Carte blanche
Réponse à la carte blanche : L’eau en Wallonie : abondante, gaspillée et trop chère »
Droit de réponse d’Aquawal à la carte blanche de Monsieur Laurent Minguet publiée sur le site du Vif/L’Express le 10 octobre 2017 et intitulée « L’eau en Wallonie : abondante, gaspillée et trop chère«
Réduire la question de l’alimentation en eau potable de la population à un monopole d’intercommunales et d’autres sociétés publiques est une vision très étriquée de la réalité qui ne vise qu’à servir des intérêts particuliers. Monsieur Minguet ne pose même pas le débat de la gestion publique ou privée : il met carrément en cause le modèle collectif, solidaire et sécuritaire de la distribution d’eau mis en place dans nos régions pour garantir un approvisionnement de tous les citoyens en eau, de qualité et en quantité, et répondre aux situations très inégalitaires qui existaient au 19ème siècle.
A cette époque, en effet, les populations des villes étaient justement alimentées par des prises d’eau locales, dans la Meuse ou dans des aquifères impactés par les activités humaines, auxquelles une partie de la population n’avait tout simplement pas accès et dont la qualité médiocre était à l’origine des grandes épidémies qui sévissaient (et qui sévissent encore dans de nombreuses régions du monde où il n’existe pas de service structuré et efficient de distribution d’eau).
Pour garantir de l’eau de qualité et en quantité à tous leurs citoyens, les autorités publiques de l’époque ont décidé de créer des réseaux de distribution permettant de raccorder tous les logements à de l’eau prélevée en dehors des zones d’activités humaines. C’est grâce à ces importants investissements que nous disposons d’un confort sans pareil dans le monde, à ce point que nous n’en sommes même plus conscients.
Comment s’alimenterait Bruxelles (à l’instar de Paris ou d’autres grandes villes européennes) si elle ne disposait pas d’importantes ressources à distance de la ville ? Comment garantir l’approvisionnement de centres urbains par de petites prises d’eau locales, à l’échelle d’un quartier ou de quelques maisons comme le préconise Monsieur Minguet ? Comment en assurer la pérennité au travers de la gestion par une copropriété et comment les autorités responsables de l’hygiène et de la santé de leur population pourraient garantir un contrôle efficace d’une multitude de petites structures ?
Un modèle qui reposerait sur de l’eau produite et traitée localement va dans une direction diamétralement opposée de celle du Schéma Régional des ressources en eau en Wallonie voulu par le Gouvernement wallon. Ce dernier préconise justement de rationaliser la production en interconnectant des grandes ressources, partant du constat de manque d’eau dans certaines régions de Wallonie, de l’absence totale de sécurisation de certaines d’entre elles et des problèmes récurrents de qualité liés à un nombre trop élevé de prises d’eau locales, vulnérables, difficiles à entretenir et à contrôler.
Ce sont justement ces régions et ces prises d’eau qui ont été affectées durant l’épisode de sécheresse que nous venons de connaître cet été.
Un modèle de production local est une imposture que l’auteur de l’article appuie par des arguments dont certains sont pour le moins fallacieux.
Sur le plan économique, c’est le cas des comparaisons de prix de l’eau en Europe (distribution et assainissement) basées sur une étude réalisée en 2008, dont les résultats reposent déjà sur un certain nombre d’approximations. Selon nos calculs, le prix de l’eau à Liège à cette époque était de l’ordre de 3,26 €/m3 contre 4,06 € dans l’étude.
Surtout, Monsieur Minguet choisit de comparer ceux de la Belgique (3,49 €) avec ceux de la Suède (2,45 €) et de l’Italie (0,84 €) alors qu’il aurait pu aussi le faire avec le Royaume-Uni (3,50 €), les Pays-Bas (4,01 €), l’Allemagne (5,16 €) et, surtout, le Danemark (6,18 €). Il se garde bien aussi d’indiquer que le rapport en question précise que les variations entre pays sont le résultat d’importantes différences structurelles et que le prix de l’eau est subventionné en Italie. Il ne parle pas non plus des disparités de prix qui existent en Suède, un habitant de Stockholm déboursant 1,51 €/m3 contre 3,14 à Göteborg et 4,38 à Uppsala, qui sont justement le reflet des différences de territoire et de densité de population ainsi que, vraisemblablement, la conséquence de l’absence de mutualisation.
Ce n’est donc pas que l’on nous cacherait la « Vraie » vérité sur les coûts qui sont si différents entre pays européens, comme se plait à l’insinuer le Membre de l’Académie Royale de Belgique. Les réponses sont dans le rapport ; il suffisait de le lire attentivement : c’est simplement parce que les structures tarifaires ne sont pas homogènes en Europe, certains pays ayant fait le choix de subventionner le secteur de l’eau, d’autres d’appliquer des redevances de prélèvement et de pollution ou encore de fixer un prix mutualisé.
Les différences de tarifs s’expliquent également par le fait que 80 % des coûts sont fixes, le volume d’eau vendu par ménage est un facteur important. En Italie, les consommations sont plus importantes qu’en Wallonie, mais le total de la facture n’est pas si différent ; se limiter à une comparaison de tarifs n’a aucun sens.
En ce qui concerne le salaire brut mensuel moyen à la CILE, il était de l’ordre de 3.194,18 € en 2015, inférieur à ceux de l’Industrie manufacturière suivant les critères de statbel.fgov (environ 3.379 €).
D’un point de vue environnemental, il est totalement faux d’insinuer que le transport de l’eau sur de grandes distances complique la gestion de l’étanchéité des réseaux. En effet, ce n’est pas sur les conduites de transport qu’il y a des pertes (à peine un ou deux pourcents) mais bien sur les réseaux de distribution qui sont locaux par essence. Il n’est pas non plus correct d’attribuer les 20 % de « pertes » à la gestion de l’étanchéité des réseaux. Il s’agit de volumes non enregistrés qui comprennent bien entendu les fuites, mais aussi les fraudes et les consommations non comptabilisées pour des usages d’intérêt général, sur les réseaux d’incendie notamment. On considère généralement que les fuites représentent environ un tiers des volumes non enregistrés. A ce sujet, on peut s’étonner que le promoteur d’un habitat durable envisage de généraliser le traitement par osmose inverse qui est à l’origine de pertes d’eau importantes (environ 15 %) et très énergivore.
Les considérations de Monsieur Minguet sur les risques de pénurie dénotent un manque de connaissance élémentaire du secteur de l’eau et des précautions qui sont mises en place pour assurer la sécurité d’approvisionnement de la population depuis des décennies. Il néglige le fait que ces « forages centralisés », comme il les appelle, sont réalisés dans des ressources importantes qui constituent des réserves suffisantes pour faire face à une période de stress hydrique sans dépasser leurs capacités. C’est justement l’interconnexion des réseaux à ces ressources qui a permis de garantir un approvisionnement continu durant la sécheresse de cet été et de satisfaire aux pointes de consommation traditionnellement liées aux fortes chaleurs, pour le remplissage des citernes d’eau de pluie qui étaient vides notamment !
Ailleurs, là où des prises d’eau locales n’ont pas pu suivre la demande, c’est grâce à la capacité des producteurs d’eau institutionnels à mettre en place des moyens de secours que les problèmes ont été rendus transparents pour la majeure partie des consommateurs. Pratiquement aucune restriction de consommation n’a été nécessaire en Wallonie.
Sur le plan sanitaire, l’eau potable est la denrée alimentaire la plus contrôlée au monde. Ce ne sera plus possible d’assurer un tel niveau de sécurité sur de multiples copropriétés et autres petites structures privées qui n’auront pas la capacité de gérer les matières complexes qu’implique la gestion d’un réseau de production et de distribution d’eau potable, de garantir la sécurité de l’approvisionnement et le respect de normes strictes, tant à la prise d’eau que dans les canalisations. L’expérience montre, qu’à terme, face aux difficultés et surtout aux frais importants que représentent la gestion et la maintenance des équipements, les copropriétés sollicitent souvent le retour à l’intervention des services publics, amenant les distributeurs à reprendre des réseaux dans des conditions parfois difficiles et coûteuses pour la collectivité.
L’assainissement individuel des eaux usées a d’ailleurs déjà montré ses limites en termes d’efficacité et c’est la raison pour laquelle une Gestion Publique de l’Assainissement Autonome sera mise en place pour y remédier.
En outre, de plus en plus de problèmes récurrents de retour d’eau vers les réseaux se produisent à partir d’installations privées d’approvisionnement alternatif qui mettent la santé publique en danger (non-conformités, voire absence des protections contre le retour d’eau). Pour cette raison, le Gouvernement wallon mettra en place prochainement le Passeport « Eau-Habitation » qui visera à détecter ces situations et imposer la mise en conformité.
En fait, les enjeux de l’approche défendue par Monsieur Minguet ne sont pas tant ceux de la disparition du modèle de distribution collective qui restera nécessaire pour garantir l’accès à l’eau à tous, que ceux d’une évolution vers une posture de plus en plus individualiste qui créera des disparités croissantes entre les citoyens, entre ceux qui auront la possibilité de mettre en place des réseaux locaux et ceux qui n’en auront pas les moyens.
Ce sont pourtant ces derniers qui devront faire face à l’augmentation du prix de l’eau du fait de la mise à mal du modèle basé sur la solidarité. Les volumes d’eau qui ne seront plus consommés sur le réseau de distribution publique ne participeront pas à l’effort de mutualisation des coûts, dans un contexte de diminution générale des consommations qui engendre déjà des tensions sur le prix de l’eau et sur le modèle d’une alimentation collective et solidaire de la population, des consommateurs les plus faibles en particulier.
Cette injustice sera d’autant plus flagrante que les utilisateurs du réseau de distribution publique devront aussi payer pour garantir ponctuellement l’approvisionnement des habitants de ces quartiers « autonomes » en cas de disfonctionnement de leur propre système. Les distributeurs publics devront en effet surdimensionner leurs installations, occasionnant des surcoûts qui auront des conséquences sur le prix ainsi que sur la qualité de l’eau distribuée en réduisant la capacité de son renouvellement dans les conduites.
Enfin, cet individualisme forcené pèsera aussi sur l’alimentation du Fonds Social de l’Eau qui constitue pourtant un modèle de solidarité envers les plus démunis, unique au monde et qui a été présenté au Forum Mondial de l’Eau en Corée à la demande des organisateurs.
Ce n’est donc pas du droit à disposer d’un bien commun qu’il doit être question, mais bien du choix politique d’un modèle qui est le plus apte à garantir un accès à l’eau et à l’assainissement pour tous, dans des conditions économiques justes et mutualisées.
La S.A. AQUAWAL est l’Union professionnelle des opérateurs du cycle de l’eau potable en Wallonie. Elle regroupe des principaux producteurs et distributeurs d’eau, l’ensemble des Organismes d’assainissement agréés en Wallonie et la Société publique de Gestion de l’Eau (SPGE).
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