Thierry Bingen
Remplacer nos F-16 par quoi et pourquoi
Quand un F-16 décolle de la base de Florennes, il quitte généralement le ciel belge dans les six minutes. Son successeur ne sera sans doute pas plus lent à se trouver hors du pays.
En d’autres termes, de tels avions n’ont aucun sens par rapport aux mots « défense nationale ». Posséder de tels avions n’a de sens que dans le contexte d’une alliance militaire. C’est le cas de nos F-16 qui sont pleinement intégrés dans les opérations de l’OTAN. Notre cinquantaine de bombardiers-chasseurs ont ainsi contribué à notre « défense nationale » en larguant des bombes sur l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie. Ils ont aussi patrouillé (sans larguer de bombes) dans l’espace aérien de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie.
Une alliance militaire se définit d’abord par une alliance politique. Même sans l’approuver, on peut comprendre le choix fait in illo tempore par les gouvernements belges de participer à une alliance anti-soviétique. Depuis l’implosion de l’URSS, on doit se poser la question de la participation à une alliance qui n’a plus d’ennemi déclaré.
On doit d’autant plus se la poser aujourd’hui que le leadership de cette alliance politique et militaire est aux mains d’un déséquilibré, tout aussi fantasque en politique étrangère qu’irresponsable dans ses choix nationaux. Nul ne sait où cette situation inédite peut conduire la planète. On constate quand même que plusieurs gouvernements européens, peu suspects de gauchisme anti-OTAN, parlent avec insistance, sous des prétextes divers, d’un nouveau concept d' »Europe de la défense ». Ils ne sont simplement pas tout à fait aveugles.
Il faut encore savoir qu’une partie des chasseurs-bombardiers « belges » sont équipés de façon à pouvoir transporter (et larguer…) des missiles nucléaires tactiques, entreposés aujourd’hui à Kleine Brogel. Si le commandement de l’OTAN (Washington donc) le décide, nos F-16 doivent donc être prêts à larguer le feu nucléaire sur les cibles que ce commandement leur désignera. Ce sont donc bien des pilotes belges aux commandes d’avions belges qui largueront des missiles nucléaires (américains) sur l' »ennemi » désigné. Une riposte, même proportionnée, de la part de cet ennemi entraînera donc au moins des tentatives de bombardement nucléaire de la Belgique. Les risques que nous redoutons quant à Doel 2 et Tihange 3 seraient ravalés au rang de l’anecdote.
Or, un des « avantages » présentés dans l’actuel marchandage quant au remplacement de nos F-16, est la capacité du F-35 d’embarquer ces missiles nucléaires sans transformations coûteuses, comme ce serait le cas si l’on choisissait une des propositions alternatives. C’est donc une excellente raison pour tout citoyen soucieux de préserver son pays du feu nucléaire de refuser sans appel le choix de ce F-35.
Il n’est pas inutile non plus de rappeler que ce F-35 est tellement « moderne » qu’il est loin d’être au point et donc opérationnel quasiment nulle part. On comprend le forcing du gouvernement américain de multiplier les ventes de cet aéronef défectueux afin de répartir le coût de sa mise au point, pour autant qu’on y arrive un jour. (On se souviendra de la saga du F-104, le « cercueil volant », qui n’a jamais pu être mis au point, adopté par plusieurs alliés des Américains, mais jamais par eux-mêmes.)
C’est là donc deux raisons majeures de s’opposer au remplacement des F-16 par ces F-35.
À ce stade, on devrait évidemment se demander pourquoi même s’équiper de chasseurs-bombardiers pratiquement incapables d’intervenir sur leur territoire national. Le fait est que, depuis quelques dizaines d’années, les gouvernements belges ont définitivement renoncé à toute idée de « défense nationale ». Notre sort a été totalement mis entre les mains de l’OTAN et nos choix en matière de défense sont ceux que l’OTAN nous assigne. Vu notre taille et notre poids géopolitique, nous sommes donc réduits au rôle de larbins.
Il reste, sans doute, deux autres avions dans la course absurde au remplacement des F-16 : l’Eurofighter britannique et le Rafale français. Si l’on admet que le coût avancé aujourd’hui pour ces engins est sensiblement identique (environ 100 millions d’euros pièce), et que les retombées économiques pour le pays seraient plus ou moins comparables (quelques milliards d’euros et quelques milliers d’emplois, mais ce sont des chiffres invérifiables), il faut se poser la question de nos propres choix en termes de géopolitique au cas où l’Alliance atlantique se déliterait avant la fin de vie de cette coûteuse flotte. Envisageons-nous de rester proches des Britanniques, qui s’apprêtent à larguer les amarres de l’alliance économique, ou plutôt des Français dont les frontières ne sont pas près de s’éloigner ?
À défaut de pouvoir enterrer le funeste projet de remplacer des chasseurs-bombardiers, inopérants pour NOTRE défense nationale, il faut se résigner au choix qui est le moins absurde pour notre contexte géopolitique, et ce quelles que soient les préférences des militaires, qui doivent rester aux ordres du pouvoir politique, et surtout pas l’inverse.
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