Selma Benkhelifa
Rendre humain l’enfermement d’enfants, c’est impossible
Avec ou sans Theo Francken, ce gouvernement tient absolument à enfermer des enfants.
Ce mardi, Maggie De Block annonçait la volonté du gouvernement et de l’Office des Étrangers de réaliser des travaux d’insonorisation dans les unités familiales du centre fermé 127bis, afin de pouvoir à nouveau y enfermer des enfants.
Les unités familiales du 127bis sont de petits logements type baraques de chantier, situé autour d’un toboggan pour se conformer à la directive européenne qui impose de laisser jouer les enfants privés de liberté.
D’après la Ministre, les travaux permettraient de reprendre la détention de familles tout en respectant l’arrêt du 4 avril 2019 par lequel le Conseil d’État suspendait en partie l’arrêté royal organisant la détention d’enfants. Pour le Conseil d’État, la détention d’enfants pendant plusieurs semaines au bord d’une piste d’atterrissage de l’aéroport, constitue un risque de traitement inhumain et dégradant.
L’information, parue en Une du Standaard, a été reprise rapidement par différents journaux. Pourtant, cette annonce n’est rien d’autre qu’un coup de communication cynique et juridiquement insensé.
Pour rappel, l’arrêté royal prévoit la possibilité de détenir des enfants pendant quatre longues semaines. Est-ce que les enfants ne pourront alors plus sortir des baraques ? Même en période de grande chaleur ? Ceci n’a tout simplement aucun sens et n’est matériellement pas possible.
Rappelons ensuite que le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond. L’arrêt, rendu ordonne la suspension de certaines dispositions de l’arrêté royal sur base d’une partie des arguments soulevés par les associations requérantes. Il lui reste encore à se prononcer sur la demande d’annulation de l’arrêté royal. D’autant plus que le Conseil d’Etat, en suspendant sur base de la seconde partie de l’argumentation des associations, n’a pas encore eu l’occasion d’examiner les troisième et quatrième moyens qui concernent notamment la Convention des droits de l’enfant et la grave problématique de l’arbitraire laissé à l’Office des Etrangers.
Le Conseil pourrait, ainsi, décider de maintenir son analyse et d’annuler la décision sur les mêmes bases, mais pourrait aussi décider autrement, par exemple en suivant d’autres arguments des associations.
Quoi qu’il en soit, l’exécution de l’arrêté royal organisant la détention des familles est suspendue en attendant que le Conseil d’État se prononce sur son annulation.
Juridiquement, il est donc impossible de continuer à détenir sur base de cet arrêté royal, et des travaux d’isolation ne changent évidemment rien à l’affaire.
Or, l’État belge annonce des travaux au 127bis sans prévoir aucune base légale. Durant l’été 2018 déjà, le gouvernement avait construit les unités familiales en l’absence de base légale. Il avait alors attendu le dernier moment pour publier l’arrêté royal organisant la détention, au moment où les travaux étaient finis et que les détentions commençaient. Par cette politique du fait accompli, le gouvernement s’assurait que des familles puissent être détenues pendant plusieurs mois avant que le Conseil d’État n’ait le temps de constater l’illégalité de cette détention.
Cette position du gouvernement est d’autant plus impardonnable que les effets de la détention sur les enfants sont de mieux en mieux documentés et sont terrifiants. Les différents pédopsychiatres qui ont rendu visite aux enfants au 127bis depuis l’été 2018 ont été unanimes : les effets de la détention sont catastrophiques sur la santé mentale des enfants.
Ces effets ne sont pas liés uniquement à la proximité de l’aéroport, mais à l’enfermement lui-même.
Tous les enfants qui ont connu la détention se sont, à un moment, tourné vers leurs parents pour leur demander d’ouvrir la porte afin de les laisser sortir. Au moment où l’enfant comprend que ses parents sont enfermés également, impuissants, et qu’il est impossible de sortir, quelque chose d’irréparable se produit, une perte d’innocence ou l’apprentissage du désespoir.
L’organe le plus compétent et le plus élevé en matière des droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, a pour cette raison sommé la Belgique de mettre un terme à la détention d’enfants en centre fermé.
Pour l’UNICEF aussi, la mise en détention d’enfants pour cause de migration constitue toujours une atteinte aux droits de l’enfant et une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe juridique qui oblige les adultes à faire ce qu’il y a de mieux pour chaque enfant.
Qu’elle soit mensongère ou simplement prématurée, la communication du gouvernement est évidemment regrettable. La manoeuvre est évidente : la Ministre Open VLD et son gouvernement se lancent dans une surenchère perdue d’avance en tentant de concurrencer la rhétorique extrémiste de la NV-A, quitte à tomber dans l’abject en faisant de la détention d’enfants un argument électoral.
Selma Benkhelifa et Robin Bronlet, avocats Progress Lawyers Network
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