer en la matière : cela concerne, entre autres, les sanctions à l’encontre des réseaux sociaux ou l’obligation d’avertir les utilisateurs, via un bandeau en bas de page web, que l’information n’est peut-être pas avérée. La petite Belgique aurait, en effet, bien du mal à imposer seule ces règles aux géants du Net.
Publicités politiques : de la transparence
Enfin, le Comité parlementaire s’est attaqué aux publicités politiques sur les plateformes en ligne. On s’en doute, c’est le morceau « haute tension » de la proposition de résolution. On se souvient à quel point les réseaux sociaux ont été le cheval de Troie du Vlaams Belang aux dernières élections, locales et fédérales. Le texte adopté ce mardi évoque ce vivier numérique pour les campagnes électorales et évoque la publication par les plateformes d’un registre des financements des publicités politiques et de l’identification du fournisseur de chaque publicité, a fortiori s’il s’agit d’une personne tierce au parti concerné. Certains réseaux comme Facebook publient déjà l’identité de celui qui finance telle ou telle page en ligne. L’idée est, ici, de renforcer la transparence et le contrôle démocratique des publicités politiques, comme cela se fait au niveau des dépenses électorales des partis, par exemple.
VB : 1,5 millions d’euros pour des pubs en ligne
Ecolo-Groen a d’ailleurs a proposé d’instaurer un plafond en la matière, mais les Verts n’ont pas trouvé de ralliement suffisant à leur suggestion, notamment du côté du MR dont le président Georges-Louis Bouchez a dépensé plus de 102 000 euros pour des publications sponsorisées sur Facebook en un an. Au niveau des partis, sans surprises, c’est le VB qui dépense le plus pour des pubs en ligne : 1,5 millions d’euros, sur base annuelle. Suivi par la N-VA : plus de 800 000 euros. Et le PTB : près de 600 000 euros. Les autres partis sont loin derrière. Bref, un peu plus de transpa rence sera déjà un acquis appréciable. Mais visiblement cela ne plaît pas à tout le monde. Il y a une semaine, le chef de groupe N-VA, Peter De Roover, a déboulé au Comité pour dézinguer la proposition de résolution dans son ensemble, avant d’évoquer, dans De Standaard, l’Inquisition avec la mise sur pied d’un ministère de la Vérité.
Chaud devant, après Pâques !
De Roover, qui est opposé au Digital Services Act de l’UE, évoque aussi la claque infligée, en juin dernier, par la Cour Constitutionnelle française à la loi Avia (du nom de la députée de l’Assemblée nationale qui l’a portée) contre la haine en ligne. On peut en effet parler de camouflet. Le juge constitutionnel a surtout retoqué la disposition phare imposant aux médias sociaux de supprimer dans les 24 heures, sous peine de fortes amendes, les contenus haineux qui leur sont signalés. Pour le Conseil, il s’agit là d’une atteinte à la liberté d’expression qui n’est ni adaptée ni proportionnée. Le volet préventif a également été recalé : il imposait la transparence sur l’activité de modération des plateformes, sur le nombre de contenus retirés, mais aussi de collaborer avec la justice. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) devait être chargé de veiller à la bonne application de ces règles.
Au final, il n’est resté que peu de choses du texte initial, comme la création d’un observatoire « de la haine en ligne » au sein du CSA. La proposition belge évoque, elle aussi, la création d’un observatoire « du numérique national », sous l’égide des autorités de surveillance de l’audiovisuel. Bref, on le voit, s’attaquer aux fake news, aux appels à la violence et à la haine en ligne via la loi relève de l’équilibrisme. La proposition de résolution, adoptée ce mardi, passera en séance plénière après les vacances de Pâques. Cela s’annonce chaud, entre autres avec l’opposition de la N-VA et du Vlaams Belang qui ont voté contre la proposition de résolution. Le PTB s’est abstenu.
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